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Ils sont des centaines de Maliens résidents dans les foyers de Montreuil : « Rue Bara » et de Saint Denis à vivre les affres du chômage. Nonobstant cette situation, ces jeunes ne veulent pas entendre parler de retour au pays.

Dimanche 28 mars 2010. Il est 11 h au foyer « Rue Bara », dans le département 93, à Montreuil. Un vieux bâtiment (l’un des premiers foyers de France) habité par plusieurs centaines de « Tounkarankés » (immigrés en bambara) maliens et d’autres nationalités africaines.

Malgré la température qui avoisine les 7°C et une fine pluie, la devanture du bâtiment est bondée de monde. Des groupuscules de jeunes discutent de tout et de rien dans un français approximatif. Avec mon ami « Franceman », mon guide (Paris n’est pas Bamako), commencent les salamalecs. « Aw ni sogoman » (bonjour en bambara) suivis d’accolades.

Mon accompagnateur, Ousmane Kéita (c’est son nom), prend soin de me présenter aux jeunes. « C’est un journaliste du Mali. Il travaille au quotidien Les Échos.

Il est en séjour à Paris ». A « Rue Bara », on a l’impression d’être au Mali, tant dans le comportement vestimentaire que dans l’alimentation. Aussi, c’est là qu’on peut voir les cafards et autres insectes (à cause de l’insalubrité qui y règne).

Assis sur un canapé à côté des jeunes juste à l’entrée de la cour, un sexagénaire, Ladji Traoré, prend l’initiative de nous approcher et de nous interroger. « Il s’agit de quels Echos ? » Avant même que nous n’ouvrions la bouche, il ajoute « Les Echos d’Alpha Oumar Konaré ? » Ressortissant de Batama (Kayes), notre interlocuteur vit au pays des Toubabs depuis plus de 30 ans.

Quoique admis à la retraite, il n’a jusque-là pas envisagé de retourner au bercail. Mais M. Traoré est l’un des rares qui peuvent parler de long en large du contenu des premiers numéros du premier journal indépendant en République du Mali, lancé le 17 mars 1989.
 » Avant la chute de Moussa Traoré, c’est nous qui vendions Les Echos dans les foyers de France ». Et d’ajouter que « vous êtes des jeunes, vous ne savez pas grand-chose de tout cela… »

A la question de savoir s’il continue de lire le journal, sa réponse est moins précise : « Je ne sais même pas si ce journal vit toujours ». A la fin de la conversation, il nous conseille d’ouvrir un réseau de distribution du journal, « ne ce serait qu’une fois par quinzaine » pour entretenir des lecteurs nostalgiques comme lui.

Après cette introduction inattendue et un survol de l’actualité du pays, l’entretien se focalise sur les maux des « Tounkarankés » au pays de Nicolas Sarkozy. Les sujets abordés ont trait aux problèmes d’emploi et aux difficultés d’accès de la carte de séjour. Il a fait appel à quelques jeunes afin qu’ils nous parlent de leurs préoccupations. Parmi ces jeunes, seuls les Maliens acceptent de partager leurs souffrances avec nous.

L’intégration, la solution ?

Présents sur le territoire français depuis plus de cinq ans pour certains et dix ans pour d’autres, ces jeunes attendent de trouver un job à leur convenance.

Pour eux, le problème d’emploi est tellement crucial que même ceux qui sont « détenteurs de titres de séjours » ont du mal à trouver un emploi idéal. A « Rue Bara », il est difficile, voire impossible de faire la distinction entre ceux qui sont diplômés et les illettrés. Tous tirent le diable par la queue et sont traités sur un même pied.
Parmi les jeunes rencontrés, on peut citer : Mamadou Sissoko, Djigui Kéita, Almamy Touré.

Sortants de la Faculté des lettres, langues, arts et sciences humaines (Flash) et de l’Institut universitaire de gestion (IUG) en 2005, les trois diplômés expliquent leurs déboires depuis leur arrivée. « Cela fait six ans que nous sommes en France. Au pays, il nous a été difficile sinon impossible de trouver un emploi. Mais c’est quasiment la même chose ici ».

N’ayant pas de travail fixe et avec un revenu très bas, malgré la dure situation qu’ils subissent, ils n’entendent pas parler de retour au pays. « Nous préférons galérer ici que de retourner », dit l’un d’entre eux. Et d’ajouter qu’au Mali, pour décrocher un job, il faut avoir les bras longs. Les jeunes pour la plupart sont arrivés en France en traversant l’Atlantique par pirogue.

L’entretien se poursuit au foyer de Saint Denis à la 69 Rue Charles Saint-Michel dans la 93. Là également la situation n’est pas meilleure. A la différence de « Rue Bara », celui de Saint-Denis a la chance d’être un bâtiment rénové où les conditions d’hébergement sont meilleures qu’à Montreuil.

Là-bas, l’un des problèmes majeurs est celui de l’hébergement. Huit personnes partagent une chambre de trois mètres carrés. « On se cotise pour payer la chambre. Cela nous permet de mieux économiser. Trouver un logement est une priorité, le reste suit « , témoignent Almamy Diané et Albert Koffi.

En séjour en France depuis cinq ans, Oumar Diarra et Kadiatou Kanté avec l’expérience acquise au pays respectivement dans la mécanique auto et dans la coiffure, pensaient que la chance d’embauche allait leur sourire. Quelle n’a pas été leur surprise de se retrouver à la case départ. Ils racontent leur calvaire : « Nous avons déposé des demandes d’emploi un peu partout dans beaucoup de structures, mais on attend. Nous attendons d’être appelés ». En attendant de trouver mieux, Oumar se débrouille dans le métier de maître-chien (vigile). Quant à Kadiatou, elle attend carrément son jour.

Issa Koné, lui, fait partie d’un groupe de personnes âgées à la retraite. Il vit à Saint-Denis depuis 22 ans. « Depuis l’arrivée de Sarkozy, la situation des étrangers a changé avec les différents textes qui réduisent considérablement la chance d’octroi de papier. Des patrons d’entreprises ne veulent plus embaucher les sans papiers au risque de se voir sanctionner. C’est ce qui explique en partie cette difficulté de trouver du travail ».

L’autre raison pour laquelle les Maliens ont des difficultés à trouver du boulot, selon M. Koné, « est découle du fait que nos compatriotes ne veulent pas ou du moins ont du mal à s’intégrer ».

C’est ainsi, à ses dires, qu’ils sont accusés de tous les péchés d’Israël par les autorités françaises. Pour notre interlocuteur, nonobstant ses situations, le Malien est respecté.

Amadou Sidibé

(envoyé spécial à Paris)

31 Mars 2010.