Issa confia à ses amis qu’il n’était pas revenu pour se fixer définitivement au bercail, mais comme il se sentait avancer en âge et qu’il savait qu’il ferait la fin de sa vie au Mali, il voulait se construire une maison. Celle-ci serait le point d’ancrage d’où il partirait de temps en temps pour ses affaires au Maghreb. Ses proches approuvèrent cette approche et tout le monde se mit en branle pour que Issa puisse trouver un lot bien situé sur lequel il pourrait construire la villa de ses ambitions. Pour quelqu’un qui dispose d’un bon matelas de liquidités l’entreprise n’était pas extraordinairement compliquée. Notre homme eut donc son terrain sur lequel il édifia une magnifique villa.
Un pan de vie
Pour que sa belle histoire soit complète, il ne manquait plus à Issa qu’à rencontrer une dame qui lui plairait. Ses amis et connaissances s’y employaient et l’un d’eux lui amena un jour celle qui lui fit un coup au cœur. Elle s’appelait H.K. et séduisit aussitôt notre quadragénaire par son élégance, sa superbe silhouette et ses bonnes manières. « L’expatrié » alla très vite droit. Au bout de quelques sorties, il fit savoir à la belle que ses intentions étaient des plus sérieuses et il lui proposa donc le mariage. Surprise par l’empressement de son soupirant, la dame donna tout aussi rapidement son accord. Le couple put alors vivre son idylle au grand jour. Issa, tout heureux d’être tombé sur la femme de sa vie, ne se montrait pas avare en présents pour son épouse. En vrai romantique, il s’abstint en outre de relations physiques avec sa dulcinée, se réservant pour leur nuit de noces.
Mais l’homme ignorait entièrement tout un pan de la vie de H.K. Celle-ci avait eu une fille d’une précédente liaison. La petite était déjà une adolescente qui s’acheminait sur ses 18 ans et qui vivait avec ses grands-parents dans un village des environs de Bougouni. Le secret datait d’assez longtemps. Mais comme tout le monde le sait, les gens à Bamako ont la mémoire longue et la langue bien pendue. Le fait dissimulé par H.K. fut révélé à Issa non pas par ses amis ou ses parents. Mais au détour d’une conversation surprise de manière fortuite avec des inconnus. Notre homme faillit s’étouffer de frustration en découvrant la vérité. Il se mit en colère contre ses proches et les accusa de lui avoir délibérément dissimulé que sa fiancée avait eu une liaison prolongée avec un autre homme et qu’un enfant en était né.
Par contre, Issa ne dit absolument mot à H.K. sur ce qu’il avait appris. Il souhaitait qu’elle vienne à lui et se confesse elle-même. Mais les semaines passaient et rien ne se dessinait alors que la date fixée pour les noces se rapprochait inexorablement. Issa ne le savait pas, mais la situation devenait de moins en moins tenable pour sa bien-aimée. Cette dernière se doutait bien qu’il lui serait impossible de cacher après le mariage son ancien statut de fille mère. Comment se comporterait alors son époux lorsque la vérité éclaterait, lui qui s’était imposé de la respecter jusqu’au mariage ? Après de longues tergiversations, H.K. jugea prudent de tout avouer à Issa. Elle prit cependant la précaution d’amener une amie avec elle afin que cette dernière puisse calmer son fiancé si jamais ce dernier s’emportait.
Rencontre à quatre
La séance des aveux fut très dure pour la dame qui prit son courage à deux mains et raconta tout à son futur époux. Elle lui expliqua qu’elle était très jeune quand elle avait eu cette aventure ; que son amant l’avait abandonnée dès qu’il avait appris sa grossesse ; qu’elle avait changé depuis et souhaitait finir sa vie au côté d’un homme qui l’aimait et la comprenait. L’amie intervint pour corroborer tout ce qu’avait dit H.K. et pour supplier Issa de se montrer compréhensif. L’homme avait tout écouté sans que ne bouge un trait de son visage. Lorsque les dames eurent fini de parler, le fiancé leur demanda tout d’abord pourquoi elles avaient si longtemps caché une chose aussi importante pour deux gens qui souhaitaient s’unir. H.K. et son amie ne purent rien répondre à cela. Elles se contentèrent de baisser la tête.
