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Acteurs, mais aussi victimes du conflit interne qui a éclaté en Septembre 2002, les journalistes ivoiriens et leurs entreprises en ont payé un très lourd tribut : journalistes molestés, rédactions saccagées, vendeurs aux carrefours agressés… Aussi, dans un pays aujourd’hui en voie d’apaisement, la légitimité des médias ivoiriens passe avant tout non seulement par le retour à la déontologie, qui exige la formation (ou du moins la reformation), la modération et la confraternité, mais surtout par l’instauration d’une paix définitive,… si tant est que cela soit possible.

Aujourd’hui, la Presse ivoirienne n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut naguère, à l’époque où Abidjan était citée en exemple pour la réussite de son parcours politique depuis l’indépendance, son ancrage dans la démocratie et sa volonté de développement économique.

Comme dans toutes les colonies françaises, la Côte d’Ivoire a d’abord connu le régime du parti unique et son corollaire : les médias d’Etat. Mais bien avant d’autres dirigeants africains, le premier Président Félix Houphouet Boigny avait compris que le sort de son pays dépendait de l’adhésion des citoyens à ses objectifs. Et que pour les faire connaître et partager, la Presse et la radio étaient les vecteurs essentiels.

Le quotidien “Fraternité-Matin“ était l’arme la plus précieuse. Confiée à des professionnels formés dans les meilleures écoles du Nord, ce quotidien gouvernemental était déjà un vrai journal. Du reste, l’un de ses anciens directeurs, Laurent Dona Fologo, est un ancien de l’école de journalisme (ESJ) de Lille, en France. Il fut, par ailleurs, ancien président de l’UPF, ensuite ministre de l’Information, avant de présider le Comité Economique et Social.

Des journaux trop proches du monde politique

Certes, la mission des équipes de “Fraternité-Matin“ était avant tout de promouvoir l’action des autorités, d’être des “agents de développement“. Mais sans aller jusqu’à la critique, le contenu du journal n’en était pas pour autant un recueil de louanges de l’action du Président et de ses ministres. C’est justement ce savoir-faire journalistique qui avait fait la réputation de l’organe dans toute la Francophonie.

Puis vint 1990 et le discours de La Baule de l’ancien Président François Mitterrand, exprimant la volonté française de ne plus soutenir que les pays qui s’ouvrent à la démocratie, c’est-à-dire, entre autres critères, ceux qui pratiqueraient le multipartisme et institueraient la liberté de la Presse.

Comme ailleurs, grâce à la Loi de 1991 (toujours en vigueur), la Côte d’Ivoire a alors connu une explosion de titres de journaux. Durant la présidence d’Henri Konan Bédié, qui débuta en 1993, à la mort du “Vieux” (F.H. Boigny), on a compté jusqu’à… 187 organes paraissant plus ou moins régulièrement.

Comme ailleurs aussi, le revers de la médaille fut l’apparition de journaux financés par des personnalités politiques ou simplement à leur solde, et par l’irruption, dans le monde de l’information, de “professionnels“ pas ou peu formés, dont certains se sont comportés, des années durant, comme des militants et non des journalistes.

Peut-être encore plus qu’ailleurs -parce que la conscience politique y était plus éveillée-, la Côte d’Ivoire a vu naître trop de titres de journaux dans lesquels, pour démontrer les qualités de leurs mentors, les rédacteurs pratiquaient l’injure, la diffamation et la diffusion de fausses nouvelles.

Heureusement que tous n’ont pas succombé. Par exemple, “Le Jour Plus“ s’était taillé une belle réputation, en étant l’un des rares quotidiens ayant su se placer au dessus des clivages politiques. Hélas, un conflit entre ses actionnaires et le directeur de la publication -accusé de mauvaise gestion et de dérive éditoriale- a conduit à une chute des ventes du journal de 20 000 à 10 000 exemplaires, avant même les années noires de la guerre.

Des éditoriaux aux allures de combat militaire

Au fil des années, cette Presse trop engagée n’a pas résisté au plaisir de se vautrer dans des querelles politiques. D’autant plus que, compte tenu d’une concurrence encore très forte en 2001, Abidjan comptait vingt quotidiens et une trentaine de magazines. Il fallait alors savoir se différencier. Aussi, tous les observateurs s’étaient accordés sur ce point : les journaux ivoiriens ont joué un rôle majeur dans la montée des haines, dans la dérive du concept culturel de “l’ivoirité“, vers sa lecture politique oh combien restrictive et dangereuse.

Au rythme du délitement de la cohésion sociale du pays, les journalistes, de plus en plus militants, se sont mis à invectiver leurs confrères, à utiliser la rumeur et le sensationnaliste, à pratiquer le chantage. Ainsi, dans de nombreuses rédactions, le professionnalisme a sombré peu à peu. Et le coup d’Etat du Général Gueï, en 1999, ne fera qu’accentuer les dérives.

Dès les premières escarmouches de Septembre 2002, la Presse, naturellement, s’est trouvée au coeur de la bataille. “La violence extrême des lignes éditoriales a paru parfois comme un prolongement des combats se déroulant derrière l’autre ligne, celle du front militaire“, écrivait, quelques mois plus tard, Ibrahim Sy Savané, dans une analyse sans concession, publiée par le site “Africultures”.

A l‘époque consultant, cet ancien journaliste, qui fut aussi directeur d’un groupe de presse ivoirien, est aujourd’hui ministre de la Communication dans le gouvernement de réconciliation issu de l’Accord de Ouagadougou.

Le climat de violence était alors suffisamment exacerbé pour qu’au- delà de la lutte sans merci entre titres défendant des politiques et des personnalités opposées, on s’accuse de tiédeur entre journaux de même tendance”, notait M. Sy Savané, après avoir démontré qu’en réalité, cette volonté des rédactions d’en découdre entre elles n’avait pas fait progresser la diffusion des quotidiens qui, depuis dix ans, est restée autour des 100 000 exemplaires. (A suivre)

Oumar DIAWARA

19 Septembre 2008