Je disais qu’il était un authentique survivant. En effet, Pinochet, comme on l’appelle (je ne suis pas sûr que ce soit un surnom affectueux), a survécu à la crise acridienne. On se rappelle qu’en 2004, notre pays et certains pays voisins ont eu à affronter l’une des plus grandes invasions de criquets pèlerins.
Devant l’ampleur de l’attaque, qui fut massive, faut-il le rappeler, Pinochet avait préféré renoncer aux congés ministériels. Il fallait parer au plus pressé dans un premier temps parce que le ministre chargé de l’Agriculture avait annoncé gaillardement et peut-être avec une bonne dose d’inconscience que la situation était sous contrôle et qu’il n’y avait pas feu.
Il n’y avait certes pas le feu, mais le criquet, lui, était bien présent. Dans un second temps, il fallait organiser la riposte. Je ne reviendrai pas sur les dégâts causés aux cultures mais ce fut des moments de grandes mobilisations où l’on a vu le président de la République et les ministres renoncer à un mois de salaire ; où l’on a vu les députés cotiser pour la cagnotte dédiée à aider le gouvernement.
Je pense que le Premier ministre et le crédit qu’on lui accordait sont pour beaucoup dans la mobilisation des Maliens. Comme un malheur ne vient jamais seul, il fallait faire face l’année d’après, c’est-à-dire en 2005 à la crise alimentaire qui s’en est suivie. Malgré les ratés et les cafouillages, malgré les dysfonctionnements constatés et les vols organisés, le Premier ministre et son gouvernement ont pu trouver des solutions. Cet épisode laissera forcément des traces sur le parcours du gouvernement parce que tout laissait penser qu’il a été surpris.
Mais ce n’est pas seulement à ses crises que le Premier ministre a survécu. Il a dû faire face à une sorte d’hostilité de certains membres de l’équipe gouvernementale. D’abord latente, l’hostilité s’est ensuite montrée au grand jour. En cela, on peut trouver plusieurs raisons.
La première est certainement la manière quelque peu martiale avec laquelle il conduisait son équipe. Manœuvrant à la baguette pour ne pas dire à la cravache, Pinochet ne pouvait que s’attendre à quelques rebuffades pour ne pas dire à quelques petites rébellions. Il les avait d’abord astreints à un régime au pain sec et à l’eau fraîche : plus de voyages ailleurs qu’à l’intérieur du pays et les quelques chanceux qui pouvaient s’envoler à l’extérieur devaient se contenter de la classe affaire au lieu de la première classe à laquelle ils avaient pris goût.
Ensuite, comme des élèves, ils devaient chaque trimestre effectuer un contrôle des tâches. C’en était trop pour certains. Et comme Pinochet n’est pas du genre très commode, on peut imaginer les clashs. Je dois dire que j’attends toujours qu’on nous communique les économies réalisées avec le déclassement des ministres dans les avions. Quant au contrôle, je pense qu’il est devenu une corvée.
La deuxième raison de l’hostilité à son endroit est à chercher certainement dans les ambitions que certains ministres nourrissent pour le poste de Premier ministre. A défaut de fortes têtes ou de têtes brûlées dans le gouvernement, Pinochet devait ménager ceux qui déclaraient avoir sinon l’écoute du président de la République du moins son oreille et qui voyaient en lui dans le mieux des cas un parvenu et dans le pire, un usurpateur.
Ferrailler avec cette bande de jeunes, sans respect pour les vieux, vous fatigue un homme. Mais Pinochet a survécu à lui-même. En effet, si tous reconnaissent que c’est un travailleur qui n’hésite pas à payer de sa personne (il est au bureau à 6 h 30 et il n’en ressort qu’à 20 h), ses coups de gueule sont mémorables. Certains lui reprochent cette langue qu’il n’a pas dans la poche et dont il se sert, quel que soit le lieu, pour flétrir tout le monde.