La deuxième question de Issa fut de savoir où se trouvait la fille de H.K.. Il lui fut répondu que la petite résidait aux alentours de Bougouni, chez ses grands-parents. Issa fit alors une requête à laquelle ses interlocutrices ne s’attendaient certainement. Il enjoignit que H.K. ramène le plus tôt possible l’enfant à Bamako, car il voulait la voir. Les deux dames, estimant qu’elles s’en tiraient à bon compte, se hâtèrent d’accéder à son désir. Dans la semaine qui suivit, la mère fit venir l’adolescente. Issa proposa qu’ils puissent se rencontrer à quatre – les deux amies, la fille et lui-même – dans sa nouvelle maison qu’il n’avait pas encore occupée. L’entrevue se passa à merveille. L’immigré avait fait préparer un excellent repas et pendant tout le temps que le petit groupe passa ensemble, l’homme se comporta de manière détendue. Il donnait l’impression de quelqu’un qui, malgré le déplaisir causé, avait accepté une situation de fait.
Peu après cet événement, Issa prévint sa dulcinée qu’il repartait pour un voyage d’affaires. Celui-ci serait de très courte durée et ne dérangerait pas leur calendrier de mariage. Mais une fois arrivé sur place, Issa téléphona pour expliquer qu’il avait été confronté à des impromptus et qu’il serait absent plus longtemps que prévu. Ce contretemps ne remettait cependant pas en cause son engagement d’épouser H.K. en dépit de tout se qui s’était passé et qui l’avait un peu perturbé.
Vengeance impitoyable
Cependant survint un événement inattendu qui modifia toute la donne. Un beau jour, un des amis de Issa l’appela pour l’informer que H.K. était tombée en enceinte. a la grande surprise de l’ami, Issa ne se montra pas ému outre mesure. Il indiqua avoir eu des rapports intimes avec H.K. juste la veille de son voyage. Donc, il assumait la paternité de l’enfant qu’elle allait mettre au monde. Il demanda à son ami de prendre en charge tous les frais de suivi médical avant son prochain retour à Bamako.
H.K., que l’absence de son fiancé inquiétait, se tranquillisa devant les dispositions prises, mais son soulagement ne dura guère. Elle se rendit vite compte qu’elle devait se débrouiller seule pour assurer ses besoins. En effet, mis à part le suivi médical, Issa ne finançait plus rien du tout. Il avait cessé d’envoyer de l’argent à son aimée, ne lui achetait pas d’habits. Il avait demandé à ses amis de ne plus rendre visite à la mère de son futur enfant. Il avait adressé une injonction similaire à ses parents, leur enjoignant de ne plus accepter H.K. au sein de leur famille. Issa avait aussi ordonné à un de ses jeunes frères d’occuper sa maison et d’en interdire l’accès à H.K.. Pour finir, il indiqua à ses parents qu’il ignorait la période exacte de son retour et que si l’opportunité se présentait, il prendrait femme à son lieu de résidence.
Les parents de Issa et ses amis exécutèrent à la lettre ce qu’il leur avait demandé. En dehors des soins médicaux, H.K. est restée toute seule à gérer ses problèmes. A un moment donné, elle avait été fortement tentée par un avortement, solution que son amie lui aurait déconseillée. Ce qui est réel, c’est que la dame est au bord de la déprime en se rendant compte de tout ce qui lui était passé sous le nez. Ne supportant plus le regard des autres sur elle, elle a décidé de se faire oublier. Cela fait près d’un mois que ni ses parents, ni ses amis ne savent où elle se trouve. Quant à Issa, il continue depuis l’extérieur à prendre les nouvelles de ses parents et amis avec lesquels il est toujours resté en contact. Mais il évite soigneusement de parler de H.K. Cette dernière n’a rien vu venir. Elle a certainement oublié que l’amour contrarié peut évoluer en vengeance impitoyable. Et que celui qui s’estime trahi peut se montrer sans état d’âme.
Mh. TRAORÉ
Essor du 04 septembre 2008