Triste pour mon Bélédougou profané, humilié
Triste pour mon nord saharien « congolisé »
Triste pour… Razel-ma-Tombouctou : mon Guernica sous les bombes d’occupation.
Le chef de village de Nonkon ne décolère pas. Il vient de suivre à la télé les grandioses et magnifiques manifestations sur les sites historiques de Sabouciré, de la reconstitution de la célèbre bataille d’opposition à la pénétration coloniale, à l’élévation de la stèle de 7 m de haut pour la postérité.
Ayant plaidé légalement et espéré sans succès, une telle reconnaissance de la part des autorités de la République depuis l’occupation illégale de ses terres où ses ancêtres et alliés sont morts les armes à la main, face à ce même ennemi, une seule et même question murmurée entre ses lèvres crispées d’amertume, à peine ouvertes fuse. Pourquoi dans le même pays dit démocratique et juste, la reconnaissance pour les uns et l’oubli, pire la profanation et le mépris, pour les autres ?
Car sage père des temps anciens d’honneur, de dignité et de probité à jamais révolus, ton village Nonkon et ton pays, le Bélédougou n’ont pas produit une fille ou un fils dont la descendance donnerait un président de la République, un ministre, ou même un baron des nouveaux régimes démocratiques.
Dans un pays où l’histoire se conjugue au présent immédiat de l’actualité de la vie des princes du jour, aspect « griotique » d’une laudative historiographie de complaisance et du ventre et où la gestion de l’Etat, est d’abord une affaire de famille, de clan, de tribu, puis de région, les glorieuses gestes et héroïques faits d’armes de tes ancêtres rois et princes aujourd’hui réduits à l’état de simples « paysan africain sans histoire et sans aucune perspective d’évolution« , ne valent rien.
Les pères fondateurs de la République du Mali ont été bien inspirés en choisissant symboliquement la date du 22 septembre 1960 comme date officielle de la proclamation de l’indépendance de notre pays en souvenir de la première bataille d’opposition à la pénétration coloniale française au Soudan dit français, berceau d’au moins sept empires prospères.
Et le capitaine Gallieni devenu général depuis, ne s’était pas trompé, lorsqu’il affirmait dans ses mémoires n’avoir jamais senti nulle part ailleurs que sur ces terres soudanaises l’existence d’un vrai espace étatique, certes bien décentralisé, mais très bien structuré des pays mandingues du Sénégal jusqu’aux confins des déserts de Tombouctou et de l’Adrar des Iforas.
Pourquoi Sabouciré ?
Elles ont été très bien inspirées les autorités gouvernementales et législatives du régime du président ATT d’avoir choisi pour les manifestations commémoratives du cinquantenaire de l’indépendance du Mali, la revisite de l’histoire de la résistance du peuple soudanais à l’asservissement colonial, commencé à juste titre par la reconstitution de la bataille de Sabouciré et sa matérialisation par cette belle stèle, afin que les générations actuelles et futures, s’imprègnent des tragiques pages de résistance de ce peuple, façonné, ouvert, tolérant, pacifique jusqu’au stoïcisme, par mille ans d’histoire d’épopée, mille ans d’histoire d’élaboration et d’exercice de droit humain et de sagesse sociétales.
La fête aurait été encore plus belle, plus féconde et plus œcuménique si après les festivités de Sabouciré, les autorités avaient pensé étendre cette révision de l’historiographie de la résistance soudanaise en fonction du temps et de l’espace à l’ensemble du pays ; par d’officielles évocations festives des batailles de résistance sur les murailles de Ségou, de Sikasso, de Nioro, de Wéssébougou, du Bélédougou sans oublier les campagnes de conquête et de résistance d’un Samory, d’un Sékou Ahmadou, fils du père si bien nommé, des révoltes bobos de Bazani et des Touareg de Firhoun, pour ne citer que ceux-là.
Loin de nous l’idée d’organiser en tous les lieux de résistance de l’espace soudanais, une aussi grande manifestation nationale avec présence obligée de tout le gouvernement, des corps constitués et tous les acteurs et figurants des scènes de bataille et des négociations. Une année entière n’aurait pas suffi et le budget insupportable et injustifiable.
Mais de symboliques manifestations à caractère régional, préfectoral ou même sous-préfectoral où la présence d’un ministre, d’un gouverneur ou d’un préfet et élus locaux aurait pu valablement représenter le gouvernement, l’Etat malien.
Les populations locales dans la liesse et le réconfort auraient été reconnaissantes à cet Etat qui leur aurait ainsi restitué leur passé, leur dignité, les hauts faits de leurs ancêtres et leurs sacrifices consentis pour la pérennisation des valeurs morales culturelles et traditionnelles de ce cher soudan aujourd’hui Mali.
