Intrigué par les propos qui lui sont prêtés et qui, à notre avis, déplacent le problème du code du terrain religieux à celui de la politique, nous l’avons approché et sans façons il s’est mis à notre disposition. C’est peu de dire que, par sa franchise, le président du Haut Conseil Islamique ne laisse pas indifférent. Un homme à suivre. Il dit tout sur le code, sur ses relations avec ATT et les chrétiens, sur l’Islam politique au Mali et les responsabilités des gouvernants.
Le Républicain : Avez-vous vraiment dit, samedi dernier, à l’occasion de votre meeting d’information sur le code de la famille, que vous rendrez le pays ingouvernable ?
Imam Dicko : Je l’ai dit et je l’assume. Ce n’est pas dans mes habitudes de tourner autour du pot. Et ce que je dis est toujours très clairement dit.
Vous vous prétendez démocrate, peut-on être démocrate et dire cela ?
-Mais c’est vers l’ingouvernabilité que le pouvoir nous mène. Car il veut faire des musulmans une majorité qui ne compte pas.
Pouvez-vous étayer cette affirmation ?
-Il y a quelques mois le HCI au nom de tous les musulmans a contesté une vingtaine de dispositions du projet de code de la famille qui jurent avec nos valeurs sociétales et religieuses. Le peuple était en colère. Le président de la République s’est engagé, devant la nation, à tenir compte de nos réserves lors de la relecture du code. Il avait promis, pour ce faire, de mettre en place une commission comprenant le Hci.
Et alors ?
-Il avait dit après le mois de carême, donc août dernier, mais depuis rien. Au niveau formel, aucun contact n’a été pris avec nous. Or nous savons que le code est à l’ordre du jour de la présente session de l’Assemblée.
C’est une raison suffisante pour rendre le pays ingouvernable ?
-Pour nous, l’attitude du président relève du mépris. Et nous ne l’accepterons pas. D’ailleurs, avec ou sans moi, ceux qui se sont mobilisés autour de ce problème refuseront le fait accompli.
Mais n’est-il pas exact que vos réserves sont consignées dans un mémorandum et que ce mémorandum peut être remis aux députés sans votre entremise ?
-Comprenez-bien ! Le président avait promis de mettre en place une commission qui dialoguerait et trouverait un bon compromis pour le code. Ce n’est pas fait jusqu’à présent. Et ensuite, c’est quand même nous les auteurs du mémorandum et il est logique que nous soyons consultés sur les points que nous avons évoqués.
Imam, tout le Mali pense que vous avez un problème avec ce pouvoir qui n’a rien à voir avec le code, le saviez-vous ?
-Je n’ai aucun problème personnel avec le pouvoir. Ceci dit, celui-ci peut avoir mal pris ce que je considère être la vérité lors de cérémonies solennelles où je dois prendre la parole au nom des Musulmans.
Avez-vous, en revanche le sentiment qu’ATT vous harcèle ?
-Non
Vous savez s’il vous respecte ?
-Nous avons de bonnes relations personnelles. Il est mon frère.
Pensez-vous qu’il vous aime ?
-Sans doute. Il doit aimer tous les citoyens maliens.
D’où viennent donc toutes ces rumeurs dans les journaux et dans les radios libres que le président n’était pas pour vous au poste de président du Hci ?
-C’est évident et établi que je n’étais pas son préféré à ce poste.
Peut-on lui en vouloir ? On dit de vous que vous êtes un militant Rpm…
-Je ne fais jamais de militantisme politique. Je suis cependant un ami d’IBK. Je l’ai affiché et je l’assume entièrement.
Vous soutenez apparemment que vous n’avez jamais reçu de voiture de la part du Président, contrairement à ce qu’on a entendu à la télé…
-Non, j’ai bien reçu, avec quatre autres leaders religieux, une berline iranienne donnée par le Président. Ce que j’ai dit et qui est vrai, c’est que le Président a promis depuis plusieurs mois au Hci une voiture tout terrain que nous attendons encore.
