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La chasse désigne la traque d’animaux sauvages dans le but de les capturer ou de les abattre. A l’origine, la chasse permettait un complément de nourriture carnée et de ressources diverses comme les cuirs et fourrures, cornes, os, tendons, dents, griffes, défenses, poils, crins, etc. Elle a également eu assez tôt une importance rituelle ou d’initiation des jeunes.

Les mythes fondateurs évoquent souvent la chasse que des dieux ou des animaux auraient enseignée à l’homme. Certains pensent que l’opposition biblique de Caïn et Abel pourrait être le reflet de la supplantation du chasseur-cueilleur par l’agriculteur éleveur.

Même si on ignore si les premiers hommes étaient déjà des chasseurs, et si des populations entières ont vécu sans la chasse, elle est une pratique immémoriale. Il est vraisemblable, selon certains archéologues et paléontologues, d’après l’analyse des traces d’outils et de restes fossiles, que nos ancêtres aient d’abord ou aussi consommé des cadavres d’animaux ou des animaux blessés ou malades qu’ils achevaient plus facilement. Le piégeage est peut-être aussi une pratique très ancienne.

En droit, la chasse est définie comme un prélèvement artificiel sur la faune terrestre. La loi définit l’acte de chasse comme « tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci ».

La « démocratisation » du droit de chasse a entraîné un bouleversement généralisé de la chasse avec tout ce que cela comporte comme conséquences.


Alexis Kalambry



CE QUE J’EN SAIS

Les protégés de Kontron et Sané

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Les donsow, c’est-à-dire les chasseurs, seraient à l’origine de la fondation de l’Empire du Mali. En effet, la tradition raconte que Soundjata est né de l’union d’un chasseur et d’une femme-buffle, Sogolon Koutouma qui serait la fille d’un chef. Légende ou réalité ? En tout cas, dans l’espace bamanan et maninka (malinké) et chez les peuples qui leur sont affiliés comme les Bobo, la fondation d’un village ou d’une ville est toujours le fait d’un chasseur.

Selon des historiens, les chasseurs mandingues forment, depuis les temps les plus anciens, une immense confrérie très puissante. Très soudée, elle est largement représentée au Mali, en Guinée, en Gambie, au Burkina Faso, au Sénégal, au Niger et en Côte d’Ivoire. Et n’entre pas dans la confrérie qui le veut ! Pour devenir chasseur, il faut être initié. Une initiation qui porte sur l’étude de la faune et de la flore, l’art de la chasse, car on ne tue pas n’importe comment et n’importe quel animal. Elle est complétée par la maîtrise du savoir ésotérique, la face « cachée » de la connaissance, seulement révélée aux initiés.

Comme dans toute société initiatique, la confrérie a des grades. Le nouvel initié est d’abord apprenti « donso » placé sous les ordres et la protection d’un maître confirmé, avant de prétendre au statut de « donso ». Celui qui détient le savoir et qui a acquis l’expérience accède au grade de grand maître, de « donso Karamoko ». C’est le sage, le grand initié qui peut enseigner l’art et ses secrets.

Il arrive que des chasseurs abandonnent la chasse pour se consacrer à l’un des arts liés à leur savoir. Ceux qui sont passés maîtres dans le savoir ésotérique deviennent des « soma ». Ceux qui excellent dans la connaissance des plantes se spécialisent comme guérisseurs qui n’ont rien à avoir avec les nombreux charlatans que nous connaissons aujourd’hui. D’autres, enfin, peuvent opter pour la musique comme Yoro Sidibé. Ces chantres chantent alors l’exploit des grands chasseurs-guerriers.

Généralement, un Donso ne peut pas devenir chef et ne fait pas de politique. Il peut être mis à contribution pour sa bravoure et défendre le pouvoir en place. Il peut être le conseiller d’un chef ou être sollicité dans des médiations. Mais, s’il accède à des fonctions politiques, il doit obligatoirement quitter la confrérie. Ainsi Soundjata aurait cessé d’être chasseur quand il est devenu roi puis empereur du Mali.

