Partager

Pour la première fois, le Premier ministre, Modibo Sidibé se confie à la presse nationale. Avec lui, nous avons évoqué toutes les questions brûlantes de l’heure. Interview exclusive.

Les Echos : M. le Premier ministre, quelles sont vos priorités en tant que chef du gouvernement ?


Modibo Sidibé :
Mes priorités sont définies dans la mission qui m’a été impartie par le président de la République ; et cette mission, c’est la mise en œuvre du Programme de développement économique et social (PDES) qu’il a proposé à nos compatriotes lors des dernières élections présidentielles et qui lui ont renouvelé leur confiance si largement.

Nos priorités découlent des axes qui sont contenus dans le PDES, qui vise à assurer le décollage économique et social du pays à l’horizon 2012.

Le PDES a des priorités qui se rapportent à la fois à la gouvernance et au renouveau de l’action publique ; au développement de l’agriculture et à l’expansion des infrastructures ; au développement du secteur privé ; à l’investissement dans les ressources humaines.


Les Echos : Est-ce que vous avez les mains libres pour conduire toutes ces actions ?

M. S. : Je ne sais pas ce que vous entendez par « avoir les mains libres ». Pour ma part, j’ai reçu une mission à mener sur la base de la confiance que le président a placée en moi.

Cette mission, j’entends la conduire avec sa confiance et sous son impulsion et avec le gouvernement. Je puis vous assurer que le gouvernement dispose de la marge de manœuvre nécessaire à l’accomplissement de la mission qui lui a été assignée par le président de la République.



Les Echos :
Quels sont vos rapports avec les partis politiques, les regroupements de partis politiques ?



M. S. :
Ce que je peux vous dire, je l’ai déjà indiqué lors de la présentation de la Déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. La mission qui nous est confiée est difficile. Mais par la grâce d’Allah et par l’accompagnement de l’ensemble des Maliens et Maliennes nous serons à mesure de relever le défi.

Je l’ai dit dans ma Déclaration de politique générale : je suis favorable au dialogue, à l’écoute, aux discussions. Je pense que chaque Malien et Malienne a le droit d’avoir son opinion, ses convictions par rapport au développement de notre pays.

Et d’avoir la possibilité de les exprimer et les discuter. Nous avons une démocratie pour cela, nous avons les institutions. Ce sont donc les partis politiques qui en fonction de ce choix, et des projets politiques qui sont les leurs, soutiennent une action gouvernementale ou se démarquent d’une action gouvernementale.

Nous avons aujourd’hui, une majorité présidentielle qui est constituée par les partis de l’ADP, le Mouvement citoyen et les associations de soutien au président de la République.
Nous avons également une opposition constituée par le FDR et le parti Sadi. Comme je l’ai dit, ils ont fait un choix politique que nous respectons.

J’ai rencontré les membres de l’ADP pour discuter largement avec eux. Je les rencontrerai prochainement (Ndlr : notre interview a eu lieu le mercredi 16 et le PM a rencontré la classe politique le samedi 19), parce que je considère que le dialogue politique doit exister entre la majorité présidentielle et le gouvernement qu’elle soutient.

Ce sont des discussions franches, d’expression de point de vue et donc d’accompagnement. De la même manière, je respecte l’opposition que je dois rencontrer.

J’entends le faire si toujours l’opposition est disponible. Je vous rappelle qu’on a déjà eu des discussions et des échanges extrêmement intéressants sur les points concernant la vie de la nation et je crois qu’il est bon d’écouter tous les points de vue des Maliens sur la vie de la nation.

Les Echos : Vous avez parlé du PDES parmi vos priorités, comment comptez-vous vous prendre pour le décliner en action palpable sur le terrain ?

M. S. : Mettons-nous d’accord ! Le PDES est à la base de mes priorités. La mission du gouvernement est claire, mettre en œuvre le PDES, c’est-à-dire traduire en résultats les engagements pris par le président de la République.