Autant le président ATT a été légitimement fier de savoir et de faire savoir qu’il est descendant d’une princesse de Sabouciré qui a offert les premiers morts de la résistance soudanaise, autant Issa Konaré de Torokôrôni, Tété Diarra de Nonkon, René Dakouano de San, Ngolo Dembélé de Konséguéla et Sambou Traoré de Sikasso ou Ag Youssouf d’Abeiraba, etc. auraient été très fiers, très heureux de communier avec leurs gouverneurs, préfets et sous-préfets en souvenir des grands hommes de leurs espaces géographiques qui ont choisi la mort dans l’honneur plutôt qu’une vie de soumission et d’avilissement coloniale. Ceux-là même qui, en tous temps en tous lieux, ont inspiré les pères fondateurs du Mali nouveau.
» Griotisme » panégyrique
La belle fête du cinquantenaire aurait alors été une formidable opportunité de réarmement moral du peuple malien, comme ce fut le cas dans les années soixante où ce peuple qui, suite à l’éclatement de la Fédération du Mali, se dressa uni, fort et confiant comme un seul homme pour faire face à son destin. Les strophes de l’hymne national ont su capter opportunément ce puissant souffle de détermination et de confiance en soi.
Mais au lieu de cela, les manifestations sombrèrent progressivement et lamentablement dans un « griotisme » panégyrique et de repositionnement social à l’intention des princes, barons et autres personnalités, influentes dans la gestion politique donc économique et financière du pays. Les vrais héros d’hier furtivement évoqués sans épaisseur, ni la force de caractère qui leur sied, ont servi, instruments anonymes de légitimation, de strapontins aux maîtres du présent.
Mais pouvait-il en être autrement dans le Mali d’aujourd’hui ? Evidemment que non ! Si l’on sait les rapports que tissent ces nouveaux pouvoirs des temps des « démocratures » avec la culture, l’art et l’histoire. Un budget de misère ; un financement au lance-pierre. Et pour cause, combien de ministres du gouvernement connaissent leur histoire du Mali ; exceptés les classiques lieux communs inculqués par l’historiographie coloniale et ânonnée depuis les temps coloniaux, jusqu’à nos jours. De recherches sur notre vraie histoire, sur notre culture ? Que nenni ! Point de sous. That is it.
Combien d’entre eux savaient avant ce cinquantenaire, l’histoire de la bataille de Sabouciré ? Et combien se sont intéressé aux faits d’armes réels du Kouôdialada, de Wéssébougou, de Dio, de Daban, de Bazani, de Nonkon, de Nioro et même celle en profondeur de Ségou et de Sikasso et le « Farablo » ? Très peu.
Certes la fonction de ministre ou de haut fonctionnaire ne fait point obligation d’être expert historien de la nation, mais dans un Etat digne de ce nom, on ne peut valablement prétendre assumer certaines responsabilités nationales sans connaître les fondamentaux cultuels, historiques, « civilisationnels » et géographiques, bref monographiques du pays, aussi sommaires soient-ils. Connaissances qui guident orientent les choix et décisions politiques et économiques et partant l’exécution d’actions, salutaires pour tous.
Rien d’étonnant alors si presque tous nos précieux sites historiques, trésor « inévaluables » que nos devanciers nous ont légués au prix de leur sang, de leur souffrance pour un meilleur avenir pour nous et pour nos héritiers, sont au mieux ignorés et abandonnés à l’agression des intempéries ou dégradés, détruits par nous-mêmes, ou pis vendus à des spéculateurs fonciers. Sans scrupules ni vergogne par de cupides chefs coutumiers et d’affairistes administrateurs néocolonialistes qui n’ont d’autres éthiques, que celui de l’argent facile ou extorqués aux pauvres ruraux, comme on a volé de nos villages et bourgs et vendu à des faux antiquaires sans foi ni morale, nos dieux tutélaires et reliques des fois millénaires (cf. discours du président de la République aux journées nationales sur le foncier).
Comment peut-on imaginer M. Oumar Cissé, préfet de Kolokani tenir avec les populations du Bélédougou une manifestation de commémoration de la violente et sanguinaire bataille du Kouôdialada en 1915 sur le site duquel fait historique, il a délibérément vendu, contre tous les textes juridiques en la matière, 102 ha à Wélé Diallo, marabout affairiste de son état qui fait dire à qui veut l’entendre qu’en tant qu’ami des plus hautes autorités de l’Etat, aucun pouvoir administratif, judiciaire ou de sécurité, ni personne d’autre, ne peut rien contre lui dans le Mali d’aujourd’hui.