Franchement, Imam, comment pensez-vous que le problème du code doit être réglé ? En cédant seulement sur vos points ?
-Non par le dialogue, et certainement pas en excluant 95% de la population.
Boutade pour boutade, n’est-ce pas vous qui excluez 52% de la population, c’est-à-dire les femmes et dont l’écrasante majorité sont des musulmanes ? Vous dites par exemple qu’elles ne peuvent pas hériter de la même part que les hommes…
-Non c’est le Coran qui le dit et pour nous cela est sacré. Y compris pour les femmes dont vous parlez.
Est-ce aussi le Coran qui interdit de dire que les époux se doivent respect mutuel ?
-Non au contraire. Le Coran exige le respect pour tout être humain, à plus forte raison entre mari et femme. Mais le respect n’exclut pas l’obéissance. Et la femme doit obéissance à son mari, comme un enfant à ses parents. En quoi cela est-il une atteinte à la dignité des femmes ou des enfants ?
Les enfants nés hors mariage qui ne sont pas responsables de leur situation n’ont-ils pas de droits ?
-Comprenez que pour le Coran ce n’est pas le test Adn mais la légitimité juridique qui prévaut. Les naissances sont organisées dans le cadre du mariage. Quand on viole ce cadre, on est sanctionné. C’est aussi simple que ça. Ce sont des prescriptions coraniques, pas les miennes.
C’est quand même vous qui avez tenu des propos peu confraternels vis-à-vis des Chrétiens…
-Je me permets de vous arrêter sur ce sujet. Lors des vœux 2010 à Koulouba, j’ai expliqué au Président que c’est l’Etat qui a crée le HCI et qu’il ne doit pas l’abandonner au motif de la laïcité. Car c’est notoire que le Hci se débat dans des difficultés de fonctionnement. Pour toute réponse, ATT a donné un proverbe bamanan « si tu appelles au secours contre un lion, assure-toi d’avoir toi-même sa tête entre tes mains ».
Oui mais ça c’est autre chose. Ce ne sont pas les chrétiens qui l’on dit.
-Laissez-moi terminer. Le message du Président était clair. J’ai ouvert une souscription. Mais plus tard, devant les musulmans, j’ai effectivement dit que l’Etat dépensait plus du milliard pour les partis politiques, des milliards pour le sport, le Cinquantenaire et qu’il venait même de débourser 700 millions Cfa pour racheter au profit de l’Eglise le terrain controversé de Samanko. J’ai ramené tout cela à la situation du Hci et je l’ai décrié.
Mais vous indexez tout de même l’Eglise…
-Absolument pas. Nous avons avec la Communauté chrétienne les meilleurs rapports possibles. Et d’ailleurs, lors du procès pour le terrain de Samanko, je me suis rendu à l’archevêché, en tant que musulman indigné pour signifier mon soutien total à Monseigneur Zerbo. On ne m’opposera pas aux chrétiens, ni en tant que personne ni en tant que président du Hci.
Imam Dicko, pouvez-vous jurer que vous n’êtes pas candidat à la présidentielle de 2012 ?
-Je le jure, ni à la présidentielle, ni aux législatives, ni aux communales.
D’accord, mais le Hci envisage t-il de soutenir une candidature en 2012 ?
-Je ne saurai en préjuger.
Une candidature islamiste est-elle de l’ordre du possible ?
-Non. Sauf à venir sanctionner la faillite des hommes politiques. Comment pouvez-vous comprendre leur silence et le silence de l’Assemblée nationale sur les événements très graves qui se passent au Nord ? Drogue, enlèvements, crimes…
Mais justement, tout ça a été un peu lié aux intégristes religieux. Aqmi par exemple.
-Je ne sais pas. Il n’y a jamais eu d’investigation sérieuse là-dessus. Rien ne me prouve que ce sont les Islamistes. Et même si c’est eux, ce n’est pas l’Islam qui demande d’enlever des gens.
Propos recueillis par Adam Thiam
09 Avril 2010.