Le PDES est en lui-même un plan d’actions ; il définit les objectifs et axes stratégiques, c’est un tout en un. L’objectif c’est de préparer le Mali à être un pays émergent, ce en améliorant la gouvernance, en développant une véritable stratégie de croissance accélérée basée sur l’agriculture, les infrastructures et le secteur privé et en investissant dans les ressources humaines.

Dans ce cadre, le rôle du gouvernement, c’est de focaliser les ressources et les énergies sur les priorités fixées par le président de la République, c’est aussi de rechercher les synergies nécessaires entre les secteurs prioritaires pour un plus grand impact sur les conditions des Maliens en milieu urbain et rural.

Dans ce cadre, le gouvernement finalise actuellement un document de stratégie de développement agricole axée sur la promotion volontariste de la modernisation de l’agriculture familiale et l’appui à l’émergence d’un secteur agro-industriel structuré, compétitif.

Il s’agit essentiellement de créer les conditions pour une augmentation de la production pour atteindre la souveraineté alimentaire mais aussi pour permettre aux producteurs de gagner plus. Le second exemple, est le Programme de développement du secteur des transports (PST 2) qui va accélérer le désenclavement intérieur et extérieur et relier mieux les zones de production des zones de consommation.

Le développement du secteur privé est aussi une priorité. En plus de l’Agence pour la promotion des investissements (API-Mali) qui est en train de devenir opérationnelle, le gouvernement travaille sur deux projets qui vont transformer radicalement le paysage du secteur des affaires, la Loi d’orientation du secteur privé et l’Agence de développement des exportations.

Ce programme concernant le secteur privé repose sur la promotion des petites et moyennes industries et également les très petites entreprises (TPE) qui doivent nous permettre, autour du développement agricole et tout ce qui est la chaîne de valeur non agricole, de constituer le tissu industriel du pays. C’est à cela que nous travaillons. Evidemment, il faut investir dans les ressources humaines.

Parce que pour assurer le développement, il faut des ressources humaines de qualité. Et c’est pour ça que l’école est fondamentale, car elle conditionne la croissance économique. Avec la bonne gouvernance et le renouveau de l’action politique, les politiques économiques qui sont mises en place, l’Etat œuvre à la réalisation de la stratégie de croissance accélérée qui est dans le PDES.


Les Echos : Vous avez reçu de la part du président de la République le rapport du Vérificateur général. Quel sort sera réservé au rapport ?


M. S. :
Le président de la République a effectivement instruit au gouvernement d’analyser le rapport et de prendre les dispositions pour mettre en œuvre les mesures qui s’imposent.

Avant notre arrivée, le gouvernement précédent s’était déjà penché sur le rapport, nous avons poursuivi le travail entamé. Je puis vous assurer que dans les tout prochains jours, nous rendrons public ce que le gouvernement a fait du rapport : les recommandations, leur mise en œuvre, les sommes recouvertes ; ce qui a été fait, ce qu’il y a à faire encore aujourd’hui.


Les Echos : Est-ce qu’il y a jamais eu de sommes récoltées à partir du rapport du Végal ou d’autres structures de contrôle ?


M. S. :
Mais bien sûr ! C’est le rôle du Pôle économique et financier, qui travaille dans ce sens. Je prends simplement un des volets du rapport du Vérificateur concernant les hydrocarbures. Le Pôle économique et financier reproche un manque de 15 milliards F CFA.

Je peux vous dire que les actions en cours ont permis de récupérer déjà 8 milliards F CFA. Je veillerai à ce que l’information soit donnée à l’opinion, pour donner les chiffres exacts et dire où nous en sommes également avec les rapports de la Casca.

La Casca a produit des rapports et le président de la République nous a instruit également d’informer l’opinion publique des mesures qui sont prises à l’issue de la publication de ces rapports qui condensent l’ensemble des vérifications et contrôles effectués par les différentes structures de contrôle.

Il est bon qu’on puisse dire aux citoyens, voilà ce qui a été fait en termes d’investigations, de recommandations dans telles affaires, et aussi s’il y a eu des poursuites judiciaires.

Aujourd’hui, le rapport est entre les mains de la justice, pour des aspects qui relèvent de ce niveau. Vous conviendrez avec moi que dans ma position, je ne puisse pas commenter les affaires qui sont entre les mains de la justice.

