« Le Sud a besoin de stimulation étatique » ! Telle est la conviction de Detlef Kotte, responsable du département mondialisation et stratégies de développement de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Pour cet expert, les freins institutionnels ne manquent pas au développement des pays pauvres. « On demande aux pays du Sud de grimper dans la prospérité sans les échelles qui ont servi aux pays riches », déplore-t-il.
« Pour se développer, les pays riches ont toujours utilisé une politique macroéconomique qui favorise l’investissement dans les capacités de production et permet la croissance et la création d’emploi. Ils ont aussi le levier de la politique monétaire qui vise à la stabilité des prix et l’attraction des capitaux. Ils ont, enfin, des soutiens forts pour leur industrie, de la Chine aux Etats-Unis en passant par la France. Cette autonomie nécessaire, les pays pauvres l’ont de moins en moins », précise Detlef Kotte.
Pour cet éminent économiste, la croyance aux seules forces du marché a réduit les leviers politiques des Etats en voie de développement. « Sous l’influence de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et d’un vent de dérégulation, le rôle de la puissance publique s’est rétréci. Les institutions financières internationales font leur repentance sur ces dogmes. Mais, en pratique, les conditions pour l’obtention de prêts ou d’aide emballent de plus en plus de secteurs étatiques (gouvernance, politique fiscale, commerciales », dénonce M. Kotte.
Et l’introduction des filets sociaux (santé, éducation, eau…) ne changent rien à l’inadéquation de ces mesures drastiques avec nos besoins réels de développement. En effet, malgré certaines rectifications, l’Etat reste toujours cantonné au seul rôle de réalisation des infrastructures. Certes, les routes, l’électricité, l’accès à l’eau potable sont indispensables au développement humain durable.
Mais, « si l’on veut stimuler les investissements, l’Etat doit aussi pouvoir subventionner certains secteurs, promouvoir la recherche et le développement et mettre en place des protections temporaires », conseille le responsable du département mondialisation et stratégies de développement de la Cnuced.
Il est donc regrettable que les accords commerciaux internationaux ne soient pas orientés dans ce sens. L’économiste cite, par exemple, les Accords sur la propriété intellectuelle liée au commerce (Adpic). En les décortiquant, on découvre effectivement qu’ils sont de nature à restreindre l’accès des pays en développement à la technologie, à la connaissance et aux médicaments. « C’est du protectionnisme intellectuel », dénonce Detlef Kotte.
Il ajouté, « l’imitation a pourtant été la clé de l’essor de tous les pays développés. Avant d’innover, on imite : l’Asie le prouve. Ces protections sont même contradictoires avec l’esprit du marché et contre-productives ».
Créée pour soutenir le libéralisme économique, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est paradoxallement transformée par les puissances industrielles en outil de protection des secteurs de façon inégale et inéquitable.
On peut, comme la France le fait, protéger des secteurs de pointe, mais pas le textile ou la métallurgie dans les pays en développement. L’échec du cycle de Doha à l’OMC est la preuve concrète que le protectionnisme des pays riches se porte bien. Un échec dont cherche pourtant à faire porter le chapeau à certains pays africains (Bénin, Burkina, Mali et Tchad), l’Inde et le Brésil qui se sont battus becs et ongles contre les subventions agricoles du Nord.
Et même si on parvient, au terme des présentes tentatives désespérées de sauvetage, à ressusciter le cycle abouti, il ne se traduira jamais par une hausse des options politiques des pays en développement comme le Mali. Les droits de douane, par exemple, souvent la principale ressource pour l’Etat, se voient négociés à la baisse, produit par produit.
Pour Detlef Kotte, « au lieu de dire que les droits sur le cuir doivent baisser à 25 %, il vaudrait mieux faire des moyennes par activité. A chaque pays, selon son niveau de développement, de protéger les secteurs qu’il juge importants pour la satisfaction de ses besoins socioéconomiques ».
Il n’est donc pas logique qu’on baisse les protections douanières alors que nos firmes nationales sont compétitives. Comment un pays comme le Mali peut-il ouvrir son marché au textile importé et vouloir relancer son industrie textile incapable de soutenir la concurrence même sur le marché national ?
Cela relève de l’utopie économique comme vouloir lutter contre la pauvreté avec une croissance à un chiffre. Comme les économistes indépendants s’accordent à le reconnaître, « la question de la graduation dans l’ouverture est la clé du parcours de développement ».
C’est donc dans ce sens que nos technocrates doivent s’investir de nos jours s’ils veulent être réellement des acteurs décisifs du développement des pays pauvres.
Moussa Bolly
05 septembre 2006.