Les donsow sont plus que des professionnels de la chasse. Ces fondateurs de villages, par ailleurs gardiens des traditions, en sont aussi les nourriciers et les protecteurs. Chasser c’est avant tout savoir manier les armes ! De chasseurs à guerriers, le pas est donc souvent vite franchi… Pour preuve, les « sofa » (soldats) de Samory Touré, qui se sont battus contre les Français dans le Wassoulou lors de la pénétration coloniale, étaient majoritairement constitués de chasseurs.

Et ce sont les chasseurs qui ont le plus souvent défendus les populations civiles en Sierra Leone contre les milices de Foday Sankho et Charles Taylor, et au nord de la Côte d’Ivoire. Dans ce dernier pays, ils ont été utilisés comme gardes du corps de personnalités et comme gardiens. Dans des villages frontaliers au Mali, au Burkina et en Côte d’Ivoire, ils sont le plus souvent impliqués dans la lutte contre la criminalité. Ils ont ainsi à leur actif l’arrestation de redoutables criminels.

Certes la chasse, surtout la grande chasse, a perdu de son importance. Toutefois, la confrérie des donsow est loin d’être tombée dans le domaine du folklore. Ainsi, depuis 2002, le ministère de la Culture du Mali organise une rencontre régionale des chasseurs pour illustrer ce que le Mali avait encore d’authentique et d’ancien.

C’est ainsi que deux rassemblements de donsow ont été organisés dans le pays. Deux événements qui ont beaucoup marqué les esprits. La Rencontre des chasseurs est une initiative du président Alpha Oumar Konaré visant à marquer l’entrée du Mali dans le IIIe Millénaire tout en faisant un clin d’œil au passé à travers cette communauté assez représentative de nos valeurs ancestrales.

« On dit que l’armée de Soundjata disposait de 60 000 archers. Ce n’était donc pas une légende », s’était émerveillé le ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko, à l’ouverture de la 1re Rencontre des chasseurs de l’Afrique de l’Ouest ! La force de cette confrérie réside dans sa solidarité et son extrême cohésion. « Nous sommes unis par des liens sacrés », confie Seydou Diakité alias Waraba Tiatio (le lion brave), l’un des grands Karamoko du Mali. Cette grande solidarité est une arme redoutable dans les situations qui mettent en cause les membres de la confrérie. Karamokow aw dansoko, aw ni ko !

Moussa Bolly


LA CHASSE AU MALI

Une activité réglementée

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La chasse est ouverte au Mali entre mi-décembre de l’année en cours et fin mai de l’année suivante.

Au Mali, la chasse est régie par la loi n°95-031 du 20 mars 1995 fixant les conditions de gestion de la faune et de son habitat, qui prévoit que « les étrangers non-résidents ne peuvent chasser sur le territoire national que s’ils sont soit clients ou invités d’un guide de chasse, soit membres ou invités d’une association de chasseurs ».

En ce qui concerne les étrangers résidents, ils bénéficient du permis de chasse au même titre que les nationaux lorsqu’ils sont titulaires de permis de port d’arme de chasse.

Les périodes d’ouverture et de fermeture annuelle de la chasse sont déterminées par arrêté du ministre chargé de la Faune. En général, la chasse est ouverte au Mali entre mi-décembre de l’année en cours et fin mai de l’année suivante.

L’autorisation d’importation temporaire d’armes de chasse par les non-résidents (touristes) est délivrée par le directeur national des services de police sur demande écrite des sociétés de tourisme cynégétique (guides de chasse) ou d’associations de chasseurs (agréées) au profit de leurs clients invités ou membres.

Une fois au Mali, les chasseurs touristes doivent se mettre en règle en prenant des permis de chasse correspondant à la catégorie de gibier qu’ils voudraient chasser (petite, moyenne et grande chasse).