Les Echos : Qu’entendez-vous exactement des Etats généraux sur la corruption ?


M. S. :
Ecoutez, j’ai entendu même dire que les Etats généraux, ce serait encore un gadget hors PDES ! En fait, une bonne lecture du PDES permet de comprendre que ce forum est un axe majeur de la gouvernance et du renouveau de l’action publique.

Dans le cadre du renouveau de l’action publique, le président de la République a souhaité que l’ensemble des dispositions de renforcement du système de contrôle, qui a culminé avec la création du bureau du Vérificateur général, puisse fonctionner pleinement. Même si cela fonctionne pleinement, on entend dire tellement de choses !

Les Etats généraux seront un forum au cours duquel les Maliens et les Maliennes vont dialoguer, se parler. Le phénomène a une telle ampleur qu’il est bon que les gens eux-mêmes se prononcent. Dire ce qu’on va faire, peut-être même redéfinir l’éthique républicaine, redéfinir les voies et les principes qui doivent prévaloir dans la gestion des ressources publiques et à l’émergence d’une nouvelle citoyenneté.

Je crois que si on a en partage un véritable projet de lutte contre la corruption, forcément nous aurons plus de chance que l’ensemble des systèmes mis en branle soit renforcé et avec les évaluations, qu’on puisse effectivement faire émerger les valeurs et les principes qui sont absolument indispensables à une administration efficace, à un service aux citoyens qui soit un service de qualité, dénué de toute insuffisance au regard de la gestion de la chose publique. Nous attendons des Etats généraux sur la corruption un nouveau contrat social.

Les Echos : Votre Initiative riz a vraiment fait couler beaucoup d’encre. Est-ce juste un slogan ou pensez-vous obtenir vos résultats ?


M. S. :
Slogan ! Si c’est un slogan, c’est le meilleur slogan qu’on puisse trouver pour la mise en œuvre de la stratégie de puissance agricole impulsée par le président de la République. Lorsqu’on ambitionne d’atteindre 10 millions de tonnes de céréales à l’horizon 2012 et qu’on veut, rien qu’au niveau de l’Office du Niger produire 1 million de tonnes de paddy, cela veut dire qu’il faut engager des actions qui répondent à ces ambitions.

L’Initiative riz s’inscrit dans la grande campagne de rupture qu’on a envisagée pour faire de cette première campagne de ce second quinquennat, une campagne de rupture, qu’on sente une nette différence au niveau de l’agriculture qui est le socle du programme du président de la République.

Que les campagnes agricoles ne soient plus ce quelles étaient, et qu’on sente une volonté politique très forte derrière cette campagne.

Et cette volonté nette autour de ce programme est de faire en sorte que toutes les spéculations augmentent de façon significative ; et de voir comment les différents leviers en termes de subventions, d’encadrement, d’équipement peuvent permettre au monde agricole d’apporter toute la qualité en termes de production et de productivité au pays. Les acteurs du monde rural peuvent être les leviers du développement.

Aujourd’hui, l’environnement, ce que vous connaissez de la situation des produits agricoles, est venu conforter une politique lancée par le président de la République depuis quelques années, d’accélération et d’intensification des aménagements hydro-agricoles. Politique qui aujourd’hui prend un essor particulier dans le contexte que vous savez et sur lequel par conséquent on peut prendre des paris.

A une volonté de puissance agricole, il faut des paris de production. L’Initiative riz répond à cela. C’est dire également aux Maliens et Maliennes que le combat que nous menons est sur deux axes : d’une part faire en sorte que, par le jeu du bouclier fiscal, on arrive à atténuer l’impact de l’inflation sur les prix des produits agricoles ;

et, dans le même temps, ils doivent savoir que nous travaillons de manière à ce que l’essentiel de nos productions et de nos spéculations qui soutiennent notre alimentation, soit maîtrisé d’autre part.

Il nous faut prendre notre souveraineté alimentaire en main, tel que le préconise la Loi d’orientation initiée par le président de la République.

