Le capitaine commissaire Mamadou Belco Ndiaye vient de publier aux éditions Imprimeries du Mali Quand le pouvoir délire, un livre témoignage dont nous vous proposons des extraits, avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
Portant sur la période d’ébullition de l’épisode kaki de notre noire vie politique, il se veut le prolongement de Dix ans au Bagne Mouroir de Taoudénit du sergent chef Samba Gaïné Sangaré, Le Chemin de l’Honneur de l’adjudant Guédiouma Samaké, Transferts Définitifs du colonel Assimi Souleymane Dembélé, Ma Vie de Soldat du capitaine Soungalo Samaké et Le Salaire des Libérateurs, du vieux RDA, Amadou Seydou Traoré.
D’autres fils du pays, au nom du devoir de mémoire, se doivent de porter témoignage, de ce que fut notre existence commune dans une entreprise désormais aux allures de vérité – pardon et réconciliation. Dans la même veine que la célèbre pièce de théâtre des années de braise « Ni San cyenna Jate Kalo La » éditée ces jours chez Cauris Edition.
S.El Moctar Kounta
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Extraits : Le corps de Modibo Keita
…Le Président Modibo Keita décéda le 16 Mai 1977. C’est une surprise totale pour toute la classe politique et la population malienne. Pendant plusieurs jours, les affaires de l’État malien tournaient au ralenti sauf au niveau des Services de Sécurité où toutes les dispositions étaient prises pour éviter tout débordement de la foule. En ce qui me concernait, je continuais à occuper mon bureau de la salle de réunion, quand, un matin vers 7 heures, alors que je me trouvais à mon domicile, le Commandant Mamadou Bobo Sow, par téléphone, me demanda de regagner rapidement la Direction Générale où j’étais attendu.
Dès mon arrivée, il m’introduisit dans le bureau du Directeur Général qui nous dit ceci : « Vous êtes au courant du décès de l’ancien Président Modibo Keïta. Son corps sera remis ce matin à sa famille. Vous êtes désignés pour accomplir cette mission qui se fera à l’Hôpital du Point G ».
Après un silence, nous nous sommes mis au garde à vous pour ensuite nous retirer dans le bureau du Directeur Général Adjoint où nous avons mis au point les détails de la remise du corps. Dès notre arrivée à l’hôpital du Point G, nous avons été reçus par le Docteur Faran Samaké.
Dans la Cour de l’hôpital se trouvait un groupe d’hommes parmi lesquels j’ai reconnu M. Moussa Dramé et le médecin Malé Keïta, frère aîné du Président Modibo Keita, Sur indication du docteur Faran Samaké, nous nous sommes transportés à la morgue de l’École de Médecine où se trouvait le corps du Président Modibo Keïta.
Le Commandant Mamadou Bobo Sow et moi-même nous sommes mis au garde à vous face à M, Moussa Dramé et M. Mallé Keïta, Alors, le Commandant Mamadou Bobo Sow, Directeur Adjoint des Services de Sécurité dit ceci : « Au nom du Comité Militaire de Libération Nationale et de son Président, nous mettons à votre disposition le corps de l’ancien Président, Modibo Keïta, que nous vous demandons de reconnaître ici »,
C’est alors que MM. Moussa Dramé et Mallé Keita se sont penchés sur le corps qu’ils ont reconnu comme étant celui de l’ancien Président du Mali, Modibo Keïta.
Notre mission venait de prendre fin, Ce fut une cérémonie émouvante et pleine de tristesse pour moi, surtout lorsque je me retrouvai en face de ce Grand Homme que j’avais servi avec loyauté et abnégation, Que la terre lui soit légère!!!
Le 28 Février 1978
…Le matin du 28 février, comme d’habitude, je suis arrivé à mon bureau sans rien constater dans la rue, La ville semblait calme. Vers midi, j’appris que quelque chose de bizarre se passait au siège du Comité Militaire de Libération Nationale. Un dispositif timide de sécurité était en train de se mettre autour du bâtiment du Comité Militaire. Aussi, j’appris que le Directeur Général des Services de Sécurité en la personne du Lieutenant Colonel Tiékoro Bakayoko et le Ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité, le Lieutenant-Colonel Kissima Doukara étaient introuvables.
Ils auraient quitté leurs bureaux depuis le matin vers 9 heures et pourraient peut être se trouver en réunion au siège du Comité Militaire de Libération Nationale. Vers 15 heures, contre toute attente, j’appris de source sûre que Tiékoro Bakayoko et Kissima Doukara ont été mis aux arrêts par le Président du Comité Militaire Moussa Traoré et que ces deux Officiers seraient même gardés dans les toilettes des locaux du Comité Militaire de Libération Nationale…
La mort de Tiékoro et de Kissima
L’adjudant chef M’Fali Ould Boïda reviendra remplacer son collègue Moussa Camara, les corvées continuèrent avec le même rythme sans répit et sans aucune exception pour les grands malades.
L’adjudant chef, Mamadou Lamine Sissoko, arrêté dans « l’affaire dite des Gendarmes », mourut dans un état piteux, par manque de soins médicaux, Après lui, ce fut le tour de M. Alassane Seck, fonctionnaire du ministère des Finances, arrêté lui aussi dans « l’affaire dite des Gendarmes », il était atteint de béri-béri, maladie qui enfle le corps. Et d’autres.
La décision d’isoler Kissima Doukara dans une petite case au bout du camp pénal tomba. A partir de ce jour, Kissima Doukara fut interdit de corvée avec les autres détenus.
Il devait vivre dans cette case où tous les matins des soldats venaient le rouer de coups à l’aide de matraque et de fils de fer. Je suis passé le voir plusieurs fois en prenant le risque de me rendre dans son cachot qui restait ouvert.
