Je sais que les lecteurs ont compris de qui je parle : Gaoussou Drabo, ministre de la Communication et des Nouvelles technologies. Il vient s’ajouter à la liste des ministres qui, d’une manière ou d’une autre, mettent la République en danger et affaiblissent l’Etat.
Pour rappel, je dois dire qu’il succède aux ministres de la Culture (Cheick Oumar Sissoko), de l’Economie et des Finances (Abou-Bakar Traoré), de l’Education nationale (Pr. Mamadou Lamine Traoré), de l’Agriculture (Seydou Traoré), de la Sécurité intérieure (colonel Sadio Gassama), de la Jeunesse et des Sports, (Dr. Moussa Balla Diakité), de la Justice (Me Fanta Sylla) et du Développement social (Djibril Tangara).
Je sais que, plus que tous les autres, le choix de Gaoussou Drabo pour cette liste pourrait surprendre même ceux qui ne le portent pas dans leur cœur. Primo, il est presque une icône dans notre profession. Secundo, parce qu’il est notre aîné bien aimé et bien respecté. Tertio, parce que surtout c’est un confrère. Trois raisons qui auraient pu m’empêcher de le prendre dans cette liste.
A tout cela, j’oppose le fameux adage qui déclare que « qui aime bien, châtie bien ». Sans oublier le fait que maintenant, au même titre que les autres membres du gouvernement, il assume les charges de l’Etat. Et je dois le dire, par deux fois, son employeur qu’est le président de la République a manifesté un mécontentement par rapport à son rendement. Et par les deux fois, c’était en des moments très solennels.
La première fois, c’était le 8 juin 2004. L’ensemble de la presse nationale et internationale (celle qui est accréditée et celle qu’on a fait venir pour couvrir les festivités de l’accession d’ATT au pouvoir) était en face du président ATT dans la salle des banquets de la présidence. ATT venait de renvoyer l’équipe du Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani.
Et bien entendu, il devait répondre aux multiples questions des journalistes présents ce jour. ATT a lâché ce que j’ai appelé en son temps la phrase qui tue. « Il faut reconnaître que Ag Hamani et son équipe ont bien travaillé. Mais seulement c’est la communication qui était mauvaise », avait-il argumenté.
J’avais dit en son temps que c’était une phrase assassine et qu’ATT venait de jeter une pierre dans le jardin de son ministre. Ce d’autant plus que Gaoussou, qui avait été reconduit, était le seul membre du gouvernement présent ce jour-là.
C’est vrai que comme « sanction » pour la « mauvaise communication » dont ATT semblait se plaindre, Gaoussou Drabo avait vu son portefeuille ministériel délesté, à la faveur du remaniement, du volet porte-parole du gouvernement. Un an jour pour jour, le président ATT a remis le couvert.
Dans les mêmes circonstances de date (le 8 juin) et de lieu (salle des banquets de la présidence), à la faveur de la traditionnelle conférence de presse, ATT a déclaré devant toute la presse que « c’est vrai que ces derniers temps il y a eu beaucoup de communication, mais il faut reconnaître que la communication ne suit pas ».
Et comme l’année dernière, Gaoussou Drabo était le seul ministre présent à ses côtés. Pour que le président de la République revienne sur le sujet par deux fois, c’est qu’il n’est vraiment pas content de son ministre.
Mais je dois avouer qu’ATT n’est pas le seul à se plaindre de Gaoussou Drabo. Je l’ai dit au début, Gaoussou était apprécié pour ses analyses.
Quand il animait la rubrique « l’Avenir politique du Mali », rares étaient les journalistes qui n’auraient pas souhaité faire les papiers qu’il signait et nombreux étaient les hommes politiques à attendre impatiemment le mardi, jour de parution de sa chronique, pour se précipiter sur le journal et prendre connaissance de la vision de Gaoussou, de l’analyse du jour.
Et même ceux qui ne partageaient pas son point de vue reconnaissaient et saluaient les efforts et les précautions que prenait Gaoussou pour approfondir son analyse et rendre plus solides pour ne pas dire inattaquables ses arguments.
Pour la communauté des journalistes, c’était une sorte de khalife qui veillait au dogme, qui prêchait par l’exemple et qui éclairait tout le monde.
C’est pour cette raison que malgré la satisfaction de tous de le voir nommé ministre, beaucoup craignaient pour le sort de « l’Avenir politique du Mali » et se demandaient qui désormais allait se charger des analyses lumineuses sur le sport.
Mais il vaut avouer que le « doyen » a plus d’un tour dans son sac et il a sorti ce qui ressemble ni plus ni moins à une botte secrète : Kalifà. Littéralement, en langue nationale bamanan, Kalifà signifie quelque chose qu’on confie.
On s’est vite rendu compte que Kalifà avait la même plume que Gaoussou, le même style que Gaoussou, la même prudence que Gaoussou et nombreux sont ceux qui ont conclu que « l’Avenir politique au Mali » était en de bonnes mains. Tout comme d’ailleurs le sport sur le terrain duquel il effectue des incursions sporadiques.
Au fil des semaines, tout le monde est arrivé à la même conclusion : Kalifà et Gaoussou ne font qu’un. Et c’est là que personnellement j’ai commencé à nourrir des craintes.
