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M. le président en exercice de la Cédéao, le Mali, mon pays va mal et de plus en plus mal. La Côte d’Ivoire, votre pays, va mieux, de mieux en mieux !

Monsieur le président, après votre brillante élection à la magistrature suprême de votre pays, vous avez dû faire face, malgré vous, à ce qu’il est convenu d’appeler « une guerre de libération du fauteuil présidentiel de Côte d’Ivoire ». Ce fut dur et même très dur. Vous avez fini par retrouver ce symbole de la toute puissance que le peuple ivoirien a bien voulu vous confier pour quelques années.

Au moment où l’Hôtel du Golf vous servait de refuge, le peuple malien a ressenti dans sa chair le poids écrasant de l’injustice dont vous étiez la victime. Votre combat « démocratique » fut celui de tout le peuple de la Cédéao, qui vous a soutenu et qui a accueilli vos frères en déshérence, fuyant les affres d’une guerre fratricide.

Monsieur le président, à présent, vous êtes au sommet de la « toute puissance régionale », vous êtes celui qui, par la grâce de Dieu, préside aux destinées de la sous-région ouest-africaine. Cependant, souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps de cela que vous étiez le citoyen ivoirien en proie au doute et à l’incertitude !

Souvenez-vous, M. le président, que rares ont été les vrais démocrates présidents africains qui vous avaient réellement soutenus, autrement que du bout des lèvres. Il a fallu « les autres » ; il a fallu surtout la force de frappe française, vos amis, nos amis communs. Souvenez-vous, M. le président, qu’aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’a pensé fermer ses frontières aux paisibles Ivoiriens.

Monsieur le président, les hommes oublient très vite mais pas le peuple. Qui l’eût cru ? Entre vous et « le très démocrate ex président du Mali », nous en savons assez pour ne pas croire à votre « très sincère engagement » à le rétablir au pouvoir du Mali.

Dites-nous ce que « le démocrate ATT » a pu faire pour vous depuis que vous êtes aux affaires pour effacer de votre mémoire les affres infligées à vous et à votre peuple à cause de son « incapacité en tant que président de la Cédéao » ? Et que pensent vos compatriotes, les Ivoiriens, de ce revirement spectaculaire du « Champion ADO » ? Et qu’en pensent nous les « pauvres Maliens ».

Monsieur le président Ouattara, le peuple laborieux du Mali ne vous reconnaît plus dans vos prises de position récentes. Vos ordres, menaces et injonctions ne s’adressent pas seulement aux putschistes, désormais au pouvoir à Bamako. Vous vous en prenez visiblement au peuple malien tout entier, car les sanctions financières, politiques et économiques que vous préconisez sont de nature à asphyxier le peuple du Mali, en proie à une rébellion au sujet de laquelle votre « puissante Cédéao » a brillé par son silence assourdissant et coupable.

Dites-nous, où était cette force militaire quand le pays de votre « très démocrate ami président ATT » a été attaqué le 17 janvier 2012 ? Où alors vous n’étiez pas encore aux commandes de la Cédéao à cette lointaine époque-là ? Qu’avez-vous dit ou fait après le massacre tant médiatisé d’Aguelhok ? Pendant que cinq régions sur huit du pays sont soumises aux attaques meurtrières des bandits armés et que d’innocentes populations ont fui leurs terres, personne n’a entendu que la Cédéao allait voler au secours du Mali et de son général capitulard.

Mais aujourd’hui, le « putsch » a bon dos et c’est l’occasion rêvée pour votre institution de monter, enfin au créneau, d’élever la voix et même un peu trop pour vous en prendre à un pays franchement mis à genou par l’incurie d’un homme et de ses collabo de politiciens. C’est vrai que le costume de président vous sied si bien qu’on oublie que c’est votre première fois de présider aux destinées de notre sous-région ; votre expertise suscitée par des « conseillers toxiques » paraît limitée dans le temps.

Elle ne tient pas compte de la spécificité du cas malien et si vous entendez traiter de la même manière tous ceux qui se disent « démocrates », alors, M. le président, vous décevrez plus d’un Africain, car « le très démocrate Laurent Gbagbo » a bien sévi dix ans durant dans votre chère Côte d’Ivoire et au nom de la démocratie.

