Je pense qu’après les événements qui ont frappé les villes de Kidal et de Ménaka, force est de reconnaître que nous nous sommes tous fait avoir, parce que nous avons pris pour de l’argent comptant ce qui plaisait à nos oreilles.
A commencer par le président de la République qui, de Diéma où il se trouvait, n’a pu jouer que le rôle du bon vieux médecin prodiguant conseils et recommandations pour éviter que le mal ne se transforme en gangrène et que la température ne prenne des proportions de fièvre délirante.
Maintenant que le calme semble être de retour et que notre armée nationale, si l’on en croit les communiqués et déclarations, a le contrôle de la situation, je pense qu’on peut essayer de soulever quelques questionnements. Sans passion. Avec responsabilité et mesure, dirait ATT.
Je pense que la bande à Fagaga et à Iyad a gagné au moins deux fois. La première en parvenant à occuper la ville de Kidal une journée durant. La deuxième en réussissant à embarquer tout le monde dans un discours régionaliste. Avec un bonus en plus.
Je dois avouer que j’ai été ébranlé par la nouvelle, comme beaucoup de Maliens d’ailleurs. Quoi ? Comment est-ce possible ? Attaquer Kidal, vider les deux camps de toutes les armes, occuper la ville durant toute une journée, vider les magasins de vivres, enlever tous les véhicules à deux et quatre roues ? Que font nos forces armées et de sécurité ?
Je ne dispose pas encore de la réponse à toutes ces questions. Parce que nous disposons de militaires valeureux, dotés d’armements conséquents pour réagir avec promptitude. Mais hélas ! Rien n’a été déployé dans le laps de temps qui aurait permis aux populations de Kidal de dépasser le choc psychologique.
Et c’est à ce niveau que se situe la première victoire de Fagaga et de ses hommes. Ils ont prouvé que c’est possible d’attaquer notre pays et d’en occuper une partie sans aucune conséquence. Par-delà les morts dont on vient de connaître le chiffre, ils sont parvenus à imposer aux populations le souvenir de scènes qu’elles croyaient à jamais révolues, avec le traumatisme qui va avec et le choc psychologique dont elles ne se relèveront pas de sitôt.
La deuxième victoire pour la bande à Fagaga, c’est qu’elle est parvenue à embarquer tout le monde dans le sillage de son discours à caractère régionaliste. Y compris jusqu’au président ATT. Et pourtant j’avais applaudi en écoutant ATT demandant aux Maliens d’éviter l’amalgame et de ne pas tomber dans la confusion.
Mais j’avoue que je n’ai pas compris qu’au lieu de recevoir l’ensemble des élus de la nation, il se soit enfermé dans un huis clos avec les seuls députés nomades. C’est une affaire du Mali et c’est comme cela qu’il convient de la traiter.
Mieux ou pire, à San où il inaugurait les logements sociaux, sans doute emporté par son élan, ATT, qui énumérait tous les espaces démocratiques et institutionnels dont notre pays dispose, a insisté sur le Haut conseil des collectivités territoriales « présidé d’ailleurs par un Touareg ». Je pense que c’est un impair.
C’est ce que je crois. Sinon il faudrait craindre qu’un jour il ne vienne dire que la Primature est occupée par un Sonrhaï qui a d’ailleurs succédé à un Arabe, que l’Assemblée nationale est présidée par un Maninkan, que le Conseil économique est dirigé par un Bamanan, que Koulouba est présidé par un Peul etc.
Au-delà, on entend toutes sortes de discours tendant à prouver que Kidal n’est pas marginalisée et l’on égrène tout ce que le Mali a pu faire comme effort pour cette partie de son territoire, avec souvent des comparaisons quelque peu osées.
Bien entendu, dans cette atmosphère, les zélateurs ne sont pas en reste. Evidemment plus pour se faire entendre du président auquel ils assurent un soutien indéfectible que pour peser sur la suite des événements. Je pense qu’il faut rapidement sortir de ce schéma.
Pour ce qui est du bonus, à mon avis c’est presque la cerise sur le gâteau. A lui seul, il vaut une victoire à part entière. Depuis que Kidal a été attaquée, aucune autorité ne s’est déplacée pour aller voir ce qui se passe sur le terrain et réconforter les populations.
Personne. Ni ATT, ni le Premier ministre, ni le ministre de la Défense, ni le ministre de la Sécurité intérieure. Personne. Tous se contentent de faire de grands discours. Or les populations de Kidal savent que souvent pour un accident de la circulation, on assiste au déplacement d’une escouade de ministres avec souvent des enveloppes pour soulager les victimes.
Or dans le cas de Kidal, où le pays a été attaqué, personne n’a bougé. Ce qui peut renforcer le sentiment d’abandon à leur propre sort. J’espère qu’ATT qui sera à Gao demain et qui fera sans doute allusion à ce qui s’est passé, corrigera le tir en faisant un tour à Kidal.
En tant que garant de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale, je pense que c’est le plus gros soutien psychologique qu’il pourrait apporter à nos compatriotes de cette partie de notre pays. Même l’ORTM dont la devise est bien connue, « la passion du service public », n’a pas bougé.
Il y a trois jours, les téléspectateurs ont pu voir quelques images tournées par la Dirpa, deux semaines après les attaques. Je pense que l’ORTM est un instrument qui renforce le sentiment national, le sentiment d’appartenance à un même pays. Non seulement, l’ORTM n’a pas bougé, mais à Bamako ses journalistes se contentent de nous dire que « de sources proches du ministère de la Défense ».
On se moque de qui ? Hein ! On se moque de qui ? La voix de son maître qui parle de source proche du maître. Tout ce dont je viens de parler peut paraître insignifiant ou superflu, mais je pense qu’il faut rectifier ce qui peut l’être le plus rapidement possible.
Moi, je ne comprends pas que des membres du gouvernement se déplacent auprès de victimes d’accident, avec des enveloppes financières, accompagnés de l’ORTM et que pour Kidal, tout le monde se terre avec la langue bien pendue alors même que c’est une attaque contre le territoire national.
Il n’y a aujourd’hui aucune urgence que celle-là. C’est bien d’être dans les bagages du président de la République qui fait ses tournées mais ce serait mieux de s’occuper du pays, du peuple. Parce que c’est ce qui restera.
Je vais donner un exemple qui peut paraître inapproprié, mais je ne connais pas un seul chef de famille refusant de rentrer à la maison alors même qu’il a été informé que sa femme et ses enfants sont séquestrés par un forcené.
Je n’en connais pas. Et je pense qu’aucune volonté de dédramatisation de ce qui s’est passé ne doit nous conduire à la banalisation ou à l’indifférence.
El hadj TBM
N. B. : Les quelques ministres que je n’ai pas encore touchés par rapport à mon listing ne perdent rien pour attendre. Parce que comme le dit la sagesse malienne, « ko balilè bè ko sudalen sa » (Quand il y a urgence, on met les priorités de côté).
02 juin 2006.