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Notre pays, le Mali, fait l’unanimité en Afrique et ailleurs pour la qualité de sa démocratie. Nous sommes toujours cités parmi les cinq pays les plus démocratiques du continent, ce qui nous vaut de faire régulièrement la référence dans ce domaine. Ce classement et cette unanimité sont flatteurs et quelque part justifiés tant l’atmosphère politique et sociale de notre pays est apaisée, tant les compétitions sont ouvertes, tant le débat est dépassionné et tant les règles sont transparentes.

Comparé à d’autres pays, nous nous en sortons nettement mieux sur ces plans-là. Il reste cependant un domaine où nous avons un grand mal à performer ; c’est la participation aux compétitions électorales. Plusieurs scrutins se sont succédés dans notre pays sans que le taux de participation y soit acceptable.

Nous n’avons jamais atteint un taux de participation de 50 %. Autrement dit, aucun de nos élus ne peut se prévaloir d’avoir été choisi dans une élection où la moitié des électeurs s’est déplacée. Ceci contraint la légitimité des décideurs. Avec des taux de participation qui frise le ridicule (autour de 15 % dans la capitale et 34 % à l’intérieur du pays), la situation est encore plus dommageable.

Cette faiblesse de notre système électoral et de notre démocratie est grave à plus d’un titre. Elle maintient intact la fracture entre les élus et les populations, fracture qui fragile les uns et démobilise les autres dans un cadre où seul l’union peut nous permettre d’espérer.

Elle met davantage en exergue, voire encourage les fraudeurs et autres individus mal intentionnés qui verront leur rôle et leur impact grandir sur le résultat des votes. Elle est synonyme de pertes substantielles de ressources en raison des fournitures, matériels et autres supports électoraux non utilisés et non rentabilisés.

Du fait du faible retrait des cartes d’électeurs, l’administration est obligée pratiquement à chaque scrutin de renouveler ces documents pour éviter la fraude sur les anciennes cartes et pallier les pertes et autres désagréments causés sur les anciennes cartes. Nous assistons ainsi à la reconduction d’un système, scrutin après scrutin, avec le même résultat au niveau de la participation.

Nous avons atteint cette année un point tel qu’il est indispensable de se poser sérieusement la question de cette situation et envisager les voies et moyens susceptibles de nous aider à en sortir. Les raisons de la faible participation populaire aux élections sont à stigmatiser. Elles jetteront ainsi les bases des pistes d’amélioration à emprunter.

Le citoyen malien n’est plus que le lointain descendant du citoyen soudanais, fier et patriote. Il n’est plus que l’ombre de celui qui, à bicyclette ou à pied, faisait des kilomètres pour se rendre au bureau de vote et exprimer son opinion. Pendant la colonisation, le taux de participation aux scrutins était plus élevé que maintenant ; un comble !

Nous assistons à un recul croissant du fait citoyen, de l’attachement aux valeurs, de la promotion des convictions, de l’amour de la patrie et du respect pour la chose publique. Ceci est un secret de polichinelle mais si on n’y prend pas garde, on risque de le regretter chèrement !

La première cause de la faible participation des électeurs aux votes est à voir au niveau des électeurs eux-mêmes. Ils ne se sentent pas concernés. Ils préfèrent participer à des cérémonies festives, vaquer à leurs occupations, s’occuper de leurs activités plutôt que de chercher leurs cartes et plus tard, de voter. C’est un fait incontestable qu’il convient de traiter avec vigueur.

Le dispositif électoral ne favorise pas une bonne participation des citoyens, surtout ceux qui viennent d’être décrits. Le fichier électoral est mal conçu, le recensement n’est pas fait de manière idéale. Les nombreux acteurs impliqués sont susceptibles de commettre des erreurs dommageables à la fin. On ne compte plus les cas d’omission, de personnes triplement recensées voire plus, d’erreurs innombrables sur les noms, dates de naissance, professions…

Les changements de domicile ne sont pas suivis de manière adéquate, les décès encore moins. Quant à l’inscription automatique des jeunes ayant moins de 18 ans au moment du recensement, elle est plus qu’aléatoire. Les commissions d’actualisation mises en place chaque année pour mettre à jour le fichier, souffrent de nombreux maux dont la démotivation, la perméabilité aux pressions de toutes sortes, l’inorganisation et l’incompétence ne sont pas les moindres.

Des pistes de solution

Le faible niveau de suivi de tout ce dispositif permet toutes les manœuvres et parachève un édifice passablement opérationnel. Que l’on ne s’étonne pas que notre fichier soit régulièrement décrié par les acteurs politiques car chacun y trouve un souffre-douleur idéal tant ses insuffisances sont faciles à relever. Un fichier approximatif et pléthorique engendre des cartes d’électeur imparfaites. La distribution de celles-ci relève d’une gageure innommable.

