Partager

Les salariés de Seydoni et Mali K7, les deux entreprises qui assurent la majorité de la production musicale au Mali sont, depuis le 16 mars dernier, en chômage technique. Leurs employeurs ne sont plus en mesure de leur payer leurs salaires à cause des pirates.

« Le problème actuellement, c’est qu’il y a des commerçants au marché qui nous laissent produire les artistes, investir dans leur promotion et presser leurs cassettes… bref faire tout le travail et réaliser tout l’investissement. Et puis le lendemain de la sortie des cassettes, ils inondent le marché de contrefaçons.
Ils les revendent bien évidemment moins cher réalisant ainsi d’importants bénéfices puisqu’ils ne payent pas de royalties, de TVA, pas de droits d’auteurs, d’impôt… Ils tuent le marché et depuis un an nous avons du mal à payer notre personnel
« , explique le D.G de Mali K7, Philippe Berthier, pour justifier la décision de chômage technique. Une mesure prise de commun accord avec la direction de sa concurrente, Seydoni/Mali.

« Si je vous disais que Mali K7 et Seydoni représentent 98 % de la production musicale au Mali, mais seulement 5 % de la distribution, me croiriez-vous ? Et pourtant c’est vrai « , explique Fousséni Traoré, D.G de Seydoni.

Le reste du marché est naturellement aux mains des pirates En fait, seule une cassette sur dix vendue au Mali est légale. Les patrons de Mali K7 et de Seydoni attendent que le gouvernement prenne ses responsabilités et sanctionne les pirates. Une condition sine qua non pour reprendre leurs activités.

C’est surtout le gouvernement qui est directement visé par cette action. « Nous n’en voulons pas au ministre de la Culture parce que sa volonté d’assainir le marché est réelle et sincère. Mais, nous pensons que le gouvernement tarde à mettre les moyens nécessaires à sa disposition pour combattre les pirates« , précise M. Berthier.

La lutte contre la piraterie exige en effet une solidarité gouvernementale parce que le combat est avant tout interministériel. Il implique les ministères des Finances et de l’Economie (douanes), du Commerce et de l’Industrie (commerce et concurrence), de Sécurité intérieure (forces de sécurité), de la Justice (application de la loi) et de la Culture à travers le Bureau malien des droits d’auteur (BUMDA).

Sur le plan économique, ce sont des milliards de recettes fiscales qui échappent à l’Etat, mais aussi aux producteurs et à leurs artistes. « Sur chaque cassette vendue, nous reversons 90 francs de droits d’auteurs et 112 francs de TVA« , explique Malick Konaté de Mali K7. « C’est également de l’argent qui échappe au Mali puisque, en Asie, les pirates paient en espèces pour les cassettes dupliquées« , souligne M. Traoré.

Le DG de Seydoni ajoute que, « d’un point de vue artistique, nous ne serons plus en mesure de faire découvrir de nouveaux talents. Et là on verra bien ce que feront les pirates quand ils n’auront plus rien à contrefaire « .

Un drame social, et culturel

Dans un mois, si rien n’est fait, ce sont un peu plus de 150 personnes, sans compter les petits revendeurs et les collaborateurs extérieurs, qui seront licenciées et privées de ressources. Mais le plus grand perdant risque d’être la musique malienne dans son ensemble. Le prolongement de la crise va sonner son agonie.

Mais, tout le monde espère qu’on en n’arrivera pas là et que le gouvernement va se mobiliser au chevet de la musique malienne comme il l’a fait pour lutter contre l’invasion acridienne (certains comparent les pirates aux criquets pèlerins), pour réveiller le football voire le sport et comme il est en train d’agir pour sauver l’école malienne. Les notes d’espoir ne se sont pas encore estompées.

Des solutions préconisées

« Au Mali, il y a une loi qui dit que la piraterie est un crime. Pourquoi arrête-t-on les gens que l’on surprend en possession d’objets prohibés et qu’on ne fait rien quand il s’agit des cassettes piratées ? Surtout qu’on les connaît « , s’indigne Fousséni Traoré, DG de Seydoni.

