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Le président ghanéen John Kuffor a achevé mercredi dernier une visite de 72 h dans notre pays, visite qu’il a commencée par Gao à dessein parce qu’il sait que les Maliens vivant dans son pays viennent majoritairement de cette partie de notre pays. Ils y sont depuis la nuit des temps et y jouissent d’une solide réputation parce qu’ayant réussi une parfaite intégration.

Mais l’aspect qui a le plus retenu mon attention, c’est la visite effectuée au monument Kwamé N’Krumak qui trône majestueusement à l’ACI 2000 et qui ouvre le Boulevard du Mali. Cela a retenu mon attention pour une seule raison. Dans la horde de ministres qui l’accompagnaient figuraient des hommes politiques qui, du temps de l’opposition flamboyante, tenaient toutes sortes de discours sur ces monuments. Ils sauront se connaître, les Maliens aussi.

Ces monuments étaient vilains disaient les uns ; ils étaient inutiles renchérissaient les autres ; ils étaient chers payés et avec leur prix on pouvait construire des classes en quantité, fulminaient certains. Il y en a même qui, dans leur hystérie, avaient promis de les raser une fois qu’ils seraient aux affaires.

Le peuple malien a été le premier à les désavouer et à exhiber leur décalage (déjà) en prenant d’assaut ces monuments par temps de mariages et par temps de fêtes (notamment à l’occasion des fêtes de fin d’année où y sont organisés des concerts géants que certains présidents en tant que ministres).

Sans parler de tous ces artistes qui voyageaient souvent pour aller en Côte d’Ivoire voisine pour tourner leurs clips faute d’images parlantes au Mali pour meubler leurs clips et qui aujourd’hui sont heureux de trouver ce dont ils ont besoin sur place et sans doute de faire un peu d’économie (je ne parle même pas des artistes de pays voisins qui viennent tourner ici chez nous avec nos « vilains » monuments).

Ce qu’ils refusaient de dire, du haut de leur mauvaise foi, c’est que les monuments construisent la mémoire d’un peuple et qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Malgré leur « laideur », ces monuments rappellent aux générations actuelles et à venir le sens de la lutte de Modibo Kéita, de Kwamé N’Krumah, des martyrs de l’Indépendance, des martyrs du 26 Mars, etc. Les monuments empêchent les impostures et montrent le chemin parcouru.

Quelle belle image que cette femme meurtrie se penchant sur les corps inertes de ses enfants tués à balles réelles par ceux qui refusaient le pluralisme juste à l’entrée de l’ancien pont. Cette femme symbolise le sens du courage, le sens du sacrifice des Maliens ; elle symbolise le sens du combat du peuple malien pour s’affranchir de la dictature, pour s’affranchir de toutes les formes de dictature ; elle symbolise le Malien qui appartient aux peuples qui marchent débout ; elle symbolise les peuples qui, tel le roseau, plient sans jamais rompre.

Je me suis autorisé cette digression pour effleurer un tout petit peu la signature de la plate-forme en faveur de l’actuel président de la République. Certains observateurs ont réservé à la cérémonie leur dédain le plus souverain estimant que c’est un non-événement ; d’autres crient à la trahison contre les militants et contre le peuple, pas moins. Mais tous sont d’accord sur l’atmosphère factice qui régnait au Palais des congrès parce que tout en ce lieu et en ce vendredi béni respirait le montage et la gêne malgré l’hilarité que certains protagonistes affichaient.

Il y en a aussi qui estiment que c’est une bonne chose parce que cela permet une clarification de la situation politique. Ils sont donc 14 partis, pour le moment, à renoncer à présenter un candidat à la présidentielle prochaine pour s’aligner derrière ATT. IBK a parlé de chagrin et de pitié. Moi je parlerai de peur.

Peur pour notre jeune démocratie d’abord. Ces hommes et ces femmes trahissent leurs militants, leur projet de société parce qu’ils obstruent le chemin du pluralisme. Il n’y a rien de commun entre Cnid et l’Adéma, ou entre le MPR et le Miria, entre le PCR et l’URD hormis le passé de lutte commune pour certains et l’opportunisme prospérant pour tous. Ils veulent gouverner sans aucune représentativité comme ils le font depuis maintenant 2002. Ils veulent perpétuer une situation qui a montré ses limites.

Comme le dirait l’autre, ils veulent le beurre, l’argent du beurre et la fermière. J’ai peur parce que ces hommes et ces femmes sont capables de dire à ATT que puisqu’il est le seul homme au Mali, puisqu’il est l’homme unique, ils peuvent changer la Constitution afin qu’il fasse autant de mandats qu’il le désire. Pourvu qu’il songe à eux.

C’est affligeant pour les Maliens qui ont combattu le parti unique de se voir imposer l’image d’un homme unique. C’est affligeant pour la mémoire de cette femme penchée sur les corps de ses enfants tués à balles réelles que de voir autant de courbettes, autant de flagorneries et autant de génuflexions. C’est affligeant et c’est immérité pour notre peuple qui a payé un lourd tribut pour le pluralisme et la démocratie.

J’ai peur pour notre démocratie parce qu’à écouter certains des signataires, tout est ramené à des questions alimentaires. Pour se justifier, certains estiment qu’il n’est pas normal de dire que le tô qu’on a préparé ensemble et mangé ensemble n’est pas succulent. Ramenant ainsi notre démocratie à de simples considérations « ventrales ». Encore qu’ils ne disent pas qui a profité de ce tô. Mais quand on regarde leur parcours depuis 2002, ils ont raison de défendre le tô dont ils sont les seuls à bénéficier souvent de manière indue.