Les titulaires d’autorisation d’importation d’armes de chasse sont soumis au paiement de la taxe annuelle sur les armes. Les taxes d’abattage sont à payer par unité de tête ayant fait l’objet d’abattage. Un agent des eaux et forêts accompagne les touristes pour contrôler et comptabiliser les prises et également pour des raisons de sécurité.

Mohamed Daou



BAKARY DIAWARA, DIT YANKEE

Un armurier de métier

chasseurs3.jpgLa pratique de la chasse est liée à l’existence d’un matériel. Le fusil est indéniablement l’outil de prédilection du chasseur. Bakary Diawara est de ceux qui ont choisi comme métier la vente, l’entretien et la réparation des fusils. Nous l’avons rencontré.

La soixantaine, les allures athlétiques, Yankee comme l’appellent ses intimes, a son atelier installé à Bamako Coura en face de la Maison centrale d’arrêt. Il y travaille toute la journée avec ses collaborateurs. Dans ses rayons, on trouve des fusils et pistolets de toutes les marques, de toutes les provenances, des plus vieux aux plus modernes. Les prix varient de 100 000 F à 1 000 000 de F CFA. On se croirait dans un musée de fusils et non dans une boutique de vente ou de réparation d’armes à feu.

Yankee n’a appris le métier des armes ni dans une armée encore moins dans une école de guerre. Son histoire qu’il aime raconter avec passion a débuté un jour de 1968. Cette année-là, il décide d’entrer de plain-pied à l’école de la vie. Il choisit l’apprentissage du métier du fusil chez Dupé et Fils, un Français installé à Bamako et l’un des premiers armuriers de notre pays. Dans la boutique de Dupé et Fils se vendaient des fusils haut de gamme. Le service après-vente y était également assuré. C’est là que Yankee apprit le B.A-Ba du métier.

Installé à son propre compte depuis maintenant plusieurs décennies, Yankee importe des fusils de chasse et de défense comme les pistolets et leurs cartouches. Il vend en même temps du matériel de pêche. Dans l’annexe de sa boutique se trouve un atelier de réparation d’armes. Selon lui, il n’est pas le seul à faire ce travail à Bamako. Il en existe même à l’intérieur du pays.

Des fabricants locaux ont aussi pignon sur rue. Il existe une association d’armuriers mise en place courant 2005, présidée par un fabricant local appelé le Vieux Yanoga. A en croire Yankee, ils sont tous soumis à l’observance scrupuleuse des règles de vente d’armes.

L’achat de fusil et de cartouche et même la simple réparation chez Yankee sont conditionnés à l’autorisation de port d’arme (pour les détenteurs d’armes de défense) et l’autorisation de port d’arme et de permis de chasse (pour les chasseurs). Il dit connaître le risque lié à la prolifération des armes légères pour avoir participé à plusieurs séminaires de formation organisés par le Pcased chargé de la lutte contre le phénomène.

Yankee tire son principal revenu de la vente et de la réparation des fusils et matériels de pêche. Il a aussi choisi la chasse et les arts martiaux comme loisirs. Des activités qui l’ont fait adhérer à la Fédération nationale des chasseurs et à celle de taekwondo.


Abdrahamane Dicko


CHASSE AU MALI

Une pratique minimisée par l’Etat

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Utile pour les uns, facteur de dégradation pour les autres ; tous s’accordent néanmoins à reconnaître que la chasse est négligée par l’Etat qui, disent-ils, a pourtant le devoir de l’encadrer au bénéfice du plus grand nombre. Réactions.


Dr. Famagan Konaté (chef DER géographique de la Flash) :

« Dans le domaine de la chasse c’est le feu de brousse qui préoccupe le département géographique. Les chasseurs sont des principaux acteurs des feux de brousse. Lorsque la végétation est sèche et que les chasseurs ne font pas attention, il y aura toujours des feux de brousse. Il y a aussi la chasse collective qui consiste à se réunir et mettre feu dans la brousse pour déloger les gibiers. Les feux de brousse ne sont toujours pas provoqués par les chasseurs. Les bergers peuvent également les provoquer. Dans certaines communes, les chasseurs sont des principaux protecteurs de la brousse. La chasse joue un rôle très important dans notre pays. C’est notre patrimoine culturel. Les chasseurs participent à la valorisation de notre culture. De ce fait, on doit sensibiliser les chasseurs à protéger les brousses ».


