Les premiers administrateurs civils et les colons qui vinrent chez nous le firent célibataires ou seuls pour ceux qui étaient déjà mariés en métropole.
Sur place, ne pouvant se passer des femmes, les uns et les autres recrutèrent de belles négresses qui leur servirent d’épouses à titre provisoire.
En référence au modèle européen qui avait déjà fait des heureux depuis le 19e siècle, ces épouses d’occasion furent appelées concubines et le phénomène de ce mariage insolite appelé mariage colonial.
Dans « l’Etrange destin de Wangrin », Amadou Hampaté Bâ le décrit avec force détails et de manière fort habile.
Seulement en usage dans les colonies, le mariage colonial n’avait aucune validité aux yeux de la loi et les enfants qui en étaient issus étaient considérés comme des bâtards, des illégitimes n’ayant aucun droit sur les biens de leur père.
D’ailleurs, il n’était célébré ni religieusement ni civilement ; soit qu’ils étaient déjà mariés en Europe et ne pouvaient plus contracter une seconde union, soit qu’ils en avaient le complexe, la plupart des colons se satisfaisaient de cette situation sans lendemain pour eux et pour la concubine.
Naturellement, ceux-ci, se disant dans l’ignorance des coutumes indigènes, ne payaient rien comme dot aux parents de la fille ou de la femme prise par l’Européen ; mieux, ils s’estimaient honorés d’avoir une femelle qui partageait le lit du Blanc.
Si la fille était fiancée, son fiancé devait renoncer à elle sans que l’amant blanc lui rembourse quoi que ce soit. Le même renoncement était exigé de l’homme si la femme était mariée.
Cette situation totalement nouvelle dans les colonies ou l’institution du mariage était si solidement implantée qu’elle ne laissait place à aucune autre forme d’union.
Certes, dans la jeunesse, des jeunes gens pouvaient innocemment entretenir des relations amoureuses qui généralement mouraient d’elles-mêmes après le mariage des amants ; des hommes et des femmes déjà mariés pouvaient également vivre ensemble discrètement, mais cela n’avait rien à voir avec le concubinage qui était une singularité venue d’Europe.
Né d’une lecture partisane des textes philosophiques du 18e siècle sur la liberté, le concubinage apparut en Europe au début du 19e siècle avec des artistes et des femmes de lettres comme George Sand et Frédéric Chopin qui l’expérimentèrent sous les yeux ahuris de l’Europe chrétienne et pieuse.
L’essor des arts, de la science et de la technique au début du 20e siècle ne le condamna pas ; mieux, malgré les pressions du clergé et de l’Eglise, le phénomène s’imposa sous l’impulsion de couples célèbres comme celui de J.-P. Sartre et de Simone de Beauvoir.
La colonisation ne fit donc qu’exporter dans les colonies ce mode de vie bourgeois sous la forme du mariage colonial, mais pour des raisons différentes.
Dans les grandes villes, les gens sans grands moyens se rabattirent sur la trouvaille pour fonder une famille. Ceci d’autant plus rapidement que les difficultés économiques les y poussaient.
La conjoncture économique défavorable, les charges écrasantes liées au mariage firent que de plus en plus le concubinage gagna du terrain malgré le fait qu’il n’avait aucune validité ni pour les musulmans ni pour l’administration qui tous deux l’assimilaient à l’adultère.
Même de nos jours, en tant que forme simplifiée du mariage, le concubinage arrange les démunis de la ville, de même qu’il permet à beaucoup de femmes célibataires de connaître les joies de la vie en famille.
Les droits du mariage y étant annulés et la dot rendue caduque, rien ne s’oppose plus à l’union ; pour peu que l’homme se déclare capable de la nourrir et de l’habiller, la femme déménage d’elle-même chez lui, sans aucune formalité et parfois à l’insu des parents.
Les vieilles filles et les éclopées en sont les premières candidates.
Cette situation vaut peut-être mieux qu’une vie de célibataire endurcie, et donc de misère.
Facoh Donki Diarra
(ISH, Bamako)
24 juin 2005