A 82 ans, l’éditeur et ancien compagnon de Modibo Keita a-t-il fait des calculs risqués ou pris des risques calculés en affirmant que le premier président du Mali est mort d’empoisonnement suite à une injection prescrite par feu Dr Faran Samaké? En tout cas, les héritiers de l’illustre médecin l’ont assigné en justice pour « déclarations diffamatoires » de nature à salir la mémoire d’un mort. Des juristes que nous avons approchés estiment que la requête des enfants de Faran Samaké est bien recevable en droit. Mais techniquement, s’interroge un observateur averti, on peut se demander si la justice se donnera le temps et les moyens d’une bonne enquête sur laquelle ils vont asseoir leur verdict.
Les témoins à charge
Une manière de déplorer qu’un procès intéressant, dans le sens où il aborde peut-être le chapitre des crimes d’Etat passés par pertes et profits jusque-là, ne s’enlise dans des questions préjudicielles et ne parte de renvoi en renvoi. Car au-delà des acteurs qui s’affronteront ce matin, le juge ouvre indirectement ce matin le procès de Moussa Traoré – son troisième donc après les procès crimes de sang et crimes économiques à l’entame des années 1990 qui virent l’ancien président du Mali pendant vingt trois ans condamné à mort puis gracié moins d’une dizaine d’années plus tard.
L’ancien psychiatre et généraliste surdoué, selon ses confrères, Faran Samaké était à la fois un proche du président Modibo Keita arrêté le 19 novembre 1968 par les officiers du CMLN dirigés par Moussa Traoré et détenu longtemps à Kidal au Nord du Mali avant d’être transféré à Bamako où il fut gardé au Camp Para de Djikoroni sous la responsabilité du capitaine Sounkalo Samaké. Le médecin était aussi sinon « l’oncle » du moins un proche de Tiékoro Bagayoko, l’officier qui arrêta Modibo Keita en personne. Il fut lui-même arrêté par Moussa Traoré le 28 février 1978 pour tentative de coup d’Etat.
Faran Samaké était désigné alors médecin traitant de Modibo Keita jusqu’au 16 mai où l’ancien président mourut en détention dans des circonstances que plus d’un Malien trouveront troublantes. Sounkalo Samaké que les habitués du Camp Para décrivaient alors comme le tortionnaire du régime régnait en maître absolu sur les lieux et ses détenus, avant de connaître à son tour les affres de l’arrestation en rapport avec le « complot du 28 février 1978 ». Dans son livre « Ma vie de Soldat » édité par la librairie Traoré appartenant à Amadou Traoré Djikoroni, le même qui est assigné en procès aujourd’hui, Sounkalo Samaké décrit les dernières heures de l’ancien président. Le capitaine était dans son bureau quand le soldat qu’il désigna pour la garde de Modibo vint le trouver, catastrophé pour lui dire que Modibo Keita n’allait pas bien. Il se précipita dans la geôle et y découvrit un corps presqu’inerte, la bave à la bouche.
Il posa alors les justes questions et ne tarda pas à savoir que le président venait de subir une injection à partir d’une prescription donnée par Faran Samaké dont le comportement très détaché, les heures qui suivirent, intriguèrent le capitaine. Assimi Dembélé, un autre officier chargé de la garde des Tiékoro Bagayoko raconte dans son livre « Transfert définitif » paru au « Figuier » que quand Tiékoro Bagayoko fut informé du « suicide » de Faran Samaké juste avant le début du procès des putschistes, il lâcha cette phrase : « il a pensé que j’allais parler, que j’allais faire des révélations au cours du procès ».
Pourquoi pas des morts naturelles ?
Il se refusera ensuite à aller plus loin disant à Assimi Dembélé ce qu’il répétera plus tard à son procès : « Il y a des secrets qu’un homme digne de ce nom se doit de garder ». Troisième témoin, l’auteur du livre « Quand le pouvoir délire », Mamadou Belco N’Diaye (paru aux Edim-SA). Il ne charge personne mais il dit qu’il a été désigné pour accompagner à l’époque Moussa Dramé et le Dr Mallé Keita, le frère aîné du défunt pour reconnaître le corps de Modibo Keita. Il ajoute que la mort de l’ancien président l’avait beaucoup surpris, lui et certains de ses camarades, ce qui veut dire qu’ils n’avaient pas entendu auparavant qu’il était malade ou gravement malade.
Le dernier témoignage est du Colonel Youssouf Traoré, un autre des officiers du Cmln qui a fini par se brouiller avec Moussa Traoré. Les conjurés du 28 février, notamment Mamadou Belco N’Diaye, ne lui vouent pas une estime sans borne et Modibo Keita serait allé jusqu’à confier à Sounkalo Samaké que ce colonel est le seul officier à ne lui avoir jamais manqué de respect. Mais Youssouf Traoré, rappelle l’hebdomadaire le Sphinx, a confié en 1988 à l’émission « Mémoires d’un Continent » que Faran Samaké s’était bel et bien suicidé! Et Modibo Keita et Faran Samaké ne peuvent t-ils pas être morts de mort naturelle ? Pas si les témoignages des écrivains cités sont crédibles. Sounkalo Samaké est vivant et il cite des témoins de première main : l’infirmier et le geôlier. Assimi est un peu malade mais lui aussi assure que les « révélations » de Tiékoro Bagayoko ont été faites devant témoins. Et « la piste de l’assassinat de Modibo Keita n’est ni ingrate ni infondée » selon un politique de la place.
La marche gigantesque des élèves et étudiants du 9 mai 1977, après plusieurs mois d’une grève à rebondissements qui avait éprouvé les nerfs du régime, était-ce un début pour comprendre ? Ce jour-là, les slogans fusèrent de partout, semble t-il, scandant «abas Moussa, Vive Modibo». Neuf jours plus tard, l’ancien président mourait alors que selon des sources citant le médecin qui le suivait dans le Nord du Mali où il venait d’être transféré, il n’avait aucune maladie le condamnant à une mort brusque. Ensuite, le communiqué de sa mort lue le soir du 16 mai et ne présentant simplement l’ancien président comme instituteur à la retraite indiquait les dispositions du régime à son endroit.
Et puis, confirmation à posteriori de l’équation que représentait Modibo pour le Cmln, la vague d’arrestation qui s’abattit sur une quarantaine de personnes ayant pris part à l’enterrement de l’Oiseau blanc, le nom de code alors donné à Modibo Keita. Les compagnons du défunt comme Attaher Maiga, Yamadou Diallo, Ablaye et Mamadou Macalou ainsi que des syndicalistes, étudiants ou universitaires de l’époque seront jetés en prison. Abdoulaye Barry, Adama Cissoko, Tiebilé Dramé, Abdoulaye Sékou Sow sont de leur nombre. Quant à Faran Samaké, la thèse de son suicide n’est pas farfelue, étant donné toutes ces circonstances et les relations de Assimi Dembélé, Sounkalo Samaké et Youssouf Traoré. Prouver cela est une autre paire de manches. Mais c’est bien le procès de Moussa Traoré qui s’ouvre en filigrane, affirme t-on au sein du mouvement démocratique qui fait partie des tombeurs du Général en mars 1991.
Adam Thiam
Le Républicain du 02 novembre 2010