Les Echos : Est-ce que vous pensez que les intrants et les matériels agricoles seront disponibles ?

M. S. : Pour la campagne qui est en cours, les engrais sont là. Quand on a de grands programmes de cette nature, ce sont des accélérateurs à un moment donné. On ne peut pas dire qu’on va les mettre en œuvre sans difficulté. Il y a eu des difficultés. Nous avons rencontré des difficultés, mais nous nous sommes battus avec l’appui de tout le monde pour essayer de résorber ces difficultés.

Les producteurs qui sont organisés, qui sont solvables avaient déjà leurs engrais. Le problème, c’était les producteurs qui n’étaient pas éligibles parce qu’il faut comprendre qu’au centre de l’Initiative riz, c’est surtout l’intensification de la production agricole et l’extension notamment avec la semence Nerica.

Dans l’intensification, la question des engrais est centrale. Il faut donc que l’optimum soit utilisé par les paysans, par les producteurs et nous savons qu’au prix de l’engrais sur le marché, la difficulté des paysans, c’est comment faire pour y accéder et à une quantité optimale pour une production nettement plus intéressante.

En ce qui concerne les semences, il faut dire que dans toutes les zones irriguées, les semences sont disponibles, il n’y a eu aucun problème. Maintenant dans toutes les zones où il y a eu la culture de Nerica l’année dernière, celles-ci non plus n’ont pas eu de problème de semence. Le problème de semence se pose pour tous ceux qui ont voulu étendre leurs surfaces et aussi pour les nouveaux producteurs qui veulent se lancer dans la culture du Nerica, tel que souhaité par l’Initiative riz.

Aujourd’hui, on a eu quelques difficultés dans l’approvisionnement en semences. Effectivement sur la partie extension, on a eu un gap de près de 1500 tonnes de semences Nerica. Nous n’avons pas pu les acquérir. Cela a été compensé en partie d’abord par une meilleure solidarité entre les producteurs. Deuxièmement par d’autres semences de nature fluviale qui ne sont pas le Nerica.

Troisièmement, on a calculé la surface affectée par ce manque. L’incidence en notre entendement sur notre schéma opérationnel est de l’ordre de 3 %. Ces 3 %, si on s’organise, on peut le trouver dans l’amélioration du rendement. On peut aussi le trouver dans le rendement de la campagne de contre-saison.

Quand on fait le calcul, la production de l’Initiative riz est de 1,6 million de tonnes de paddy pour la campagne agricole dont 1,5 million de tonnes à peu près pour la saison et plus de 100 000 tonnes pour la contre-saison.
Il faut à peu près plus de 8000 hectares dans la contre-saison pour rattraper ce gap éventuellement.

Autrement dit, si on renseigne bien ce qu’on est en train de faire dans la saison, on peut apporter mieux à la contre-saison, laquelle ne commence que l’année prochaine à partir du mois de février. Donc, on a le temps de pouvoir gérer les problèmes en tirant tous les enseignements de ce que nous aurons vu dans la saison. Aujourd’hui, je peux vous dire qu’il n’y a aucun retard sur les calendriers de campagne.

Les Echos : Est-ce qu’il y aura les financements annoncés. Avez-vous l’accompagnement des banques ?


M. S. :
L’accompagnement des banques n’a pas connu véritablement de difficultés, pour les producteurs éligibles en tout cas. Pour ce qui concerne les producteurs non éligibles, l’impulsion donnée par le président de la République lors de la Journée du paysan a permis de débloquer la situation, pour que le gouvernement et les banques puissent arriver à s’entendre.

Deuxièmement, sur le financement que l’Etat doit mettre en place, je vous rappelle que c’est de l’ordre de 11 milliards F CFA : 10 milliards F CFA à peu près pour le soutien aux engrais et aux semences et le reliquat pour l’achat d’équipements agricoles. Nous avons déjà mis en place plus de 5 milliards F CFA dans les comptes affectés à cela.

Ce qui a facilité le soutien aux garanties des intrants. D’autre part, les appels d’offres sont déjà lancés pour l’acquisition des motoculteurs, des décortiqueuses, des motos pour les encadreurs qui vont aller sur le terrain. Et en même temps, nous avons certains de nos partenaires techniques et financiers qui ont décidé de nous accompagner.