Monsieur le président, les hommes passent, les peuples demeurent, je ne vous apprends rien. Aussi salutaires que soient vos réunions, vos conciliabules et vos implications désintéressées pour la « défense de la démocratie au Mali », vous devez vous souvenir que le peuple malien, au prix du sang de ses enfants, n’a pas attendu « d’interventions extérieures » pour arracher, en 1991, sa démocratie des mains d’un autre général.

Le peuple malien ne l’a pas fait pour installer un homme au pouvoir. Non. Il l’a fait pour être libre et disposer pleinement de sa liberté. Vingt ans après, cet acquis démocratique a chancelé à tel point que le 22 mars dernier, un coup d’Etat est survenu dans ce pays que vous qualifiez de « démocratique ». Et ces militaires qui vous empêchent de dormir sont bien Maliens et démocrates comme votre ami ATT, à la différence que les premiers ont l’amour de leur patrie.

Monsieur le président, les démocrates du Mali, dans leur ensemble, connaissent bien le pouvoir militaire ! Et les putschistes que vous voulez bouter ou buter, par vos moyens à vous, savent très bien que le peuple du Mali est bien capable de destituer, par lui-même. Ne vous en offusquez pas ! Le Mali est ainsi fait. Malheureusement, nos putschistes n’ont pas parlé de « rectification » mais plutôt de « redressement » ! Est-ce donc une question de sémantique ?

Monsieur le président, en votre très haute qualité de président en exercice de la Cédéao, vous devriez, sauf erreur de ma part, vous préoccuper de l’émiettement programmé du territoire malien dont les conséquences n’épargneront aucun Etat de la sous-région dont « votre toute puissante Côte d’Ivoire ». Quant au coup d’Etat, donnez les meilleurs conseils à vos frères Maliens puisque au-delà des principes, vous savez pertinemment que votre « très démocrate ATT » a gravement porté atteinte à la dignité du Mali éternel. Vous qui êtes « un Ouattara » de souche, vous comprenez très bien de quoi je parle et c’est ce pour quoi, la vraie société civile malienne a salué ce coup de force. Croyez-vous vraiment que vous, chefs d’Etat, vous tenez plus à la démocratie au Mali que ces nombreux Maliens, démocrates comme vous, qui ont donné leur soutien au CNRDRE ?

Alors, M. le président, puisse votre toute puissance de président en exercice de la Cédéao en souffrir, s’il vous plaît, accordez le bénéfice du doute aux militaires du CNRDRE qui aiment leur pays autant que vous aimez le vôtre. S’il vous plaît, M. le président, arrêtez de nous infantiliser comme si ATT était l’exemplarité et la personnification du président démocrate par excellence. S’il vous plaît, vous n’imaginez pas le dessein de cet homme qui, putschiste et fin manœuvrier accompli, est rentré dans l’histoire politique du Mali par effraction. Cela, vous ne le savez que trop.

Monsieur le président, il faut vraiment être honni par son armée et son peuple pour subir des tentatives successives de putsch comme ce fut le cas pour l’ex-général cinq étoiles du Mali. Et personne mieux que les Maliens ne peut mesurer les dégâts perpétrés par cet homme et sa coterie de « bénis oui oui », tous autant condamnables que lui dans la gestion chaotique de notre pays. Tous ces hommes politiques sont à la tête de véritables fortunes soutirées des deniers publics maliens. Tous s’attendaient que M. ATT consente à faire une « dévolution programmée et démocratique du pouvoir » en leur faveur à défaut de le faire pour lui-même. Aujourd’hui, ces politiciens sont tous affolés d’autant que le capitaine Sanogo parle d’audit de tout le pays.

Les Maliens ont confié leur pays à ATT et ce général cinq étoiles en a hypothéqué l’avenir ! Ce n’est pas pour rien que les patriarches maliens comme Seydou Badian qui n’ont plus rien à prouver se mettent à soutenir le coup d’Etat. Aujourd’hui, comme hier, le Mali a terriblement besoin de l’aide et du soutien de ses voisins de la Cédéao. Cependant, s’il vous plaît, ne lancez pas un ultimatum à un pays souverain. Votre crainte de voir « le syndrome malien » se propager dans vos pays respectifs ne nous semble pas justifier puisque vous êtes de vrais démocrates, vous.

Quand Moussa Traoré avait fait son coup d’Etat en 1968, vos pays n’ont pas éternué, que je sache. Quand le peuple malien s’est soulevé en 1991 pour chasser Moussa Traoré, votre confort de pays stable n’a guère été ébranlé à cause du voisinage. Alors, assurez la bonne gouvernance dans vos pays et vous verrez que les populations ne feront que regretter ce qui arrive au Mali. D’ailleurs, je ne suis pas certain que vos populations vous suivent dans votre acharnement calculateur « à imposer votre solution régionale » aux pauvres Maliens enclavés par la géographie.