Aujourd’hui, le Bureau malien des droits d’auteurs (BUMDA) met en relief la création d’une brigade pour démontrer son engagement à combattre la piraterie. Une mesure jugée « très insuffisante » par les artistes et leurs producteurs « La brigade dont il est question sera composée au maximum de quatre agents. Que peuvent-t-ils face à l’ampleur du fléau ? Rien ! Il faut des opérations d’envergure pour assainir le marché de la musique au Mali. C’est le travail préalable à faire si l’on veut que la brigade soit efficace dans son travail« , explique Philippe Berthier, DG de Mali K7.

Outre ces opérations, les acteurs du secteur exigent aussi un moratoire de cinq ans sur l’importation des produits musicaux au Mali, des cassettes surtout. « L’Etat doit lutter contre les importations des cassettes pirates. Ce qui risque certainement de mettre en cause un système où la corruption règne sans partage« , préconisent certains de nos interlocuteurs.

Tout comme est attendue une application rigoureuse de la loi contre les pirates qui se font prendre. Nos interlocuteurs pensent aussi que les consommateurs peuvent efficacement contribuer à la lutte contre la piraterie. Pour ce faire, ils doivent être sensibilisés à ne pas acheter des cassettes piratées.

Il faut aussi rapprocher les produits des acheteurs par l’installation et la multiplication des kiosques comme on le voit dans certains pays. Pour la réussite de cette stratégie commerciale, il est nécessaire de réglementer la vente de cassettes au Mali en la soumettant à une autorisation du BUMDA et de la direction du Commerce et de la Concurrence.

Tant que n’importe qui peut mettre les cassettes dans des cartons ou des charrettes pour arpenter nos villes, les pirates vont régner sur le marché. Le changement de la méthode de gestion du BUMDA est aussi réclamé par les artistes. Les avis se rejoignent quant à l’efficacité de ces mesures préconisées par les uns et les autres.

Comparer à d’autres pays de la sous-région, le cas malien semble être très alarmant. Mais, il n’y a pas de raison que le Mali échoue dans la lutte contre la piraterie au moment où beaucoup de ses voisins ont réussi à la maîtriser. Ainsi, selon le patron de Seydoni, le marché ghanéen est composé à 80 % de cassettes légales contre 90 % pour la Côte d’Ivoire avant la crise.

« Cependant à Abidjan, encore aujourd’hui, 100 % des cassettes sont légales« , affirme-t-il. Et en Côte d’Ivoire, un producteur a le droit de faire interpeller un vendeur qu’il surprend avec une cassette pirate. Raison de plus pour ne plus spolier leurs collègues maliens de ce droit fondamental.

Des milliards perdus au profit des pirates
« Nous avons investi plus de 600 millions de F CFA pour la réalisation de nos différentes structures, qui offrent non seulement des emplois (60 emplois permanents) mais contribuent au rayonnement culturel de notre pays à travers le monde entier. Grammy Awards (1), les Victoires (2), les Kora Awards (3), le Prix RFI Musiques du monde (8) sont des distinctions musicales qui ont honoré nos artistes et notre cher Mali au cours de la dernière décennie« , souligne Mali K7 et Seydoni dans une correspondance adressée au BUMBA il y a une semaine.

Le prix moyen d’une cassette légale est de 1 000 F CFA (1,5 euros). La contrefaçon coûte, quant à elle, entre 500 et 700 F CFA. Le Mali consomme annuellement 10 millions de cassettes, alors que seulement 600 000 cassettes sont légalement fabriquées par Seydoni et Mali K7. Celles-ci assurent la production et la diffusion de près de 2 000 artistes sur le territoire national.

Alors que le marché total est estimé à 2 milliards de F CFA, les deux principales maisons de production ne réalisent qu’un chiffre d’affaires se situant entre 240 et 300 millions. Sans compter que la piraterie coûte annuellement plus d’un milliard de F CFA de recettes budgétaires à l’Etat. Pour les patrons de Seydoni et Mali K7, il est donc impératif que le gouvernement applique la loi et mette fin à la concurrence déloyale qui en train de faire le lit de leur faillite.