Le Canada, pour près de 5 millions de dollars canadiens, les Pays-Bas pour 1,5 millions d’euros, le Danemark qui a financé une bonne partie, mais aussi la FAO, la BOAD, etc. Pour les partenaires techniques, il n’y a aucune difficulté ; ils ont salué l’Initiative riz. Ils ont évalué chacun comment nous appuyer.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, on n’a pas un problème de financement de l’Initiative riz. Je peux vous le dire. Et s’il y a des difficultés qui surgissent dans les modalités, nous sommes à mesure de pouvoir résoudre le problème dans le dialogue entre les producteurs, le gouvernement, les banques et les partenaires techniques et financiers.


Les Echos : Vous n’avez pas eu de période de grâce. Les crises ont commencé avec les syndicats, les étudiants juste à votre arrivée. Comment vous gérez ces situations ?


M. S. :
Je l’ai dit au début de cet entretien, la situation n’est pas facile. Il n’y a rien qui vaille le dialogue social. Nous discutons avec les syndicats autour de leurs revendications. Nous partageons les problèmes, les contraintes, les projets qui nous attendent.

Ce dialogue franc et ouvert est de nature à permettre que les partenaires sociaux et le gouvernement essayent de se comprendre et de trouver à chaque moment ce qui leur permet de passer un pas difficile ou de résoudre un problème. En ce qui concerne le protocole avec l’UNTM, le gouvernement et l’UNTM ont travaillé pour la mise en œuvre de ce protocole.

Avec l’UNTM, comme avec la CSTM et les autres syndicats, le maître mot, c’est le dialogue. Souvenez-vous que les premiers mots du Président à l’endroit de l’équipe gouvernementale que j’ai l’honneur de conduire, ont été d’être franc envers le pays, de ne pas prendre d’engagement que le gouvernement ne peut pas tenir. Voilà notre ligne de conduite.

Nous allons continuer le dialogue avec les partenaires sociaux. Comme je l’ai dit dans ma Déclaration de politique générale, nous avons connu le Pacte de solidarité pour la croissance et le développement.

Maintenant, il est temps qu’on discute avec les partenaires sociaux, les représentants du secteur privé, la société civile, les partis politiques, parce que parfois, il faut trouver des synergies nécessaires.

Il faut qu’on discute ensemble sur les efforts à fournir par les uns et les autres, afin que nous puissions avoir ce que nous souhaitons en termes d’objectif de croissance et que nous puissions partager en toute transparence, les fruits de cette croissance. Sur ces questions, il y a des discussions qui sont en cours. Nous espérons pouvoir trouver le terrain propice à une telle compréhension et à une telle synergie, qui fera que les Maliens et Maliennes vont s’engager durablement dans un projet de croissance et de développement.


Les Echos : On ne vous a pas beaucoup entendu par rapport à la crise du Nord. Est-ce que vous n’êtes pas intéressé ou qu’est-ce qu’il en est exactement ?


M. S. :
Le président de la République dernièrement, à l’occasion du 8 juin, a dit ce qu’il y a à dire sur la question du Nord, sur le rôle du gouvernement, et les missions qui lui sont confiées à travers le ministre de l’Administration territoriale, et l’ensemble des autres ministres.

Le Forum de Kidal s’est tenu. Nous en sommes à la première rencontre du schéma de mise en œuvre du forum. Prochainement, nous aurons une rencontre avec nos partenaires techniques et financiers sur la mise en œuvre de cet important programme.

Dans le cadre de l’Accord d’Alger qui reste un cadre de règlement de toutes les questions relatives au nord, le président de la République a indiqué la qualité et l’évaluation de tout ce qui concerne l’application des différents points de l’accord. Je pense et j’espère que dans ce cadre principal, nous pourrons assurer durablement la stabilité et la paix.

Les Echos : Avez-vous des nouvelles des otages maliens ?