Vous avez le beau rôle en cela ! Venez donc nous aider à trouver « une solution malienne » à cette crise. Mais de grâce, par respect pour notre dignité, ne venez pas chez nous en amis avec une solution « préfabriquée » dans vos valises. Si elle ne passe pas et elle a toutes les chances de ne pas passer, allez-vous engager votre Cédéao à tuer le peuple malien par asphyxie économique et financière ? Allez-vous accepter qu’un seul Malien meure parce que « vos saintes paroles », « vos injonctions » et « vos diktats » n’auront pas été respectés, à la lettre, par la junte au pouvoir à Bamako ?

Mais alors, pourquoi n’avez-vous pas « proféré des menaces et des injonctions lorsque vous voyiez votre ami capitulard, fuyard et irresponsable » foncer dans le mur de la mauvaise gouvernance : corruption galopante, népotisme sordide, absence total de l’Etat, famine endémique, noyade du système éducatif, etc. Vous saviez tout cela de votre voisin, mais vous avez laissé courir pour finalement vous offusquez d’un coup d’Etat devenu inéluctable.

Monsieur le président, par principe « tout coup d’Etat est condamnable » et ce sont les Maliens eux-mêmes qui l’ont inscrit à l’article 121 de leur Constitution. Et nul n’est censé ignoré la loi !! Mais voilà, M. le président, c’est comme le divorce dans un mariage qui apparaît souvent comme « un mal nécessaire ». Voyez-vous, M. le président, nous ne souhaitons un coup d’Etat dans aucune démocratie. Mais convenez avec moi que certains pays n’ont toujours pas eu le choix : Mali, Niger, Nigeria, Burkina Faso, etc. Monsieur le président, ne jetez pas le bébé avec l’eau de bain ! L’histoire d’un pays n’a jamais été un long fleuve tranquille et cela, vous le savez mieux que quiconque.

Monsieur le président en exercice de « la toute puissante Cédéao », le Mali a besoin de vous tous, de vos énergies positives et de votre assistance multiforme. Faites aujourd’hui, s’il vous plaît, ce que vous auriez dû faire du temps révolu de votre « ami, le très démocrate ATT ». Faites quelque chose de positif pour l’amour du ciel et de la démocratie et seulement après, vous pourrez « menacer, exiger, imposer et même affamer » le peuple malien. Mais avant, assurez-vous d’avoir au moins prodigué des conseils éclairés dont vous chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest avez le secret puis apportez votre aide et votre assistance. Et comme vous le savez, les priorités du Mali de ce jour sont, par ordre :

– Recouvrer la gestion pleine et entière de la totalité du territoire national. Pour ce faire, vous devez nous aider à mettre en place un gouvernement d’union nationale dirigé par une personnalité consensuelle de la société civile malienne. Ce poste ne saurait échoir, en aucun cas, à un homme politique. Les partis politiques, libérés de la gestion quotidienne du pouvoir s’attacheront à se préparer pour les élections générales que le gouvernement d’union nationale organisera au terme de la transition démocratique ;

– Organiser des élections présidentielles, législatives et communales au terme de la Transition démocratique. Pour ce faire, le fichier électoral du Ravec devra être entièrement constitué. Toutes les opérations nécessaires à des élections crédibles, transparentes et démocratiques doivent être parachevées.

Monsieur le président, avant de terminer, je dois vous signaler que je suis le premier surpris quand je me vois en train de soutenir de la sorte un coup d’Etat. C’est le cœur meurtri que je vous ai écrit cette lettre. Mais rassurez-vous, je fais confiance au génie du peuple malien pour sortir de cette mauvaise passe si vous ne vous évertuez pas à lui « mettre des bâtons dans les roues ». Si vous n’avez pas le cœur à apporter votre assistance autrement qu’en humiliant davantage le peuple du Mali, je vous prie de ne pas vous engager dans une voie sans issue en créant un précédent dans notre sous-région.

Toute ma considération au vaillant peuple de Côte d’Ivoire et à tous les peuples de la Cédéao !

Dr. Fodé Moussa Sidibé

(chercheur, écrivain… et démocrate)

02 Avril 2012