J’ai peur pour notre démocratie parce que ces hommes politiques n’ont visiblement pas tiré les leçons de notre histoire encore fraîche et encore récente. Il y a à peine un an, hormis l’URD qui était l’ennemie à abattre, tous les autres partis plus le Mouvement citoyen et avec le nom d’ATT ont battu campagne lors des élections législatives partielles de la Commune V. Ils n’ont pas pu mobiliser plus de 10 % de l’électorat.

La raison est que le peuple ne trouve aucun intérêt à départager des gens qui sont les mêmes. Si on n’y prend garde, on risque de se retrouver devant le même cas de figure avec un président élu avec moins de 15 % des électeurs, consacrant du coup et de manière définitive la rupture entre les populations et les institutions de la République.

J’ai peur ensuite pour ATT. De toute évidence, il se laisse abuser par les hommes politiques qui ont démissionné pour lui tresser des lauriers. Pour paraphraser l’autre, ils le prennent pour César et eux les hommes qui vont mourir pour lui. Ils affichent une unité de façade pour lui donner l’illusion qu’il a réussi là où tout le monde avant lui avait échoué. Ils ont juste remisé leurs couteaux en attendant l’occasion de s’en servir. Parce que sauf à fondre tous ces partis pour n’en faire qu’un seul, je ne vois pas comment ils feront aux législatives.

J’ai peur pour ATT parce qu’ils lui donnent l’impression qu’il a réussi la paix au sein des partis. ATT sait que ce n’est pas vrai parce que tous ces partis sont divisés profondément et souvent la seule ligne de fracture se fait autour de sa personne. Il a beau déclarer qu’il a travaillé avec des gens qui ne se connaissaient pas, avec des gens qui ne se parlaient pas, la réalité est que ces gens-là ont décidé de se taire, de taire leurs divergences pour se faire les poches, pour être du partage du gâteau.

Le Mali est en train de boucler une période caractérisée par le consensus. Une méthode de gestion qui n’est pas nouvelle. Une méthode de gestion qui a été dénoncée par tous ceux qui ont le souci de la vérité et de la prise en compte réelle des préoccupations des Maliens. L’un des handicaps majeurs du consensus de 2002 à aujourd’hui, est qu’il n’a pas été conceptualisé, il ne repose sur aucun document écrit et signé par les parties prenantes. Ce qui a permis à ATT de dire en son temps qu’il n’avait appelé personne. Eh bien je crois que la plate-forme part avec les mêmes handicaps.

Ce sont les partis qui se sont liés et qui ont signé. Mais nulle part ne sont perçus les engagements pouvant lier ATT. Le plus important est fait, mais il reste le plus lourd, leur a-t-il répondu. Il est effectivement lourd pour ATT de s’engager par une signature qui pourrait le tenir. Et rien ne l’empêchera après de dire qu’il n’a pas appelé les signataires de la plate-forme. Et il aura parfaitement raison. Surtout quand ce sont des chefs de partis qui n’ont tenu aucune instance régulière de leur parti pour engager les militants. On signe et on informe après. Cela me rappelle la fameuse théorie du bétail électoral.

Mais cela ne les empêchera pas de dormir et de parader. Parce que comme l’a dit IBK, des 0 % ou des 0,01 % qui se retrouvent aux affaires au sein des départements ministériels ou au perchoir de l’Assemblée nationale malgré leur inexistence n’ont aucune raison d’aller se battre. Pour la bonne raison qu’ils ne sont représentatifs de rien du tout sinon de leur personne, de leurs intérêts et de ceux des hommes liges qu’ils traînent dans leur sillage.
Heureusement qu’il y a des hommes et des femmes qui refusent et qui le disent.

C’est ainsi que dans la foulée de la signature de la plate-forme, le RPM a réussi une véritable démonstration de force au Stade Modibo Kéita. Comme je le disais la semaine dernière, ce ne fut pas la rupture, mais de plus en plus IBK et ses troupes prennent leurs distances. Le tour de chauffe du week-end dernier a permis aux militants du RPM de tester quelques thèmes de campagne. Et le résultat est qu’ils ont trouvé preneur. Quand on parle de la vie chère, du chômage, de la corruption, du dysfonctionnement des institutions de la République, on est presque sûr de trouver oreille attentive.

ATT et ses troupes sont avertis. La bataille se fera sur chaque centimètre carré du territoire avec cette fois-ci la détermination à ne rien lâcher, la volonté de ne pas se coucher.

Tout comme le RPM, le Parena se déterminera à partir d’aujourd’hui au cours de son 2e congrès extraordinaire. Les observateurs sont unanimes à dire que ce sera l’occasion de dire quelques vérités bien senties et d’exprimer son désir d’exister en dehors d’une quelconque collaboration avec ATT. Le Parena ne manquera pas de rappeler qu’en 2002, son candidat a été le premier à s’aligner derrière ATT, sans rien marchander, quand ceux qui font les zouaves et jouent aux mariolles aujourd’hui cachaient mal leur répulsion d’ATT et réfléchissaient au comportement à adopter.

Le Parena a été le seul parti à avoir pris à bras le corps la Loi d’orientation agricole pour sa vulgarisation et son explication auprès des paysans. Le Parena dira certainement le sort fait à son ministre qui a été jeté comme un Kleenex alors même que le pauvre se battait contre certaines pratiques mafieuses dans le milieu du sport. Le Parena parlera certainement de ce qu’il est advenu de Tiébilé Dramé après le sommet France-Afrique où il a l’impression qu’on aurait voulu salir son président. Mais on attendra de voir ce que le « Bélier » décidera.

El hadji TBM

15 décembre 2006.