FACE A LA FERMETURE DE MALI K7 ET SEYDONI

La révolte des jeunes artistes

Ce mercredi après-midi, le temps n’est pas à la réjouissance devant le siège de Mali K7 SA, sise à Quinzambougou. Et pourtant les artistes-musiciens sont bien au rendez-vous. Mais, contrairement à leur habitude, les mines sont serrées, les propos amers. Point de place à l’humour et à la bonne humeur,qui sont leurs compagnons fidèles.

Ils s’appellent Jacques, Nouhoum, Boubacar, Aly… Ils sont présents cet après-midi parce qu’ils sont sur le point de perdre leurs emplois. « Je suis le seul salarié d’une grande famille. Je ne peux pas imaginer perdre cette source de revenus vitale pour ma famille« , crie l’un d’eux contenant à peine sa colère. Sur la place, il y a également Mariétou Diabaté, Samba Touré, Cheick Hamala Coulibaly, Adama Yalomba, Awa Diabaté, Gaoussou Traoré, Mamou Sidibé, King Lassy Massassi…

Ils sont là parce qu’un épais nuage plane sur leur carrière voire sur leur vie. Dans le lot, nous avons aussi des producteurs indépendants comme Siriman Diallo, Aly Landouré, Sory Yattassaye…. Leur présence n’a rien d’insolite, car ils investissent dans le secteur. Tout comme Mali K7 et Seydoni. Leurs investissements sont pillés en toute impunité.

Les discours rivalisent en virulence. N’empêche qu’on a une pensée pieuse pour ceux qui ne sont pas là ce jour. « Si Tata Diakité n’avait été piratée, elle n’aurait eu besoin de l’appui de personne pour se soigner. Et ces enfants n’auraient plus eu de soucis à se faire pour le reste de leur vie« , rappelle Malick Konaté, Directeur d’exploitation de Mali k7. Seydou Camara, Ladji Kolossi, Awa Jolie Diabaté, Mamou Diabaté « Mamoujèman », sont, entre autres évoqués.

« Au Mali, pour qu’un artiste puisse se soigner convenablement aujourd’hui, il faut que la présidence de la République vole à son secours. Et ce n’est pas faute de talent ou de succès commercial« , dixit Alassane Soumaoro, producteur.

« En France voire en Occident, un artiste peut réaliser l’essentiel de ses rêves en sortant un seul album à succès. Mais, ici, tu alignes les succès en continuant marcher à pied et vivant en location parce que les pirates t’ont privé de ta moisson« , tempête Mamou Sidibé, la Techno Girl. Et comme cela ne suffit pas, »ces criminels viennent nous narguer jusque dans nos maisons en nous proposant nos propres cassettes piratées. Ils nous disent que nous fatiguons parce que personne ne pourra les empêcher de pirater nos œuvres », ajoute la star du Ganadougou.

Cet après-midi, le vocabulaire assez pauvre pour traduire la colère, la déchéance et la révolte des artistes, des producteurs… Chacun veut déverser sa colère en prenant à témoin les journalistes massivement présents. « Il faut agir !« , exhorte Amkoullel, le président du « Ministère de l’ambiance » (les rappeurs). « Agissons« , disent en chœur la génération consciente et quelques ténors présents.

Agir ! Comment ? Les avis divergent. Certains veulent des opérations de casse dans les différents marchés. D’autres souhaitent marcher sur l’Assemblée Nationale, le ministère de la Culture voire sur le Palais de Koulouba. Le lendemain, jeudi, la marche est organisée. Des cassettes ont été saisies et piétinées dans la cour du ministère de la Culture. « Ce n’est qu’un avertissement. Nous sommes maintenant prêts à tout pour pousser le gouvernement à prendre ses responsabilités face à la piraterie« .

Un avertissement pris au sérieux au niveau du département parce que le lendemain, le ministre a rencontré les Amkoullel, Adama Yalomba, Mariétou Diabaté, Awa Diabaté, Mamou Sidibé, Issa Bagayogo… Ce qu’ils se sont dit reste un secret. Mais, le ministre a été assez persuasif pour les convaincre de sa bonne volonté d’agir pour soulager la musique malienne du fardeau de la piraterie.

Les opérations « Coup de poing » seront désormais régulières et inopinées. C’est de bonne guerre pour l’épanouissement de la Culture malienne, notamment de la musique.

Dossier réalisé par Moussa Bolly

23 Mars 2005