Sur le site exproprié avec la bienveillante et complaisante complicité des autorités administratives, il y a installé des vigiles qui, ayant pris goût et plaisir à tirer des coups de feu de sommation et d’intimidation sur quiconque s’y risque, ont fini, dernièrement par canarder par quatre coups de feu successifs comme s’il ne s’agissait que d’oies sauvages, une mission de contrôle, en blessant quatre personnes dont un huissier assermenté.
Cette mission était venue constater la reprise intensive des travaux de profanation par le personnel de Wélé, malgré la publication et la diffusion de la décision du ministère de la Culture, de la retenue dudit site comme patrimoine historique de la région de Koulikoro au titre de l’année 2010.
Mais ce n’est rien. Ce sont les vigiles de Wélé, l’ami des plus hautes autorités, qui n’ont fait que tirer sur quelques énergumènes prétentieux, qui ont osé se dresser contre eux. Trafic d’influence ou réalité ? Beaucoup de méfaits sont aujourd’hui commis au nom des plus hautes autorités. Ce n’est rien de tout. Une banale scène de chasse du Mali d’aujourd’hui. Circuler ! Y a rien à voir.
Comment imaginer Oumar Cissé, préfet de Kolokani parler aux populations du Bélédougou de la terrible charge des Traoré Zambla sur la colline de Zambougou où tomberont les princes Douga Traoré, Bandjougou Traoré, de la chute sur ses versants et aux lieux dits Blandokolé des princes Djiadjiri Magassa, Tiéblédjan Diarra de Nonkon, Koutou Diarra de Massantola et autre Bandjougou Coulibaly, ce sommet dont il a offert 62 ha à Boubacar Haïdara en signant avec une complaisance coupable un avis de non-objection sans aucune enquête au préalable et ce contre l’avis des populations riveraines concernées et les propriétaires traditionnels de terres.
Aujourd’hui le sieur Haïdara y construit sur les ossements des martyrs tombés, un hôtel bien approprié pour le repos et le confort domanial des nouveaux bourgeois des démocratures. Tant pis pour les âmes des Dognoumé Diarra, de Sambablé de Massatola, de Diossé Traoré de Koumi ! Si leur ultime sacrifice a pu servir à galvaniser le courage des pères de l’indépendance, le cimetière de leurs os abritera les batifolages des nouveaux riches de la restauration néo-coloniale.
Mon Guernica
Triste cinquantenaire pour mon Nord saharien « congolisé« , un non-Etat où les narcotrafiquants viennent faire leurs transactions de drogues avec des gros-porteurs, détruits après, car la valeur du contenant n’est rien à côté de celle du contenu ; où des armées étrangères viennent y mener leurs guéguerres de démonstrations de force au prix de quelques petites vies maliennes ; où les pays voisins et d’ailleurs viennent faire leur commerce de charme et d’auto-promotion au prix de quelques petites vies maliennes sans s’en référer le moins du monde à l’état malien propriétaire théorique de ces territoires.
Mais au fait ce bout de Sahara en forme de bout de lance préhistorique appartient-il encore au Mali ? Si oui, pour combien de temps encore ? Nous y reviendrons.
Triste cinquantenaire pour la femme et sa fille du village de Razel-ma, mon Guernica, aux environs de Tombouctou. Elles n’ont rien fait de mal à personne. Elles ne demandaient qu’à vivre tranquillement leur dure et pénible vie du désert soumises aux brusques variations capricieuses du temps et de la température oscillant toujours insolemment entre les extrêmes.
Elles n’ont pas vu les avions arriver ou si, mais il était trop tard. Trop tard pourquoi ? Pour fuir ? Mais où fuir encore dans ce désert sans maître, quadrillé entre bandes rebelles manipulés, narcotrafiquants de tous poils, GSPC algérien commandité, et autres divers barbouzes, d’horizons et de motivations multiples et variés.
Mais pour nos deux compatriotes ce fut brutalement le vide, le trou, l’inexistence. Etre et ne pas être ? Résolu en une fraction de secondes. Juste deux pâtés de chairs et d’os sanguinolents étalés subitement sur le sable sec avide. Elles n’avaient ni commercé de cocaïne, ni hébergé, servi l’AQMI, ni caché d’otages, pourtant une guerre venue d’ailleurs, ne les concernant pas les a effacées, chez elles dans leur village sans Etat. Le Nord malien serait-il donc un non-Etat ?
Mandé Alpha
01 Octobre 2010