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Pour commencer, le contexte. La mosquée Kankoun Moussa, plus connue sous le nom de mosquée Djingareyber, puisque qu’elle est située dans le quartier Djingareyber, a été construite en 1324 sous l’initiative du deuxième empereur de l’empire du Mali, Kankoun Moussa. Ce dernier, dès son retour de son célèbre pèlerinage à la Mecque en 1323, s’est attaché les services de Es – Sahili, un architecte espagnol. Sous les instructions de Kankoun Moussa, Es – Sahili a construit la mosquée Djingareyber à l’image de la Kaaba, la célèbre mosquée mecquoise, c’est-à-dire avec la même structure architecturale.

Cet édifice, qui est aujourd’hui classé patrimoine mondial de l’UNESCO, est considéré par les Tombouctiens comme le « jeune frère de la Kaaba ». Et comme les pèlerins font sept fois le tour de la Kaaba pendant le pèlerinage à la Mecque, les Tombouctiens aussi font de même dans leur cité, les jours de Maouloud.

La mosquée est en train de subir aujourd’hui des travaux de rénovation grâce à un financement du prince Aga Khan. Pour les besoins de ces travaux de rénovation, l’espace de passage du côté sud de la mosquée est occupé. Le passage est donc barré à ce niveau. Pour faire le tour de la mosquée, il faut donc contourner cette partie pour aller passer par une petite ruelle entre des concessions avant de revenir vers la mosquée. Or le passage dans cette ruelle, déjà très exig??e, est rendu encore plus difficile par un four de pain traditionnel et un ralentisseur de vitesse, « gendarme couché », assez élevé. De plus, le parcours se fait dans les deux sens, d’où un croisement permanent des pèlerins. Tout cela fait que les tours sont faits sans véritable ordre. C’est d’ailleurs le désordre créé pendant le passage qui est surtout à la base du nombre élevé des victimes.

La petite ruelle, exceptionnellement empruntée cette année à cause des travaux de rénovation de la mosquée, a été remplie de monde. Les gens venant de tous les deux sens se sont croisés, coincés. Ceux qui étaient au milieu n’avaient aucun moyen de sortir, ils sont restés bloqués là pendant environ une heure. Les plus faibles (les femmes et les enfants) sont tombés. La panique et le traumatisme ont fait le reste. Des gens couraient sans savoir pourquoi. D’aucuns disaient que la terre a tremblé ! Ils ont été piétinés et privés d’oxygène. L’asphyxie est logiquement la cause des décès. Les personnes décédées ne comportaient ni blessures, ni fractures, ni autre trace de violence. Compréhensible ! Les femmes et les enfants ont fait les plus grands frais (on comptait 13 femmes et 2 garçons des 15 corps qui ont été admis à la morgue de l’hôpital régional).

Un bilan contradictoire

Concernant le bilan, beaucoup de chiffres contradictoires ont été annoncés par-ci et par-là. Certaines rumeurs ont même fait état de 30 victimes.

En réalité, le bilan réel est de 26 victimes. Selon une enquête policière, quinze corps ont été amenés à la morgue de l’hôpital régional, 10 décès ont été enregistrés en ville. Parmi eux, des corps qui ont été directement récupérés par les familles, des blessés qui ont succombé, une fois arrivés chez eux, et un corps qui a été amené au centre de santé du Camp Cheick Sidibakaye de Tombouctou. On peut même dire que ce chiffre de 26 victimes est définitif, puisqu’à notre passage à l’hôpital, le lendemain de l’incident, le vendredi 26 février à 11h 40mn, le Directeur Général de l’hôpital, M. Gérôme Dakouo s’est dit satisfait de l’état des 54 blessés hospitalisés dans son établissement, sauf le cas d’une seule dame. Mais au moment où nous mettions sous presse, il n’y avait rien à signaler encore. Cela veut dire donc qu’il y a beaucoup de chance pour sauver tous les 54 hospitalisés.

Le Président de la république partage la douleur des parents des victimes !

Dès la tombée de la nouvelle, le Président a envoyé son Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales à Tombouctou pour présenter aux familles des victimes et à la ville de Tombouctou, les condoléances de la nation. Dans la soirée (le vendredi 26 février), il a lui-même effectué le déplacement. Après s’être rendu chez le grand imam de la mosquée Djingareyber, Abderrahmane Ben Essayouti, ATT et sa délégation se sont dirigés vers le lieu du drame dans la petite ruelle.

Le Président a constaté sur place un tas de chaussures des victimes et des vêtements déchirés jetés sur les lieux. ATT est ensuite rentré dans la mosquée pour faire deux rakkat comme tout bon musulman qui se rend dans un lieu mémorable avant de se prêter aux questions du confrère de l’ORTM. Le Président ATT a déclaré qu’il est venu partager la douleur des familles des victimes et apporter le soutien de la nation aux populations de Tombouctou. Il a surtout indiqué que tout sera mis en œuvre pour soulager les parents des victimes. Le Présidant a terminé sa brève visite en se rendant à l’hôpital pour souhaiter prompt rétablissement aux hospitalisés.

Qui est coupable ?

« Depuis le XVIè siècle, le Maouloud se fête à Tombouctou, mais il n’y avait jamais eu un pareil incident », a martelé le grand imam de la mosquée Djingareyber. Mais depuis combien d’années on a barré un des passages principaux des « pèlerins » (ceux qui font le tour de la mosquée) ? La population de la ville de Tombouctou d’aujourd’hui comparée à celle du XVIè XIXè, XXè siècles, n’a-t-elle pas augmenté ? Ne pouvait-on pas organiser le rituel tour de la mosquée en exigeant, par exemple, que tout le monde emprunte la même direction ?

Étant donné qu’un des passages principaux était obstrué, ne pouvait-on pas demander à l’entreprise chargée de rénover la mosquée de libérer le passage à l’occasion du Maouloud ? Comment peut-on comprendre qu’une foule d’une telle envergure se réunisse et qu’il n’y a pas la police pour veiller sur la sécurité des gens ? Les gens se sont longtemps piétinés avant l’intervention des forces de sécurité, c’est ce qui a d’ailleurs alourdi le bilan.

Il a fallu que Bamako soit mis à feu et à sang suite à la défaite des aigles contre le Togo pour que les autorités prennent des dispositions s’il y a match. Cet incident aussi amènera, pour de bon, les autorités tombouctiennes à prendre des dispositions sécuritaires à l’occasion des prochains maouloud. « Gouverner, c’est prévoir », une leçon mal comprise, semble-t-il, par nos autorités.

Diakaridia TOGOLA

(correspondant régional)

Le Quotidien de Bko du 02/03/2010