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Pour rappel, il est utile de dire que la Cour constitutionnelle avait eu la main particulièrement lourde à l’encontre de l’Adéma en 2002. L’auguste Cour, comme on dit, avait invalidé au départ 15 candidatures de l’Adéma et à l’arrivée elle avait également invalidé l’élection de 17 autres candidats.

Quand on sait que ce parti a pu malgré tout s’en sortir avec 52 députés, les regrets et l’amertume ne pouvaient être que grands du côté des Abeilles où certains étaient convaincus d’avoir été victimes de machinations dans le seul but de les empêcher d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée nationale (52+15+17=84).

A part quelques déclarations sur fond de graves accusations de corruption de certains membres de la Cour constitutionnelle, l’Adéma a accepté (de bien mauvaise grâce il faut le dire) le verdict rendu qui était différent de celui sorti des urnes.

Je fais ce rappel parce qu’en début de semaine, pour le siège enlevé à Sikasso, les jeunes du RPM ont menacé la Cour constitutionnelle de toutes les foudres du ciel si jamais elle devait renverser les résultats qui étaient en la faveur de leur candidat.

Oubliant qu’en 2002 c’est son parti qui a bénéficié essentiellement des arrêts de la Cour, le secrétaire général de la Jeunesse RPM fait une mise en garde : « En plus des manifestations que nous organiserons immédiatement après le vol de notre victoire, nous allons initier une marche le jour même de l’ouverture du sommet France-Afrique pour prendre à témoin les chefs d’Etat d’Afrique et de France de ce qui est arrivé ».

Pour un siège, le RPM est prêt à manifester. Si c’était lui qui avait perdu 32 en 2002, sûr qu’il aurait mis le pays à feu et à sang. Est-ce que cette menace a poussé la Cour constitutionnelle dans son infinie sagesse à être davantage sage ? Je ne saurai le dire. Mais je crois sincèrement que le RPM a gagné à Sikasso. Point à la ligne. Maintenant, cet épisode que d’aucuns voudraient banal appelle de ma part quelques réflexions.

Primo, je ne peux pas comprendre que dans un Etat organisé et qui se respecte qu’on puisse accepter sans rien dire des menaces du genre de celles que la Jeunesse du RPM a professées. Je n’ai entendu personne broncher, protester à plus forte raison condamner. Ni l’Etat, ni les partis politiques. Ne serait-ce que pour le principe l’Etat au moins on aurait dû rappeler les jeunes à l’ordre. Et ce mutisme-là pourrait faire le lit de désordres infiniment plus grands. Surtout que je suis convaincu que les jeunes disent ce que les grands pensent ou ce que les grands leur ont demandé de dire.

Parce que comme le dit la sagesse bamanan : « min bè bà balani da, balaba dé ya fo » (le petit balafon ne reprend que l’écho du grand balafon). Il est vrai que le contexte actuel, pour ce qui est du RPM, est à la suspicion à tel point que certains responsables de ce respectable parti semblent avoir perdu la mesure pour ne pas dire la raison et voient complot et mal partout. N’a-t-on pas entendu dernièrement le secrétaire général du RPM, à l’occasion de l’accident mortel qui a arraché l’honorable Kadari Bamba à l’affection de tous, déclarer sans aucune preuve que c’était un assassinat politique ? Comme aime à le dire IBK, « sachons raison garder ».

Secundo, les menaces de la Jeunesse du RPM reflètent assez bien le climat délétère dans lequel notre pays est plongé et nous donnent une idée, même vague, de ce que pourraient nous réserver les élections générales de 2007. En insinuant que la Cour constitutionnelle sert de troisième tour pour certains partis battus dans les urnes, je suis presque tenté de dire que le RPM sait de quoi il parle. Parce que comme je l’ai rappelé, le « crime » perpétré en 2002 contre l’Adéma par cette même Cour a largement profité à ce parti et à ses alliés de l’époque.

Le RPM sait donc comment on peut transformer la Cour « en un troisième bureau de vote ». Ce qui nous renvoie au débat de 2002, malheureusement évacué sans ménagement. Il s’agit de la suspicion qui pèse sur une institution aussi respectable que doit être la Cour constitutionnelle. Pour l’avoir dit en 2002, nous avions été cités à comparaître devant les tribunaux. Or le problème reste entier. La Cour ne peut pas être juge et parti.

En ce sens qu’à notre avis, il faut laisser au ministère de l’Administration qui organise les élections la prérogative d’en prononcer les résultats. Ceux qui ne seraient pas contents et qui disposent de preuves solides saisissent la Cour qui prend le temps de mener ses investigations sur le terrain avant de se prononcer : soit en confirmant les résultats du ministère de l’Administration soit en les annulant en appelant à de nouvelles élections dans les localités où les irrégularités sont suffisamment importantes au point de ne pas paraître sincères.

Mais en aucun cas, on ne devrait permettre à la Cour, surtout que ses décisions sont sans recours, d’inverser les résultats sortis des urnes. En clair, il faut contraindre la Cour dans son rôle de recours lors des élections. Pour cela, il faut avoir le courage de relire les textes, y compris la Constitution dont personne ne semble vouloir parler. Sinon, je crains qu’on ne courre devant de graves incidents.

Tertio, comme beaucoup de téléspectateurs, j’ai suivi le communiqué du ministère de l’Administration rappelant l’ORTM à l’ordre pour avoir donné les résultats de l’élection de Sikasso sur la base des calculs du RPM. Cela me paraît inquiétant parce que cela ressemble à une mise au pas de l’ORTM.

Si j’étais « méchant », j’allais dire que c’est même bien fait pour nos confrères. Parce qu’ils n’auraient même pas dû attendre que le RPM ou l’Adéma ou même l’Administration leur communique les résultats. Il y avait des journalistes de l’ORTM qui avaient couvert le scrutin. Et sur la base de leurs propres investigations, ils auraient pu donner les tendances.

Je dirai quand même un dernier mot sur ce qui s’est passé à Sikasso. La seule certitude, c’est que le RPM a gagné. Pour ce qui est du perdant, je ne suis pas sûr que ce soit l’Adéma. En tout cas pas l’Adéma seule parce que les dommages collatéraux ont causé beaucoup de victimes. Je connais beaucoup de militants Adéma qui n’ont pas été attristés une seule seconde par ce qui s’est passé ; j’en connais qui sont même franchement contents. Ce qui n’est pas le cas dans certaines chaumières.

La leçon est que ceux qui se prennent pour des « balaba » dont l’écho sera relayé par les électeurs réduits à l’état de « balani » se trompent.

TBM

25 novembre 2005.