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Autre moyen de détourner de l’argent et de constituer des caisses noires : la création d’entreprise faux-nez des services français. Le Floch-Prigent, ancien PDG D’ELF, a reconnu que ELF avait été créée pour ça.

Dans cette compagnie, il y avait au moins quatre cents agents secrets. Et l’énorme différence, l’énorme rente qui peut provenir de l’argent du pétrole payé très peut cher et en partie non déclaré-, toute cette énorme masse d’argent a servi aux services secrets à entreprendre un certain nombre d’actions parallèles, comme déclarer la guerre au Nigeria pour chiper son pétrole, ou faire des coups d’Etat dans un certain nombre de pays. Mais il y a eu aussi des faux-nez plus petits : un certain nombre d’entreprises de sécurité ou de fourniture aux missions de coopération facturaient deux ou trois fois le coût de leurs prestations pour détourner de l’argent, par exemple vers un Bob Denard, contrôlait directement certaines de ces sociétés.

Je pourrais continuer longtemps comme ça. Je vous en donnerai encore un exemple plus tard. Ce dont il faut se rendre compte, c’est que dans la Françafrique, il y a une inversion permanente de ce qu’on vous déclare. Dans la face émergée de l’Iceberg, vous avez la France qui affiche ses principes et dans la face immergée, on voit l’application d’un monde sans lois, d’un monde sans règles, plein de détournements financiers, de criminalité politique, de polices tortionnaires, on le verra tout à l’heure- de soutiens à des guerres civiles. Ça, c’est la réalité.

C’est au moins 90% de la réalité. Alors, cette Françafrique, qui dure encore jusqu’à aujourd’hui, on conçoit bien qu’elle comporte un certain nombre de risques pour ces pays, qu’elle a de graves conséquences sur leur situation économique et politique.

Tout d’abord, quand on dit aux chefs d’Etat : « servez-vous dans la caisse », peu à peu la corruption va passer de la tête jusqu’au bas de la société. Et ce qui restait encore de services publics au moment de la décolonisation c’est transformé progressivement en Self-service public. Aujourd’hui, les capacités de santé ou d’éducation dans ces pays sont tout à fait démontées.

Deuxièmement, on peut comprendre que ces « Etats » néocoloniaux, fondés sur ce qu’on appelle une économie de rente, de pillage, de prélèvement de la richesse des matières premières ou de détournement de l’aide publique au développement (au moins 50% de cette aide), n’ont aucun intérêt au développement économique. C’est une constante. Parce que, quand vous avez un développement progressif- des usines, des lieux de fabrication-, des classes d’acteurs économiques apparaissent-, des classes de salariés ou d’entrepreneurs- qui vont se mettre à contester l’usage de l’argent public.

On voit surgir des gens qui n’ont plus un besoin absolu de l’argent de l’Etat pour vivre, qui se mettent à penser librement et à contester le pouvoir. Donc, si dans ces pays il n’y a pas de développement économique hors des matières premières, ce n’est pas un hasard ; ce n’est pas du tout parce que ces pays en seraient incapables.
Si on oppose aux entrepreneurs des obstacles administratifs ubuesques, c’est tout simplement que le dictateur ne veut pas d’un développement économique qui contesterait son pouvoir.

A Madagascar, l’un des seuls entrepreneurs qui a réchappé à cette mise en échec, Marc Ravalomanana, est devenu président avec un fort soutien de la population, parce qu’il produisait malgache, et que maire de la capitale, il avait rompu avec les traditions de pillage des biens publics. Donc, beaucoup de dictateurs ont préféré éviter ce danger. Ils ne tolèrent d’entrepreneurs que totalement corrompus et assujettis, vulnérables et des accusations de détournement.

D’autres phénomènes ont encore aggravé la situation, comme la poussée démographique. Et puis il y a eu, à la fin des années 1970, ce qu’on a appelé «  la dette du tiers monde » .

En fait, il y avait trop d’argent dans les caisses de l’Occident et des pays pétroliers ; il fallait le recycler. Donc, on a poussé ces pays à s’endetter. On leur a dit : « Tout ça, c’est cadeau ; on va vous faire une nouvelle forme d’aide publique au développement, on va vous prêter à 3,2 voire même 0% et la différence avec le taux d’intérêt normal, on va compter ça comme de l’aide.

Sauf que, quand ces prêts sont en partie ou totalement détournés, quand ces prêts vont dans les comptes en Suisse ou dans des paradis fiscaux, comme c’est le cas le plus souvent, avec quoi va-t-on rembourser?

L’argent a disparu et on n’a produit avec… Le cas du Congo Brazzaville est caricatural, c’est une espèce d’alchimie extraordinaire. Voilà un pays qui avait beaucoup de pétrole. Ce pétrole, on le pompe, on l’achète presque pour rien, on n’en déclare pas une partie- un tiers, un quart ou la moitié, selon les gisements. Et donc, peu à peu, ce pays perd son pétrole. Mais en même temps, la dictature au pouvoir et ses amis de la Françafrique- les Sirven, Tarallo, Chirac, enfin tous les réseaux de la Françafrique- ont de gros besoins d’argent.

Donc, au bout d’un certain temps, on ne se contente plus de la production présente mais, avec l’aide d’un certain nombre de banques, on va se faire prêter sur gage : le pétrole qui sera produit dans deux ans, trois ans, dix ans…

Résultat, ce pays finit par avoir une dette qui est égale à trois fois sa production totale annuelle. Regardez la magie : ce pays a un plus, le pétrole et sa se transforme en 3 moins, une dette égale à trois fois sa production pétrolière (et même davantage). Et puis, en plus, avec une partie de cet argent, on achète des armes pour armer les deux clans de la guerre civile, qui va détruire le pays au milieu des années 1990.

Alors, vous allez dire : «  tout ça, c’est un fâcheux concours de circonstances « . Sauf que je démontre dans ouvrage, l’envers de la dette, que c’est le même personnage, Jack Sigolet, établi à Genève au coeur des paradis fiscaux, bras droit à André Tarallo. Le Monsieur Afrique d’ELf, qui à la fois vend le pétrole, gère la dette et achète les armes.

Alors, dire que c’est une coïncidence, c’est un peu difficile. Donc, si le Congo- Brazzaville a été détruit -j’y reviendrai-, c’est la responsabilité d’Elf, et comme Elf était nationalisée, la responsabilité de la France,c’est notre responsabilité à tous, en tant que citoyen de ce pays qui laisse opérer la Françafrique : à la fois nous pillons le pétrole, nous montons une dette totalement artificielle, la moussant comme œufs en neige à travers des commissions prélevées dans une kyrielle de paradis fiscaux, et nous achetons des armes pour détruire ce pays.

C’est un petit raccourci de la dette du tiers monde. Vous le voyez, en fait de dette, si on fait les comptes, c’est plutôt nous qui devons de l’argent à ces pays.


08 Septembre 2008