Abraham Théra (maîtrise en aménagement) :

« La chasse présente plus d’inconvénients que d’avantages dans notre pays. La chasse a un impact dangereux sur l’environnement. En la pratiquant, le chasseur est obligé de mettre le feu à la végétation pour débusquer les gibiers. Ce feu, non contrôlé, peut s’étendre sur de vastes superficies et brûler le couvert végétal et quelques espèces d’animaux qui ne sont pas trop mobiles. La destruction des arbres dans la forêt est un impact négatif de la chasse. La chasse présente aussi des avantages puisque certaines familles vivent exclusivement d’elle. Elle permet également d’éloigner les animaux dangereux du village. Aussi au Mali, les chasseurs jouent le rôle de guérisseur traditionnels ».

Bakary Théra (2e année géographie) :

« Bien que je sois né dans une famille de chasseurs, je reconnais que les chasseurs sont à l’origine de la dégradation de la forêt. L’Etat a beaucoup minimisé la protection des forêts. Il doit former les chasseurs à mieux protéger la nature. Si la nature est bien conservée, les animaux peuvent se développer. Nos chasseurs sont organisés en association. L’Etat doit sensibiliser ces associations. Les agents des eaux et forêts doivent être également stricts dans leur travail : en prenant des dispositions contre la coupe abusive des arbres et les feux de brousse qui font disparaître les animaux. Auparavant, il y avait beaucoup d’éléphants au nord du Mali qui n’y sont plus à cause de la rareté de la brousse. Par rapport aux autres pays de la sous-région, la chasse n’est pas développée dans notre pays. Nos chasseurs ne savent que chanter où s’habiller en tenues de chasse. Un grand chasseur doit être normalement informé sur l’environnement. L’Etat doit encourager la chasse en formant les chasseurs ».

Tiowa Dembélé (environnementaliste) :

« Le Mali est un pays situé dans la zone sahélo saharienne. Ces pays ont en commun une végétation caractérisée par les arbustes et les herbes avec quelques arbrisseaux. La végétation a un rapport avec les ressources fauniques. Plus la végétation est dense, plus la faune se développe. Le Mali n’a pas assez de faune car sa végétation est moins dense. La chasse serait alors un facteur qui fera disparaître la faune. Il est bon de stopper ces pratiques sinon prendre des mesures qui fixent les normes de chasse. La chasse est moins importante dans notre pays ».

Propos recueillis par
Sidiki Doumbia
(stagiaire)


FAUNE ET FLORE
L’environnement la proie de la chasse

chasseurs6.jpg« Qui parle de chasse parle évidemment d’environnement », pense Mamadou Kané, chef de division conservation de la faune et de son habitat à la direction nationale de la conservation de la nature. La chasse et l’environnement sont intimement liés, car ces deux entités vont de pair. C’est pourquoi, une bonne politique de préservation de l’environnement nécessite une politique judicieuse de chasse.

Pour mieux préserver l’environnement, les autorités ont pris certaines mesures qui s’articulent surtout autour de la lutte anti-braconnage. C’est ainsi qu’il a été procédé, entre autres, à la précision d’une période de chasse, la détention obligatoire par les chasseurs d’un permis de chasse, d’un port de fusil.

Hélas, force est de constater qu’aujourd’hui ces mesures sont inefficaces pour sauvegarder particulièrement les forêts, zones d’opération des chasseurs. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par un responsable du ministère de l’Environnement qui a déclaré que « notre pays a une bonne politique de chasse mais les forêts sont victimes des chasseurs à cause du laxisme dans l’application des lois régissant la chasse ».