M. S. :
Nous avons des nouvelles des otages. Nous nous tenons informés. La question des otages est parfois délicate. Et vous comprenez qu’on ne puisse pas en parler d’une certaine manière. Mais nous avons souci de ces otages.

Les Echos : Il y a une crise également au niveau scolaire du côté des étudiants comme des enseignants. Il y a le problème des amphithéâtres que les étudiants ont refusé. Comment allez-vous gérer tout ça ?

M. S. : Ecoutez, les problèmes relatifs à l’école ne datent pas d’aujourd’hui. Tout le monde sait que quand nous arrivions en fin septembre-début octobre, on ne savait pas comment l’année scolaire allait démarrer. La Faculté de médecine, les grèves illimitées du Snesup, les revendications des uns et des autres, etc. Certains de ces problèmes ont été résolus.

Les facultés ont pu effectivement redémarrer. Maintenant sur le fond, si nous prenons l’ensemble des revendications, y compris celles des enseignants du secteur privé, il y avait plus de 39 revendications d’ordre financier, matériel et institutionnel posées sur lesquelles, des différentes discussions et du dialogue avec les représentants du gouvernement, il y a à peu près 29 points sur lesquels il y a eu accords. Vous conviendrez avec moi quand même que c’est là un pourcentage important.

Maintenant pour qu’on puisse sortir de la crise comme j’ai eu à le dire dans ma déclaration, il faut un moratoire sur l’école. C’est une stratégie qui va consister à dire qu’il y a des problèmes, mais que nous avons un pays, nous avons une année scolaire à préserver et à sauver. On peut continuer à discuter, mais l’année scolaire a une fin qui répond à des normes académiques.

Nous avons dit : sur les revendications sur lesquelles nous ne sommes pas tombés d’accord pour une raison ou une autre, faisons un moratoire, c’est-à-dire suspendez vos revendications sur ce plan-là. Je dis bien suspendre, pas parce que ces revendications ne sont pas légitimes, mais simplement pour une raison ou pour une autre, nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord.

Maintenant tout ce sur quoi, on s’est mis d’accord, le gouvernement prend l’engagement de les mettre en œuvre pour que l’année scolaire puisse se terminer normalement dans l’ensemble des cycles. Je prends par exemple, le lycée, les normes académiques en termes d’enseignement avaient été faites, mais sans les évaluations. Donc, trouvons une solution à cela. Imaginez-vous que le secondaire reste en panne, vous connaissez le nombre d’élèves qui sortent du cycle fondamental…

Au moins s’il y avait une raison académique valable qui fasse que ceux qui sont dans ce cycle ne répondent pas à ces normes. Le gouvernement peut prendre la décision en accord avec les enseignants pour répondre à cela.

Mais dès lors que cela n’est pas le cas, nous devons tous avoir le souci de sauvegarder l’année scolaire et de continuer nos discussions. Puisque nous avons presque 10 ans de mise en œuvre du Prodec, il est important peut-être que les Maliens se penchent de nouveau sur l’école et c’est le deuxième point de notre stratégie qui consiste en l’organisation d’un forum sur l’école pour qu’on puisse discuter à fond sur toutes les questions qui ont trait à l’école.

L’objectif de ce forum est qu’on arrive à tirer tous les enseignements de toutes les réformes qu’on a eu à conduire jusqu’à présent. Je peux vous dire que l’école a fait de grands bonds dans beaucoup de domaines.

Maintenant, comment consolider ce qui est bien, qualitatif. Comment faire face aux défis du niveau de scolarisation croissante que nous voulons atteindre. Comment faire face au défi du secondaire, technique, professionnel et supérieur adapté à nos besoins de maintenant et à venir ?

Voilà des interrogations, la situation des étudiants, la qualité de notre école : la situation des enseignants, leur dignité, leurs conditions de travail, mais aussi leurs obligations. Les principes et les valeurs qui ont quitté l’école et qui devraient y revenir. Et çà, on ne peut le faire que dans un dialogue citoyen.

