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Droukdel et Ouattara ; la Cedeao et son médiateur ; le Mali et ses paradoxes. Le weekend a davantage édifié sur la trame, ou plus exactement sur le drame du Mali du jour : les oueds où l’on ne peut plus piqueniquer qu’à son corps défendant, la cohésion de communautés métissées par des siècles de compromis, enfin la fierté ravalée d’un pays de princes désormais plus sensibles au chéquier qu’à l’Adn.

Droukdel et Ouattara. L’émir d’Aqmi et le président de la Cedeao n’ont, sans doute jamais siroté ensemble le thé vert dans les montagnes kabyles d’Algérie ou sur les dunes sahariennes du Mali. Mais ce weekend, à Yamoussokoro, sans doute, a plané l’ombre de l’émir de plus en plus touché par la grâce des victoires-éclair de ses moujahidines ou de l’éboulement déconcertant de ses adversaires, c’est selon. Entre l’islamiste et le laïc, beaucoup de différences.

L’un est immensément riche des rançons et des reversements encaissés. Ensuite, seule son interprétation du Coran le bride. L’autre n’a pas les moyens qu’il faut et est tenu par la légalité internationale. Cent jours après s’être saisis du dossier malien, lui et ses pairs en étaient encore à solliciter l’approbation Nations-Unies pour l’envoi d’une force internationale au Nord du Mali.

Au même moment, à l’arme lourde, Droukdel nettoyait Gao de toute présence du Mnla, avec lequel il avait, début janvier 2012, commencé la sanglante joint-venture du septentrion malien. Avant dans sa lancée, de commencer son plan de destruction des vestiges de la sainteté religieuse de Tombouctou, une des merveilles du patrimoine mondial désormais en péril. Dans une sorte de marche à reculons où les jihadistes d’Aqmi peuvent quasiment tout et les présidents de la Cedeao très peu.

La Cedeao et son médiateur. Tout au long de la crise malienne, ces présidents, en tout cas, ne se seront imposés comme des chefs d’œuvre de clarté et de cohérence. Tout se passe d’ailleurs comme si, match dans le match, l’enjeu est moins le retour du Mali – Sud et nord compris- à la normalité que le désaveu systématique des points d’accord trouvés par la médiation burkinabé pourtant menée en tandem avec la participation, au niveau ministériel, de l’émissaire du président en exercice de la Cedeao. Inquiétantes illustrations cette guerre à fleurets mouchetés : en avril, l’accord-cadre légitime la junte en signant avec elle et stipule que son rôle sera précisé par la transition et en juin, le 41è sommet de la Cedeao dit qu’il ne reconnait pas le Cnrdre.

En mai, la médiation consent à accorder au chef du Cnrdre des avantages d’ancien chef d’Etat, en juin le 41è sommet rejette le « statut » (sic) d’ancien chef d’Etat au capitaine Amadou Aya Sanogo. Mitterand disait qu’ « en politique on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment ». En mettant en œuvre ce postulat au Mali, la Cedeao trimballe davantage un pays en crise mais qui, hélas est tout aussi dangereux contre lui-même que contre la paix du monde.

Le Mali et ses paradoxes. Mais l’accord-cadre a été violé plusieurs fois et pas que par la Cedeao. Le Premier ministre malien qui lui doit toute sa légitimité ne l’a pas honoré en excluant la classe politique d’un gouvernement qui devait être d’union nationale. Ce n’est pas le seul paradoxe. Il y a celui de la présidence de la transition. Celle-ci est normalement une institution-phare de cette transition et pas un gadget. Mais la convalescence et l’éloignement, réduisent l’input du président Dioncounda Traoré. Or justement, on en est là parce que ce poste était devenu un enjeu, par le pouvoirisme des uns et la folie meurtrière des autres.

Que dire donc du parlement qui s’est auto-validé vendredi en « acceptant » conformément à l’accord-cadre d’être prorogée ? Pas grand-chose vraiment, sauf que sa prorogation cherche peut-être à conjurer la jurisprudence guinéenne avec un législatif nommé plutôt qu’élu. Notre assemblée a voté, pour la paix, l’amnistie et l’indemnisation des faits relatifs au putsch du 22 mars. Initiera t-elle une proposition de lois ou sera-t-elle saisie par un projet de loi dans ce sens pour les événements malheureux du 30 avril ? Au nom de la paix qui n’a pas de prix, de l’harmonie dans une armée dont nous avons fortement besoin aujourd’hui.

Le Mali sait surprendre et on verra. En attendant, survolons simplement le dernier paradoxe qui dit tout : le gouvernement a perçu l’ampleur du péril acridien et a sollicité l’appui international. Sur la crise du Nord, il n’a pas cru devoir demander des forces d’appui alors que l’Onu, l’Ua, la Cedeao disent attendre même un petit hochement de tête.

A vos larmes, citoyens. Le présent est triste pour ce pays qui fut grand et que nous pouvons restituer, encore plus grand, à nos enfants. Foccart avait dit le respect mêlé de crainte que de Gaule avait pour le nationaliste Modibo Kéita. A Mohamar Kadhaffi au faîte de sa puissance, Moussa Traoré avait osé dire que le Mali n’était pas à vendre. Alpha Oumar Konaré a signifié à Jacques Chirac qu’un président malien ne répond pas aux convocations.

Amadou Toumani Touré n’a jamais voulu que Tessalit soit une base de puissances occidentales. Aujourd’hui, avec l’aide des autres, il s’agit de remettre le Mali sur sa trajectoire. Le réconcilier avec son histoire qui n’a été ni linéaire ni immaculée et qui, comme partout ailleurs, résulte des chocs entre des desseins et des destins. Elle eut sa part d’éclipses. Ce qui nous est demandé aujourd’hui, c’est de lui ramener sa part de rayonnement. Et plus qu’à d’autres, grand privilège mais servitude redoutable, c’est à Dioncounda Traoré, Cheick Modibo Diarra et Amadou Aya Sanogo que la mission incombe.

Adam Thiam

Le Républicain du 2 Juillet 2012