Selon Mamadou Kané, les braconniers dégradent fortement l’environnement sans avoir une idée de ce qu’adviendra leur proie : la forêt. En plus de la chasse abusive des animaux, les chasseurs sont souvent à l’origine de feux tardifs, qui endommagent instantanément les verdures existantes dans les forêts. A long terme, de tels feux peuvent freiner la poussée des arbres ou même empêcher la régénération des espaces verts. Ce qui explique la disparition de certaines forêts.

Pour une meilleure adéquation entre chasse et environnement, M. Kané préconise le changement de mentalité des chasseurs, qui « pensent majoritairement que les animaux et leur habitat sont des créatures infinies de Dieu », d’où leur exploitation abusive. A l’en croire, c’est ce qui est à l’origine de la disparition de certaines espèces rares. En tant que responsable chargé de l’habitat des animaux, il appelle les chasseurs à « se ressaisir en changeant de comportement vis-à-vis des forêts pour le grand bien des populations ».

Ogopémo Ouologuem
(stagiaire)



YORO SIDIBE, ARTISTE

Une réputation de virtuose du doson ngoni

chasseurs7.jpgConsidéré comme le doyen des doson ngonifola du Mali, Yoro Sidibé bénéficie d’une renommée de star contemporaine sur la scène musicale malienne. Son effigie se retrouve sur des affiches et sur des tee-shirts, sa musique est écoutée à longueur de journée dans les Sotrama, les cars de transport inter urbain, dans des bars… Zoom sur un doson ngonifola hors du commun.

Le doson ngoni, la musique des chasseurs, a ceci de particulier : il a ses fans dans toutes les tranches d’âge, surtout s’il s’agit de savantes compositions d’artistes comme Yoro Sidibé dont les spectacles attirent des enfants, des jeunes, des femmes et même souvent l’élite du pays. La réputation de Yoro est telle que son nom ouvre bien de portes dans certains milieux. Tout comme il est entouré de mystère et d’égards dans d’autres.

Pourtant, si Yoro effectue de nombreuses tournées au Mali et ailleurs en Afrique de l’Ouest, il n’a jamais quitté l’Afrique. Et à quelques rares exceptions près, ses albums ne se vendent que sur de simples cassettes sur le marché local. Plus surprenant encore, la musique jouée par Yoro correspond mal à ce que l’on qualifie généralement de « musique populaire ». Malgré, sa popularité réelle, son jeu musical et l’ensemble de son art sont tout ce qu’il y a de plus traditionnel, au sens authentique du mot.

Ce qui ne signifie pas non plus que son jeu est un portrait fidèle et figé des vestiges d’un passé refuge inéluctable pour les conservateurs. Mais, son talent est hérité d’une longue chaîne de transmission intergénérationnelle qui n’a souffert d’aucune cassure. Bien sûr, ce que Yoro joue est différent de ce que ses maîtres jouaient.

Loin d’être adepte d’un style figé, il encourage ses apprentis à innover comme il en l’habitude lui-même. Et pourtant, l’éminent doson ngonifola ne sacrifie pas les rudiments de cet art millénaire. Tout en innovant, il s’inscrit dans la continuité des célèbres artistes chasseurs au sein de cette large confrérie de chasseurs.

Né vers 1940, Yoro Sidibé nous arrive de Bambala (Sikorolen Yanfolila), donc du Wassoulou, une région giboyeuse et berceau des grands chasseurs. Et dans la famille des Yoro, le donsoya (le métier de chasseur) est héréditaire. Tout comme la bravoure car l’artiste est l’homonyme de son grand-père, lui-même fils de Samba Sidibé qui avait défié Samory Touré en lui interdisant tout accès à son village, Bambala.

