Pendant la guerre interne de la Côte d’ivoire, la liste des exactions survenues est démesurée. Menaces, intimidations, enlèvements, bastonnades, incendies, destructions d’exemplaires ont été légion, tous les belligérants ou leurs soutiens populaires ayant eu recours à ces méthodes expéditives pour faire taire l’adversaire…
Ces attitudes belliqueuses ont très rapidement eu des conséquences tragiques, y compris pour les quelques professionnels ivoiriens qui tentaient, vaille que vaille, de conserver leur sang-froid, et les journalistes étrangers travaillant dans le pays pour les médias du Nord.
Jean Hélène et Guy-André Kieffer
Cela est allé du cauchemar des enlèvements, des rapts et des disparitions, jusqu’à l’horreur de l’assassinat de Jean Hélène, par quelques militants politiques dits “incontrôlables“. Les seuls torts de ce correspondant de Radio France International (RFI) à Abidjan étaient de vouloir exercer son métier en toute indépendance et d’être Français, dans un pays, à l’époque, chauffé à blanc contre Paris.
La plus inquiétante -parce qu’elle n’est toujours pas élucidée- est la disparition de Guy-André Kieffer, un journaliste indépendant franco-canadien qui n’a plus donné signe de vie depuis Avril 2004, alors qu’il enquêtait sur les malversations dans certaines filières de production.
Bien qu’aucune preuve irréfutable de leur implication n’ait été apportée, des proches du Président Laurent Gbagbo ont été soupçonnés à l’époque. Et aujourd’hui encore, leurs dénégations ne font pas taire leurs accusateurs. Il est vrai qu’après plus de trois ans d’investigations, les enquêteurs locaux et étrangers ne sont plus parvenu à étayer une autre piste.
Dans ce climat extrême de haine entre médias, aucune institution n’a pu rétablir le calme. Même les Nations Unies, dont la Résolution 1572 du 15 Novembre 2004 demandait aux autorités ivoiriennes de “faire taire les voix incitant à la haine, à l’intolérane et à la violence“, n’ont pas été écoutées à l’époque.
Quant à la Commission Nationale de la Presse (CNP) et au Conseil National de la Communication Audiovisuelle (CNCA) -créés par la Loi de 1991-, la division du pays et l’attitude belliqueuse des diverses autorités, “légales” ou ”rebelles“, leur avaient fait perdre tout pouvoir et tout crédit.
Côté autorégulation, la situation n’était guère plus brillante. l’Union Nationale des Journalistes du pays, déjà divisée avant même 2002, n’avait, bien sûr, plus rien d’une union. Et les divers syndicats professionnels ne réunissaient, chacun, que des journalistes du même bord politique.
Le feu couve toujours
Seul l’Observatoire de la Liberté de Presse et des Médias (OLPED) qui, créé en 1995, jouissait d’une excellente image dans toute l’Afrique francophone, a pu, à un certain moment, poursuivre sa tâche auprès des rédactions, dénoncer les errements, les entorses à la déontologie et le manque de confraternité.
Mais sur la puissance de l’OLPED, son président, Alfred Dan Moussa -aujourd’hui directeur des rédactions de “Fraternité- Matin“ et président de la section locale de l’union panafricaine de la Francophonie (UPF)- ne se faisait guère d’illusion. “La guerre est un moment de pure folie qui empêche tout fonctionnement normal d’un organisme , au surplus, dépourvu de moyens et ne reposant que sur le bénévolat”, jugeait-il à l’époque.
Les journalistes ivoiriens ont-ils, à un moment ou à un autre, pris conscience qu’ils ne faisaient plus leur métier, que leurs invectives quotidiennes alimentaient les haines, alors qu’au contraire, leur rôle aurait dû être de rapprocher les protagonistes les uns des autres ? Rien, absolument rien, ne permet encore de le penser.
Aujourd’hui encore -moins fréquemment, il est vrai, moins durement aussi-, certains journaux n’hésitent pas à publier de fausses nouvelles, à déformer les faits, à écrire des commentaires qui sont autant d’appels au combat. A Abidjan, tous les matins, le public continue à pratiquer la “titrologie“, une technique qui consiste à lire toutes les “unes“, mais… sans les acheter.
Un long et difficile retour aux beaux jours
En fait, ce semblant d’apaisement de la guerre médiatique est dû aux politiques qui, depuis l’Accord de Ouagadougou, ont enfin calmé les ardeurs. Pourtant, hier, ces politiques l’attisaient ; mais aujourd’hui, ils la dénoncent publiquement. Depuis la constitution d’un gouvernement de réconciliation nationale, le pays reprend ses marques et retrouve peu à peu le calme, mais reste profondément traumatisé, socialement et économiquement.
Les médias ivoiriens sont à l’image de toute la Côte d’Ivoire. Les années de guerre ont mis bas tout le bel édifice d’antan. Pendant que certains journaux ont disparu, d’autres vivotent. D’où la chute considérable de leur diffusion. Quant à la publicité, déjà peu développée auparavant, elle tarde à revenir.