Kissima Doukara souffrait terriblement. Certaines parties de son corps étaient enflées, notamment son visage, sa tête et surtout le sexe. Je m’apitoyais sur son état, mais lui me regardait sans mot dire.
Il ne s’est jamais plaint et personne ne l’a jamais entendu crier ou râler sous les coups de matraque. Bien que souffrant atrocement, il n’a jamais rien demandé à personne. Il était d’un calme et d’un courage exceptionnel. Les soldats continuaient à torturer Kissima Doukara espérant qu’il allait mourir d’un moment à l’autre.
C’est ainsi que le 19 août 1983, vers 6 heures, Tiékoro Bagayoko vint m’informer qu’un soldat était venu le chercher de la part de l’adjudant-chef Moussa Camara. Cette convocation très matinale de Tiékoro Bagayoko me parut un peu bizarre.
Je lui posais la question de savoir s’il soupçonnait quelque chose. Il me répondit que non. Nous nous sommes longuement regardés dans le silence. Puis je lui dis d’aller répondre à l’appel avec l’espoir que nous nous reverrions, le soir à mon retour des salines. Tiékoro me quitta, prit la direction du camp militaire, escorté par un soldat.
Vers 19 heures, à mon retour, pendant que je m’approchais de ma case, mon codétenu, Abdoulaye Youssouf Maïga, me fit signe. Je l’approchai et il me dit ceci: « Nous avons enterré Tiékoro ce matin ». Je me suis affaissé par terre avant de m’exclamer: « Comment ? Vous avez enterré Tiékoro ! »
Il me précisa que l’adjudant-chef avait fait appeler une équipe de détenus pour transporter le corps de Tiékoro gisant sur le sol, au Fort Niantao et que le corps fut enterré après que Mamadou Bobo Sow l’eut lavé.
C’était incroyable pour moi: Tiékoro Bakayoko venait de me quitter le matin, le soir il n’était plus, Que s’était-il réellement passé ?
Comment Tiékoro Bakayoko avait-il trouvé la mort? Ces questions restèrent sans réponse auprès de ceux qui l’avaient enterré, La seule indication qu’ils me donnèrent était que son corps ne portait aucune trace visible, Je pensai alors à une « mort par asphyxie ».
Ce soir là, le camp pénal était en deuil. Les détenus se terrèrent dans leur case avec la peur au ventre. Tiékoro Bakayoko avait ouvert le bal de la mort. A qui le tour? Pendant ce temps, Kissima Doukara était toujours isolé, presque mourant, dans la case où les soldats continuaient à le torturer.
Les jours passaient mais ne se ressemblaient pas, Il ne nous restait plus qu’à rendre l’âme! Et, au matin du 15 septembre 1983, vers 9 heures, nous étions en corvée quand un soldat vint nous dire que l’adjudant chef avait besoin de quelques détenus au Fort Niantao. Je me retrouvai dans le groupe désigné, mais quelle ne fut notre surprise de nous trouver devant le corps de Kissima gisant là, par terre! Je n’en croyais pas mes yeux: j’avais vu Kissima, le matin même, dans sa case, Eh oui, Kissima Doukara avait cessé de vivre, “mort, mystérieusement, comme Tiékoro Bakayoko.”
Nous avons reçu l’ordre d’enterrer le corps, Nous l’avons donc transporté, dans une brouette jusqu’à sa case. Après une concertation rapide, une équipe fut désignée pour creuser la tombe. A Taoudénit, creuser une tombe n’est pas chose facile, Le sol est composé d’une matière minérale extrêmement dure, C’est pourquoi, les tombes à Taoudénit ne répondent pas aux normes de la religion musulmane qui prévoit une petite tombe à l’intérieur de la grande. Des détenus ont donc été enterrés à Taoudénit les jambes pliées.
Nous avons voulu éviter à Kissima Doukara une telle sépulture indigne d’un musulman. Aussi, avant de me rendre au cimetière avec mes camarades pour creuser sa tombe, j’ai pris soin de mesurer sa taille avec une ficelle, Mes camarades et moi avons accepté de peiner pour lui creuser une tombe à la dimension de son corps, Il a été proprement lavé et mis dans un linceul neuf, Nous avons prié sur lui avant de l’inhumer.
Voilà comment a fini le Lieutenant Colonel Kissima Doukara, ancien Ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité du Mali. Il a atrocement souffert pendant sa détention, mais a toujours fait preuve d’une foi inébranlable et d’un courage admirable. Militaire qu’il était, il eût préféré être fusillé que de mourir après plusieurs semaines de tortures.
Les parents et la famille de l’Enfant de Mourdiah peuvent être fiers de leur fils et de leur père, mort dans l’honneur et dans la dignité. Kissima Doukara était un détenu qui parlait peu. Cependant, un jour, il m’a clairement dit que, s’il était libéré, à la première occasion, il sauterait au cou du Président Moussa Traoré, Sinon, il l’attendrait devant la porte du Bon Dieu pour que justice soit faite !
Quant à Tiékoro Bakayoko, sa mort fut une surprise pour moi et certainement pour lui-même, Tiékoro Bakayoko m’avait toujours laissé croire que le Président Moussa Traoré ne le tuerait jamais, en raison des rapports étroits et de confiance qui s’étaient tissés entre eux pendant leur collaboration.
Pour lui, le président Moussa Traoré se souviendrait toujours de son action pour sécuriser sa propre personne et le régime du Comité Militaire de Libération Nationale. Moussa envoya son chien enragé le mordre….
A suivre…
16 avril 2010