La presse malienne est de plus en plus liberticide. Maîtres chanteurs, calomniateurs, escrocs en col blanc, individus manipulés sans vergogne… Voilà quelques reflets que la majorité des Maliens ont de leur presse. Il n’en peut être autrement lorsque le secteur devient un refuge pour des jeunes chômeurs désœuvrés ! Autant on n’a pas forcément besoin de passer par une école de journalisme pour être un bon journaliste, autant on ne s’improvise pas journaliste comme c’est plus souvent le cas au Mali. Cela aurait été acceptable si les jeunes arrivants et leurs patrons se préoccupaient un peu de leur formation afin de leur inculquer les notions de base du métier.
Hélas, à peine arrivés, on se presse de leur ouvrir les colonnes et les micros. Ils ne se préoccupent plus de l’apprentissage du métier. Mais, ils vont courir derrière l’argent. C’est ce qui les a emmenés dans le métier pour lequel ils n’ont aucune passion et aucune disposition naturelle. Ils sont donc prêts à tous les deals, à tous les pactes avec le diable pour se faire des sous. Autant en emporte l’éthique et la déontologie. Mais, comment leur en vouloir si ceux qui se disent des professionnels du métier sont loin de donner l’exemple dans ce domaine. Ceux qui brandissent la formation dans une école de journalisme comme gage de leur professionnalisme sont souvent les plus aptes à brader la profession contre des arrangements misérables.
La presse malienne aura du mal à judicieusement exploiter sa liberté constitutionnelle et formelle tant que les patrons de presse refuseront d’adhérer à l’adoption d’une Convention collective des journalistes. Il est évident que la Convention peut être efficace à soigner les tares ci-dessus énumérées. Mais, son adoption risque de signer l’arrêt de mort de beaucoup de parutions et de radios. Tout comme beaucoup de « confrères » et « consœurs » entrés par effraction dans le métier risquent de se retrouver au chômage. Mais, on ne fait pas de l’omelette sans casser des œufs. Tant que l’environnement des médias maliens ne sera pas soumis à une réglementation stricte définissant les droits et devoirs de chacun des maillons de la chaîne, le secteur va toujours baigner dans l’amateurisme. Ce qui n’est pas favorable à l’éclosion de vraies entreprises de presse dont le pays a besoin pour le renforcement de sa jeune démocratie.
Une mutation crainte par les patrons
Malheureusement, il ne faut pas s’attendre à une telle évolution réaliste de sitôt. Parce que tout porte à croire que les patrons de presse, au Mali, craignent une telle mutation parce qu’elle réduit la main mise sur les agents qu’ils n’hésitent pas à exploiter de nos jours. La professionnalisation des métiers de presse va réduire l’emprise des promoteurs dont certains pensent avoir droit de vie et de mort sur leurs employés. Mieux, le système « D » voire le chantage auquel ils sont habitués pour maintenir leurs feuilles de choux dans les kiosques ne suffira plus à cette fin. Que le journal se vende bien ou mal, les journalistes ne le ressentent ni sur leurs conditions de travail ni sur leur traitement salarial (pour les privilégiés qui ont droit à un traitement mensuel).
Tous les bénéfices de l’activité reviennent aux patrons. Jusqu’à une date récente, l’aide à la presse allouée par l’Etat servait, pour certains, à construire des villas, à acheter des voitures et à offrir des week-ends mondains à des maîtresses au détriment des organes de presse et de leurs principaux animateurs. « Si tu n’es pas content, tu plies bagage », disaient-ils aux « récalcitrants ». Il est indéniable que la Convention collective est un garde-fou contre les abus dont les journalistes et autres agents sont victimes de la part de leurs employeurs. On comprend alors que ceux-ci fassent tout pour que le processus d’élaboration et d’adoption de la Convention collective ne se fasse pas de sitôt.
Le laxisme de l’Etat
L’Etat malien n’est pas exempt de reproches dans cette léthargie. Il ne fait presque rien pour pousser les patrons de presse à cette évolution indispensable. Cela fait au moins quatre ans que le processus est enclenché. Mais, il demeure sans issue. Beaucoup d’entre-nous avaient pensé qu’avec la nomination d’un doyen rompu à la tâche que le processus allait s’accélérer. Mais, force est de constater qu’il demeure toujours sans issue.
Il est vrai que l’imposition des critères pour avoir accès à l’aide à la presse est une avancée significative vers le professionnalisme à travers l’amélioration des conditions de travail et certaines garanties sociales pour les employés des rédactions. Mais, cette contrainte n’est pas sûre de porter ses fruits parce que beaucoup de patrons de presse trichent par des arrangements afin de se faire des sous. L’année dernière, certains n’ont pas hésité à s’endetter pour « payer » les dossiers nécessaires. Pour être efficace, il faut que la procédure soit soumise à un contrôle strict. Ce qui, malheureusement, ne semble pas être le cas pour le moment.
Les patrons des médias maliens ainsi que leurs employés ont tous intérêt à progresser vers le professionnalisme. Certains en feront indéniablement les frais. Mais, ce sacrifice est nécessaire à l’éclosion d’une presse digne de notre démocratie. Dans un Etat de droit, la presse ne peut réellement jouer son rôle de 4è pouvoir dans l’amateurisme. Et sans Convention collective des journalistes, sans de vraies entreprises de presse, point de professionnalisme.
Moussa Bolly
10 mai 2005