Qui ne se rappelle de ses sorties contre ceux qui courent pour avoir les marchés et qui s’avèrent incompétents dès lors qu’il faut passer à l’exécution. Ou encore de ces cadres maliens qui ne travaillent pas et qui sont incapables d’assurer le suivi des dossiers ! Ou encore de ces Maliens qui passent le temps à parler, à chanter, à danser, à se marier et à faire des enfants ! C’est du Pinochet tout craché. C’est sa façon de faire l’humour, sans une once de méchanceté.
Mais je dois avouer s’il est un authentique survivant, il lui reste encore du travail et sur beaucoup de chantiers. Quand on prend l’école. Je sais que comme tous les Maliens, il fait le douloureux constat que rien ne marche et que nous sommes sous le règne du saupoudrage.
Ce malgré le Pacte pour une école apaisée et performante qui avait été présenté le jour de sa signature comme étant le sésame. En son temps, nous avions dit notre scepticisme et surtout marqué notre étonnement au regard de l’enthousiasme ambiant. Si je me limite seulement à cette semaine, nous avons des grèves et des menaces de grève à la pelle sur le dos. Preuve s’il en est que le dialogue social est rompu dans ce secteur.
Pis, tout le monde a vu les scandales à répétition lors de l’organisation des examens du bac. Le sommet ayant été atteint l’année dernière quand des vauriens ont réussi à passer avec 3 de moyenne et avec mention. Et comme une bêtise ne suffit jamais, quand l’affaire a éclaté, des élèves déclarés redoublants ont été appelés à toute vitesse en pleine année scolaire, au mois de février dernier, afin qu’ils viennent remplir les formalités pour l’université : ils ont finalement été déclarés admis.
De l’Université, on peut dire un mot, sans y perdre trop de temps. Sans tenir compte des grèves, on ne sait même plus dans quelle année scolaire on se trouve, si c’est 2004-2005 ou 2005-2006. En plus, j’ai appris que le département de l’Education nationale a la ferme volonté de supprimer les mémoires de fin d’études.
Certainement pour nous annoncer après qu’on peut être étudiant sans étudier. L’école est certes apaisée (encore que) mais à quel prix ? Je n’ose pas parler de performance. Mais tout le monde sait que c’est à coup de corruption que l’école est apaisée : on corrompt les étudiants, on corrompt les syndicalistes. Résultat : nous sommes assis sur une bombe qui explosera à la moindre occasion ou quand l’actuel titulaire ne sera plus à ce poste et qu’il sera question de trouver les vraies solutions.
En plus de l’école, il y a le front de la gestion simple. Tout un programme. Les scandales se suivent et se ressemblent. Il ne passe pas un jour sans que la presse ne mette à nu certaines pratiques : les exonérations à tour de bras, l’argent du contribuable dilapidé par des passe-droits, les marchés fictifs, etc. C’est vrai que quand même à Koulouba on peut monter un marché fictif de plus de 800 millions, on peut se demander ce que Pinochet peut faire. Il y a l’Administration qui ne travaille plus. Il était question de la remettre au travail, actuellement elle roupille tranquillement.
Il y a le chantier du Nord. J’ai l’impression que tout ce qui a pu être fait pour recoudre les morceaux est en train d’être défait. Il n’y a peut-être pas de quoi s’alarmer, mais il ne faut certainement pas fermer l’œil.
Je ne terminerai pas sans parler de notre diplomatie. Depuis mercredi, tous nos ambassadeurs et consuls généraux sont présents à Bamako pour la 10e conférence des ambassadeurs. Je pense que c’est un point positif parce que de temps en temps (la dernière conférence remonte à 1998), il faut réunir ceux qui sont en mission en notre nom pour recadrer et réorienter en fonction des priorités de l’heure.
Tout le monde semble se satisfaire de notre diplomatie pour son efficacité dans la discrétion. C’est tant mieux. On peut juste déplorer que parfois, elle se fait très discrète. Mais comme tout le monde le sait, la diplomatie est la chasse gardée du président de la République.
Pinochet peut donc s’occuper de ses nombreux chats qui ne demandent qu’à être fouettés. Après deux ans, il garde toutes ses dents même s’il paraît plus voûté certainement par le poids des affaires courantes.
El hadji TBM
28 avril 2006.