Notre histoire récente nous donne les enseignements : le Prodec qui a fait l’objet d’un grand débat est un projet de société de sortie de crise proposé par les Maliens. Le Prodej c’est la même chose, le Programme de développement sanitaire et social aussi. Il y a d’autres programmes encore sur lesquels on a eu la chance de fédérer les efforts de façon participative, dans les débats citoyens pour faire émerger les points de vue.

Donc l’école, il faut qu’on en reparle, pour qu’au sortir de là, nous ayons une école sur laquelle les Maliens et les Maliennes se seront mis d’accord. Un secondaire ou une université telle que nous le voulions, et que nous puissions dire qu’est-ce que la nation est prête à engager comme moyen ?

Je ne parle pas de sacrifice parce que ce n’est pas un sacrifice, ce sont des investissements à consentir dans les ressources humaines. Et qu’est-ce que la nation entend exiger de ceux à qui elle a confié la formation et l’éducation de ses enfants ? Qu’est-ce que la nation est prête à leur accorder en termes de valeur et de conditions de travail, en termes d’obligations également et finalement de dignité de la profession ?

Les Echos : Qu’est-ce qui n’a pas marché dans l’initiative pour une école apaisée et performante pour qu’on en soit à ce niveau ?


M. S. :
Le Forum aura à tirer les leçons de toutes ces expériences. Apparemment, il y a eu des problèmes, des avancées aussi. Par exemple prenez les étudiants, ils avaient dit qu’ils renonceront aux sorties intempestives ; qu’ils revendiqueront tout en restant en classe ; qu’ils veulent régler tels et tels problèmes dans le dialogue. D’autres n’ont pas suivi, il y a eu des difficultés. La preuve, c’est qu’on a eu des crises à répétition.

Les Echos : Est-ce que le Forum n’est pas mort-né puisque déjà la Coses a dit qu’elle ne va pas y participer ?


M. S. :
C’est un raccourci que je ne prendrai pas. Je ne sais pas si la Coses a dit véritablement qu’elle ne viendra pas au forum. Le Forum, c’est le forum des Maliennes et des Maliens. Il est un exercice républicain, de démocratie et de citoyenneté.

Le peuple malien va dialoguer avec lui-même parce que l’ensemble de notre peuple reconnaît qu’il y a un problème de l’école et que ce problème nous interpelle tous et qu’il faut s’y impliquer pour effectivement voir comment de nos débats, après avoir écouté tous les points de vue, nous pouvons sortir avec véritablement une vision stratégique de l’école, de tous les cycles d’enseignement. Comment nous pouvons sortir avec les éléments d’une université tournée vers l’innovation et la recherche. Voilà l’enjeu.

Je crois que personne ne doit rester en dehors de cela parce que vous comprenez, on a fait beaucoup d’investissements dans les infrastructures et cela va continuer. Des lycées sont en train d’être construits ; les instituts de formation, les recrutements, tout cela va continuer et cela demande des efforts supplémentaires et ces efforts ont besoin de reposer sur des valeurs, sur le partage de responsabilité.

Quant à l’Ecole de la République, elle repose sur les engagements conjoints des uns et des autres par rapport à l’éducation et à notre devenir. Le PDES, c’est la volonté d’être un pays émergent. Il n’y a pas de pays émergent sans ressources humaines de qualité. Il n’y a pas de ressources humaines de qualité s’il n’y a pas une école. Voilà tout l’enjeu, qu’on ne s’y trompe pas.

Les échos que nous recevons, sont des échos qui montrent que les Maliennes et les Maliens ont envie de dialoguer. J’ai entendu des appels lancés par des jeunes sur le site de la Primature.

J’ai même reçu des communications étrangères. Par exemple, si je peux revenir à l’une de ces personnes-là, elle disait que la question est simple et bonne à condition que les Maliennes et les Maliens se gardent de faire du saupoudrage, qu’ils s’engagent à parler des vrais problèmes de l’école, qu’ils s’engagent à construire l’école de demain.

Donc, une école républicaine de qualité, une université performante, des ressources humaines de qualité et croyez-moi, nous serons à mesure de bâtir notre prospérité à partir de là. A la suite du Président, je fais confiance à la qualité des Maliennes et des Maliens.

