Partager

Alors que le pays se dirige vers une catastrophe alimentaire sans précédent, voire une véritable famine, aucun plan d’urgence lisible n’est produit par les autorités de Bamako.

A la fin de la semaine dernière, j’ai reçu un e-mail d’un ami de Bamako, un homme naturellement optimiste depuis sa naissance et qui, aujourd’hui, sombre dans le désespoir : « Tu ne peux pas imaginer la direction que prend ce pays. Tout l’enthousiasme né du 26 mars 1991 est en train de mourir à petit feu. Les Maliens tombent peu à peu dans cette même atmosphère chloroformée du temps de Moussa Traoré. Le fatalisme gagne du terrain. Je ne suis plus capable, avec mon maigre salaire d’instituteur, de bien m’occuper de ma famille. Je ne sais pas de quoi demain sera fait mais je vois venir une misère jamais vécue dans ce pays ».

Et, pêle-mêle, il me donne une indication des prix des denrées de première nécessité, du coût de la vie qui prend de l’altitude à un rythme infernal… A la fin, je n’ai pu m’empêcher de penser au régime de l’UDPM (parti unique sous GMT, Ndlr) qui, après avoir mis le pays à l’agonie, chantait alors la belle vie et surtout au président de l’époque qui, tel Néron, avait la tête dans les nuages alors que le pays brûlait de misère.

Revenons à aujourd’hui. Dans une chronique antérieure, j’avais parlé de la crise alimentaire mondiale qui pointe à l’horizon avec déjà la cohorte des émeutes qui secouent plusieurs pays. En fait, « crise alimentaire » n’est qu’un doux euphémisme car c’est carrément une famine qui menace l’Afrique noire. Et le Mali n’y échappera pas. Alors qu’au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun les gouvernements multiplient les mesures pour soulager la souffrance des populations et surtout mettent en place des stratégies pour faire face, les autorités de Bamako brillent par leur silence qui signifie, sans doute, une absence d’initiatives à long terme.

Je ne considère pas les piètres shows télévisés de quelques ministres comme une réponse politique sérieuse… Et pourtant, cela fait maintenant plus de six mois que le directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Sénégalais Jacques Diouf, tirait la sonnette d’alarme : 2008 sera une année catastrophique du point de vue alimentation en Afrique ; prenez les mesures idoines sinon le mal sera terrible.

Koulouba est toujours incapable de présenter à la population un plan sérieux et crédible qui ne sera pas seulement du rafistolage mais une vraie politique nationale d’autosuffisance alimentaire. Parce que tout simplement, aucun plan n’existe. Aucune réflexion stratégique n’a été entamée. Personne ne réfléchit à la question et le président de la République ne semble pas en faire un thème sérieux.

« Tam-tam pour le Mali » ?

Je ne parle pas de discours ou d’intentions mais d’actes concrets. Que feront les autorités maliennes quand le stock mondial de riz, estimé à une réserve maximale de trois mois, sera épuisé alors que les paysans sont en pleine période de soudure ? J’imagine que la solution de Koulouba, c’est le Inch’Allah habituel. Se fermer les yeux, se boucher les oreilles en croyant encore et toujours qu’un problème escamoté se résoudra tout seul, que Dieu trouvera une solution miraculeuse à la dernière minute ; que face aux images de chérubins faméliques et rachitiques, l’Oncle Sam ou John Bill sera obligé de racler ses derniers silos pour expédier du « zangaroba » au Mali.

Après nous avoir rabattu les oreilles pendant des années sur le « développement rural », après le cirque hilarant sur l’approvisionnement en tracteurs et l’entrée du Mali dans « l’agriculture mécanisée », les pluies provoquées et tutti quanti, les griots du régime ont subitement perdu la voix face à l’implacable réalité : l’agriculture malienne n’a pas fait un pas en avant. Loin s’en faut. Nous sommes encore et toujours à la préhistoire, à la daba et à la houe. Il ne suffit pas de chanter développement pour que le pays avance dans cette voie. Gérer un pays demande une grande capacité d’analyse, de prévision et d’anticipation. Sur ce chapitre, il est triste de constater que l’avion n’a pas de pilote et ne peut anticiper une situation orageuse.

Malheureusement, ce n’est pas la première démonstration d’incurie. Il y a trois ans, la FAO avait prédit, sept mois à l’avance, une invasion acridienne qui mettrait en péril les récoltes à travers le Mali. Je me souviens d’ailleurs qu’un expert de cet organisme spécialisé des Nations unies avait exhibé une carte claire sur laquelle il indiquait les zones à partir desquelles des milliards de larves prendraient vie. Il n’y aura aucune réaction jusqu’au moment où les criquets attaqueront les champs. Comme d’habitude, les autorités ont entamé après coup leur défilé à la télévision nationale et les appels aux « partenaires ». Les dégâts ont été importants et pourtant, il était possible de les circonscrire.

Je ne sais pas ce qui taraude l’esprit des dirigeants maliens d’aujourd’hui. Je ne sais si la sécurité alimentaire du pays les intéresse. Je demande simplement de voir un plan sérieux, bien préparé et réaliste qui évitera aux 11 millions de Maliens l’humiliation d’un « tam-tam pour le Mali » au stade Wembley de Londres. Je ne veux seulement pas voir Bernard Kouchner en costume Kenzo venir palper des enfants du Mali la chair sur les os. Je ne veux pas voir des enfants français traînant un kilo de riz à l’école pour expédition au Mali.

Est-il encore possible de demander au chef de l’Etat Amadou Toumani Touré d’assumer son rôle de commandant de bord, sans se faire traiter « d’opposant », suprême injure dans un système où toute critique semble bannie ?

Ousmane Sow

(journaliste, Montréal)

16 avril 2008.