Dans cette famille brave, tous les hommes deviennent systématiquement donso. Mais, au-delà du cercle familial, l’enfant n’avait pas d’autres maîtres même s’il se confie à ses aînés comme le veut la tradition et non pas par la soif de la connaissance ou du secret du métier. Le ngonifola est à la fois le confident du donso et l’animateur de ses moments de détente à son retour de la chasse.

Un privilège que les chasseurs de Bambala étaient obligés d’aller chercher ailleurs en invitant un doson ngonifola dans les villages environnants pour l’animation de leurs manifestations. C’est pour combler ce vide que Yoro Sidibé prit la résolution de confectionner un donso ngoni. Après 32 ans de métier, ce singulier donso ngonifola à la voix envoûtante a déjà une vingtaine de cassettes dans sa discographie.

Aujourd’hui maître absolu de ce genre musical, Yoro puise son inspiration dans ses parties de chasse et à travers les comportements des animaux. « La différence entre les autres doson ngonifola et moi se situe à ce niveau. Pour être un bon chanteur, il faut d’abord être un vrai donso afin de connaître les secrets du métier », se confie-t-il. Il ajoute, « le donsoya est une tradition africaine. Le pouvoir de tous les chefs en Afrique reposait sur les donso et était pour la plupart eux-mêmes donso… Au Mali, presque tous les villages ont été créés par les donso ».

Au sommet de son art, Yoro Sidibé joue le doson ngoni à la perfection et sa renommée a largement dépassé les frontières nationales. Virtuose généreux, il a formé plus d’une quinzaine de doson ngonifola afin de contribuer à perpétuer cet art qui vaut au Mali beaucoup de prestige dans de nombreux festivals dédiés à la chasse.


Moussa Bolly


EPILOGUE

Les maîtres de la brousse

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La chasse fait partie des toutes premières activités économiques de l’espèce humaine. Elle est plus ancienne que l’agriculture et l’élevage puisque, sous de nombreux cieux, les hommes ont commencé à chasser et à se nourrir de viande avant de pratiquer l’agriculture, l’élevage et la pêche. L’activité économique qui peut avoir le même âge qu’elle est la cueillette et l’on pense, vu leur nature, que les deux ont été menées presque conjointement par les premiers hommes.

Le besoin d’être efficace dans cette activité a conduit nos ancêtres à se confectionner des armes toujours plus performantes et capables de les rendre supérieurs aux bêtes sauvages et dangereuses qu’ils guettaient. Progressivement, on passa des armes les plus rudimentaires comme les arcs et les flèches aux engins à projectiles que sont les fusils et les carabines. C’est avec ce dernier matériel terriblement dangereux que l’homme se rendit maître de la brousse et de la forêt.

Chez nous au Mali il y eut un rapport très étroit entre la chasse et la politique dans la mesure où certains de nos chefs d’Etat (le terme souverain est plus convenable) et de chefs de village furent des chasseurs : Soundiata Kéita dans le Mandé, Biton Coulibaly à Ségou, etc. Dans un contexte d’esclavagisme et de chasse à l’homme, c’était en effet le plus armé qui avait les moyens de rassembler le maximum de gens et de les surveiller efficacement, et c’est ce que firent beaucoup de chasseurs aux XVIIIe et XIXe siècles (peut-être même bien avant) qui devinrent ainsi des fondateurs de villages.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, la plupart de nos chefs de guerre (kèlè Massa) et preux furent des chasseurs agissant soit pour leurs propres comptes soit pour le compte de leur roi ou empereur. Quelques-uns de ces chefs de guerre devinrent si puissants qu’ils défièrent leur fama (Da Monzon) qui décida alors d’en finir avec eux en les décimant avec leurs troupes de chasseurs : Diakourouna Toto, Korè Dougakoro, etc.

Sur un tout autre plan, mais de la même manière, la puissance des armes à feu permit aussi aux Européens de se rendre maîtres du monde dans la 2e moitié des XIXe siècle en colonisant l’Asie et l’Afrique auxquelles ils imposèrent leur domination politique et économique. De manière générale, la possession des armes à feu et leur perfectionnement au fil des siècles permirent aux peuples qui en avaient le monopole de s’imposer aux autres depuis le XVIe jusqu’au XIXe siècle : Grande-Bretagne, France, Allemagne et les USA au XXe siècle.