Parfois, nous nous sous-estimons, c’est vrai qu’il ne faut pas se surestimer non plus. Mais, nous avons de grandes qualités. Ce sont les grandes qualités qu’il faut qu’on cultive si nous voulons construire véritablement notre pays.

Nous en avons la possibilité, or aujourd’hui la situation économique est telle que ce qui apparaissait comme des contraintes à un certain moment de développement de nos potentialités, sont devenus de fantastiques opportunités et ça il faut les saisir.

Les Echos : Si vous permettez, on va un peu parler de vous. Vous passez pour un homme mystérieux, très peu de Maliens peuvent parler longtemps de vous. Qu’est-ce que vous voudriez qu’on retienne de Modibo Sidibé ?

M. S. : (Rires) Je pense que ce serait un peu présomptueux de ma part que je dise ce que je souhaite que les Maliens retiennent de moi. Ils retiendront ce qu’ils voudront, comment ils m’auront perçu. Mais, je sais que j’ai besoin de leur accompagnement pour accomplir la mission qui m’a été confiée aujourd’hui.


Les Echos : Est-ce que vous êtes candidat pour 2012 ?

M. S. : (Rires). Moi, j’ai une mission et croyez-moi que c’est une grande mission. C’est à ça que je me consacre et à rien d’autres. Aujourd’hui ce dont on a besoin, c’est qu’on se rassemble. C’est ça que le président a proposé dans le PDES, qu’on se rassemble parce qu’il y a de grands défis à relever. Comme on le dit, il est des nations, des peuples comme des familles : lorsque les difficultés sont là, on se serre les coudes. On est solidaire et l’on se bat ensemble.

Aujourd’hui, les difficultés auxquelles nous faisons face, impliquent la solidarité, c’est l’appel que le président a lancé dans un de ses récents discours. Dans la solidarité, tout nous est possible, les grandes qualités dont je parlais peuvent jouer.

Nos partenaires techniques et financiers ont récemment renouvelé et affirmé leur confiance dans la stratégie de croissance accélérée, à l’occasion de la tenue de la table ronde des bailleurs de fonds. Ils entendent nous apporter le soutien nécessaire à cela. Mais les premiers efforts, seront pour nous-mêmes Maliens, pour une bonne gouvernance, une bonne gestion des ressources publiques. Il faut qu’une autre citoyenneté émerge, plus engagée et plus généreuse, pas une citoyenneté passive.

On ne peut rien faire tout seul. Chaque Malienne et Malien peut faire quelque chose pour lui-même et pour le pays et peut faire quelque chose avec les autres. Ma préoccupation est cela, elle n’est pas ailleurs, mais elle est là.

Les Echos : C’est bientôt les vacances gouvernementales. Où est-ce que vous allez passer les vôtres ?

M. S. : (Rires). Je ne sais pas (rires). J’avoue n’y avoir pas encore pensé, ce sera certainement au Mali. Les vacances gouvernementales servent aussi à préparer la rentrée politique en septembre, la rentrée scolaire et universitaire en octobre. Je saisis cette opportunité pour appeler nos compatriotes à la vigilance sur les risques d’inondations. Les prévisions annoncent de fortes pluies dans la sous-région ouest-africaine.

Les prémices sont un peu là déjà. Le gouvernement a mis en place une commission pilotée par le ministre de l’Administration territoriale et comprenant le ministre en charge de la Protection civile pour évaluer les risques et mettre en place un dispositif de prévention et de prise en charge d’éventuels catastrophes que nous ne souhaitons pas. Ce dispositif est opérationnel sur l’ensemble du pays, et une campagne de sensibilisation est actuellement en cours pour porter l’information aux populations.

Il reste entendu que nous fondons beaucoup d’espoir sur la saison de pluies que nous souhaitons bonne pour tirer la croissance économique. Nous espérons que nous puissions à l’issue de l’hivernage qui va coïncider en partie avec le carême prochain, nous réjouir de l’accomplissement de nos obligations religieuses, mais aussi de récoltes qui combleront les espérances des Maliennes et des Maliens.

Propos recueillis par

Alexis Kalambry

25 Juillet 2008