En effet, je me suis toujours demandé si Kalifà disposerait de temps pour nous livrer ses analyses approfondies, Kalifà disposerait-il suffisamment de temps pour soigner ses approches, ne ferait-il pas un travail bâclé vu l’emploi de temps des ministres ?
Enfin, étant membre du gouvernement Kalifà aurait-il le recul nécessaire, la lucidité requise pour poser un regard froid sur ce qui se passe, en somme Kalifà pourrait-il être juge et parti ?
Et je sais que je ne suis pas le seul à nourrir ces craintes. Kalifà n’allait pas manquer d’occasion pour conforter ce qui nous tourmente.
D’abord plus que par le passé, « l’Avenir politique du Mali » est fréquemment sur une seule colonne. Ce dépérissement « physique » prouve, de manière empirique, que Gaoussou n’a plus le temps de se consacrer à cette tâche ni de répondre convenablement à l’obligation morale et professionnelle à l’attente de ses lecteurs. Donc, il effectue juste le minimum syndical histoire de marquer sa présence, histoire de dire que Kalifà tente tant bien que mal d’assurer.
Ensuite, les lecteurs ont pu constater à maintes reprises que les analyses de Kalifà sont faites à main levée pour ne pas dire qu’elles manquent d’épaisseur et laissent très souvent le lecteur sur sa faim. Enfin, quand Kalifà décide de se lâcher, on frôle l’incident « diplomatique » à chaque fois.
J’ai lu récemment dans la presse que l’ancien entraîneur des Aigles, Mamadou Kéita dit Capi se trouve au tribunal contre Kalifà (sans préjuger de ce que la justice dira, je peux affirmer que par le passé, on a rarement vu une plainte contre Gaoussou). Pour anecdotique qu’il puisse paraître cet épisode n’en demeure pas moins marqué du sceau de la gravité.
Comme tous les lecteurs, j’ai remarqué que Kalifà charge assez rudement les partis politiques. Souvent on peut croire que les partis ne trouvent grâce à ses yeux que quand ils se taisent dans leur petit coin, comme des enfants qui ont fauté et qui doivent expier leur péché. Les exemples foisonnent où Kalifà poursuit les partis presque pour délit d’opinion.
A mon sens, à tous ces moments, Kalifà met en danger le fragile échafaudage sur lequel nous sommes depuis 2002. Parce que charger les partis politiques, pour un journaliste, il n’y a rien de plus normal. Mais le faire en étant membre d’un gouvernement qui ne tient en partie que grâce à eux ne semble pas approprié pour ne pas dire qu’il s’apparente même à un casus belli.
On peut citer les cas où Kalifà s’étrangle presque à l’idée que les partis politiques puissent tenir des conférences de cadres, des réunions politiques les assimilant à une stratégie de harcèlement qui vise à encercler le président de la République. On peut citer les cas où il dresse différents scénarii, avec une bonne dose de subjectivité, par rapport à 2007. Mais les partis ne sont pas les seules cibles de Kalifà.
En effet, il lui arrive parfois de critiquer l’activité gouvernementale dans ce qu’elle manque de liant, d’anticipation, de finesse dans certaines approches. Et n’eut été l’hypocrisie ambiante, je n’oserais même pas imaginer la gêne autour de la table du conseil des ministres. Parce qu’il est quand même étonnant de siéger normalement le mercredi avec un ministre qui ne se gêne pas de « noter » le mardi le gouvernement dans les colonnes du Quotidien national d’information.
Sur le plan « professionnel », une des sociétés qui figurent dans son portefeuille a défrayé la chronique pendant un bon moment. Il s’agit de la Sotelma. En effet, beaucoup de Maliens ont appris avec surprise la passation d’un marché de gré à gré de 25 milliards entre sa filiale Malitel et un opérateur étranger.
En d’autres temps, on serait encore à parler de ce que d’aucuns qualifient ni plus ni moins que de scandale vu les sommes en jeu et vu la législation en vigueur dans le domaine des marchés publics. Je ne parle même pas du fait que la même société est mise en coupe réglée où le PDG pense plus famille qu’entreprise. Et je sais qu’ils sont nombreux ceux qui ne comprennent pas la passivité de Gaoussou, un homme dont la rigueur et la rectitude morales n’ont jamais été prises à défaut.
Je ne terminerai pas sans dire qu’il a eu une semaine chargée et agitée.
Suite à la bastonnade des journalistes, il a reçu deux marches : le lundi, il y avait les jeunes reporters qui lui ont remis une déclaration tout en lui exprimant leur crainte parce qu’ayant appris qu’il y a une sorte de liste noire comportant le nom de 15 journalistes à tabasser ; le mardi, il y avait l’ensemble de la presse.
Ce que je note, c’est que depuis l’avènement de la démocratie, notre corporation est la seule à avoir résisté à toutes les tentations de marche. C’est donc une première. Et je suis tenté de dire que c’est un comble parce que malheureusement cela se passe avec un journaliste comme ministre de la Communication. Qui disait que tout va bien sauf la communication ?
N.B : je ne me soustrairai pas au paiement de l’amende, tant qu’elle ne dépasse pas la noix de cola symbolique.
TBM
15 juillet 2005