Dans beaucoup de sociétés y compris la nôtre, les chasseurs ont mis en place une organisation de masse qui a fonctionné comme une armée et qu’on a appelé leur confrérie. Dans les luttes contre la colonisation, cette confrérie de chasseurs se distingua en faisant incorporer, soit individuellement, soit collectivement, ses membres aux armées des rois et empereurs en lutte contre les troupes d’occupation coloniale.

Dans toutes les zones du Mali, la chasse est pratiquée individuellement ou collectivement après une période d’apprentissage plus ou moins longue auprès d’un maître appelé Karamoko. Des gens deviennent chasseurs par passion alors que d’autres le sont par intérêt, c’est-à-dire à cause du gain qu’ils peuvent en tirer. Mais beaucoup de chasseurs aussi partent en brousse pour les deux (la gloire et le profit), non seulement pour paraître lors des grands veillées des chasseurs, mais également pour résoudre leurs problèmes sociaux avec l’argent obtenu dans la vente des viandes des animaux abattus.

Dans tous les cas au Mali, la chasse a toujours été une activité d’appoint se faisant en marge de l’agriculture et de l’élevage qu’elle n’est jamais arrivée à supplanter. C’est dire que des chasseurs professionnels, c’est-à-dire des gens vivant exclusivement des produits de la chasse, cela n’est pas courant chez nous même si certains passent plus de temps en brousse avec fusil à la recherche de gibier qu’au village à faire du jardinage ou l’élevage de la volaille.

Quelle que soit l’ethnie considérée (tous les groupes ethniques au Mali pratiquent la chasse), non seulement les confréries de chasseurs disposent de leurs propres règles de fonctionnement, mais également la pratique de la chasse obéit à des critères définis dès l’origine par les premiers chasseurs et améliorés par la suite par leurs successeurs : la soumission aveugle à Kontoron et Sanè, les deux divinités de la chasse, le respect et la protection de certaines espèces animales, le respect du maître et d’autres conditions encore. Les confréries de chasseurs sont des structures très fermées dont la philosophie profonde n’est connue que des seuls grands maîtres qui dispensent cet enseignement aux jeunes chasseurs.

En raison du fait que l’exercice de la chasse peut être dommageable à la faune et à la flore, l’Etat a, depuis 1960, cherché à en limiter les dégâts en mettant en place des structures de surveillance et de contrôle des chasseurs animés par les agents des eaux et forêts. Des parcs de réserves naturelles et des forêts classées ont aussi été identifiées et confiées à ces mêmes agents pour être préservés de l’action des chasseurs et des autres prédateurs de la brousse.

Maintenant avec l’avancée du désert, la désertification et la déforestation le gibier se fait rare, de même que beaucoup de races animales ont disparu. Les activités de chasse ont nettement baissé par rapport au passé et la chasse elle-même est devenue improductive. Les grandes espèces animales dont l’abattage faisait la fierté des chasseurs sont devenues rares, de même que les espaces touffus dans lesquels s’abritaient les grands fauves derrière lesquels couraient les maîtres chasseurs.

Tout cela fait que beaucoup de chasseurs en sont réduits à faire du braconnage qui est puni par la loi alors que d’autres se sont convertis dans des activités occultes. Bref, la chasse n’est plus ce qu’elle était autrefois. D’activité de prestige et de bravoure, elle est progressivement devenue une occupation à mi-chemin entre la sagesse ancienne et les pratiques mystiques tournées vers la divination et la voyance. Les villes sont pleines maintenant de la masse de nos chasseurs transformés par la force des choses en herboristes, en guérisseurs traditionnels, en géomanciens et même en charlatans.

Facoh Donki Diarra

Les Echos du 20 juillet 2007.