Aujourd’hui, la société de distribution, filiale de “Fraternité-Matin”, EDIPRESSE, se réimplante progressivement dans tout le pays. Mais les petits vendeurs au coin de la rue restent toujours méfiants. Bref, de l’avis général, le recul est considérable. C’est dire que le retour aux beaux jours sera d’autant plus long et difficile que l’on ne saurait effacer d’un trait de plume les rancœurs nées dans ces années noires, encore si proches.
Aussi, tout l’art de ceux qui ont ou auront en charge des responsabilités dans le secteur des médias est et sera nécessaire pour rétablir vraiment le dialogue entre confrères. L’UPF, à sa place, incitera à cette indispensable réconciliation.
Préparer les esprits, pour l’élection présidentielle
Sur ce chemin du retour à la concorde et à la confraternité, une étape appoche, que chacun appelle de ses vœux, mais redoute aussi : l’élection présidentielle. En effet, beaucoup d’Ivoiriens craignent qu’à l’occasion de la campagne électorale, certains médias reprennent leurs diatribes enflammées, et que des titres de circonstance apparaissent, qui n’auront d’autre objectif que de disqualifier l’adversaire par tous les moyens, y compris les moins avouables. Dans un tel contexte, le moindre incident pourrait tourner au drame.
Les autorités gouvernementales en sont aujourd’hui parfaitement conscientes. Aussi, dès son arrivée au ministère de la Communication, Ibrahim Sy Savané (proche des Forces Nouvelles), a entrepris d’accompagner les médias dans la sortie de crise et de préparer les esprits à ce scrutin, avec le soutien officiel du Président de la république.
Plusieurs fois déjà, M. Sy Savané avait appelé fermement les journalistes (en particulier, ceux des organes de presse) à trouver un ton plus équilibré dans leurs commentaires, et leur a conseillé de s’intéresser aussi à d’autres informations que celles fournies par l’actualité politique.
La guerre ayant désarticulé la plupart des institutions du pays, le ministre s’était donné pour tâche de réorganiser celles placées sous sa tutelle, avant la fin de l’année 2007. Dans les semaines qui ont suivi, les membres du CNCA et du CNP qui, pour la plupart, siégeaient, alors que leur mandat est depuis longtemps achevé, seront remplacés par de nouveaux conseillers régulièrement désignés.
Le Conseil National de la Publicité devrait être doté d’un véritable statut, (inexistant à l’époque). Et de nouveaux conseils d’administration de “Fraternité-Matin“ et de la RTI (Radio Télévision Ivoirienne) devraient être mis en place, plus représentatifs de la volonté d’ouverture et de réconciliation des responsables politiques. Récemment, le ministre avait aussi annoncé l’organisation d’une table ronde sur “l’accès équitable aux médias publics“.
Rétablir un statut social
Autre chantier lancé par le ministre de la Communication : la création d’une Convention collective des journalistes, première étape d’une remise à plat nécessaire du statut de la Presse. Aussi, depuis Juillet 2007, un groupe de travail planche sur l’élaboration de ce texte qui, selon le ministre, doit permettre de faire face à “la dégradation sociale de la corporation des journalistes“.
Cette convention devrait permettre d’accorder, aux professionnels de la communication, “un minimum de protection et de garantie“. Enfin, dans la mesure de ses moyens, l’Etat devrait reprendre rapidement sa politique d’aides à la Presse. Des aides dont elle a plus que jamais besoin, tant le boom en arrière qu’elle a subi est impressionnant.
Mais tout cela est-il suffisant pour que les médias, même disposant à nouveau d’un cadre de régulation et d’autorégulation, n’aillent pas au-delà de leur rôle, pendant cette campagne présidentielle tant attendue, mais tant redoutée? On doit l’espérer, tout en craignant de nouveaux dérapages. D’où l’idée (déjà ancienne, exprimée çà et là, mais qui, aujourd’hui, retrouve une certaine vigueur) de durcir les conditions requises pour la création et la publication de journaux.
La procédure actuelle (une simple déclaration auprès du Procureur de la République et un dépôt légal) est encore rare en Afrique. Mais il serait dommage que ce dispositif, élément décisif de la liberté d’éditer, soit remis en cause, au moment où la Côte d’Ivoire entend montrer au monde qu’elle a retrouvé le bon chemin.
Mieux vaudrait alors que tous les journalistes deviennent ou redeviennent de simples professionnels de l’information au seul service de leurs concitoyens, qu’un respect mutuel s’instaure en leur sein, et qu’ils bénéficient de la formation nécessaire à un exercice de leur métier. C’est cet espoir que l’UPF entendait exprimer en organisant les assisses de Yamoussoukro sur le thème “Médias, démocratie et paix“.
Oumar DIAWARA
23 Septembre 2008