Un véritable parcours du combattant est conçu pour décourager les électeurs, même de bonne foi. Il faut se déplacer sois même, il faut avoir une carte d’électeur, il faut chercher son nom sur une liste affichée parmi des milliers d’autres noms, il faut ensuite donner son numéro de carte pour qu’on la cherche et si on a la chance qu’on trouve une carte avec les mêmes indications que sa pièce d’identité, sinon c’est le retour chez soi bredouille.

Quelqu’un ayant suivi ce processus ne le reprendra pas deux fois. En tout cas, pas le citoyen qui vient d’être décrit ci-dessus ! Malgré la disponibilité du fichier sur Internet, on n’a pu que constater une relative augmentation du taux de distribution des cartes d’électeurs (environ 35 % à Bamako et autour de 65 % à l’intérieur). La disponibilité d’une carte d’électeur ne signifie pas pour autant la fin du « chemin de croix ». Il faut savoir garder sa carte, résister à la tentation de la vente et surtout disposer d’une pièce d’identité pour s’acquitter de son devoir civique le jour du vote.

Eh oui ! La carte d’électeur seule ne suffit pas (elle ne contient pas de photo d’identité), elle doit être accompagnée d’une pièce d’identité. Quand on sait que la majorité des électeurs ne dispose pas de pièce d’identité, on ne doit pas être surpris du faible taux de participation. Ce n’est pas le témoignage qui pourra changer cette donne tant il est aléatoire et difficile à organiser. Le citoyen n’est pas encore prêt à faire une pièce d’identité pour juste participer à une élection, en tout cas pas celui qui vient d’être décrit ci-dessus.

Les compétiteurs ont également leur part dans les explications de cette désaffection. Il faut reconnaître que la qualité fait souvent défaut aux candidats aux élections. Le parcours, la personne, les idées des candidats ne sont pas des plus brillants ; ce qui est de nature à ne pas susciter l’intérêt des populations. Le fossé existant entre les masses et les politiques trouve ici une de ses illustrations les plus manifestes. Les acteurs ne participent que peu à la vie citoyenne, ils sont peu présents, n’organisent pas suffisamment les électeurs et ne les soutiennent que peu vers une citoyenneté active et agissante.

Le corollaire de la situation est un désamour grandissant et un désaveu réel de la base. Quand on ajoute à cette situation les pratiques inavouables, les achats de conscience et fraudes de toutes sortes, les compatriotes viennent à penser que les acteurs politiques ne méritent pas leur déplacement et encore moins leur suffrage. Dans ce cadre, il sera difficile de convaincre les citoyens de la justesse d’une initiative, de la qualité d’un candidat, de la nécessité de leur participation. En tout cas pas celui qui vient d’être décrit ci-dessus.

La révision de notre dispositif est d’une impérieuse nécessité. Il n’est pas réaliste de compter sur le regain de citoyenneté de nos compatriotes à brève échéance. Il faudra plusieurs générations d’actions multiformes et dans une grande régularité soutenue par une forte volonté politique pour que cela s’améliore. On doit s’y engager. En attendant, on doit tout entreprendre pour mettre le citoyen électeur dans le maximum de confort afin de soutenir sa participation aux échéances électorales.

Nous devons nous fixer un objectif stratégique et un objectif tactique que sont l’élimination de toutes les barrières entravant la participation massive aux élections de 2012 et la réduction substantielle de ces barrières en vue du scrutin de 2009.

Notre pays doit se donner les moyens pour en finir avec les cartes d’électeur renouvelées à n’en plus finir et qui sont à la base de nombreuses difficultés et occasionnent au passage de nombreuses fraudes. Nous devons tendre vers des cartes d’identité nationale informatisées qui feront également figure de cartes d’électeur. Cette pièce comportera la photographie de l’électeur sous une forme numérisée.

Cet objectif affiché doit nous induire à définir les moyens pratiques pour y arriver. Les services impliqués dans le processus avec la Délégation générale comme maître d’œuvre doivent définir, au plus tard avant la fin de cette année 2007, le processus pour aboutir à l’objectif.

Le système de codification à adopter, les modalités d’obtention de la pièce d’identité, l’équipement nécessaire des lieux de distribution avec une exigence d’avoir la possibilité de le faire dans chaque sous-préfecture et dans chaque commissariat de police des villes, le système d’alimentation du fichier, les modifications législatives et réglementaires à mettre en œuvre… sont des axes qu’il faut définir, évaluer et prévoir.

A compter de janvier 2008, nous devons démarrer le nouveau dispositif qui verrait ainsi chaque nouvelle pièce d’identité entraîner l’inscription de son titulaire en même temps dans le fichier électoral avec le même numéro. De janvier 2008 à janvier 2012, toutes les cartes d’identité en circulation arriveront à terme de validité et devront être remplacées. Les personnes qui n’auront pas la nouvelle pièce d’identité à compter de janvier 2012 seront invitées à s’en prémunir, ne serait-ce que pour pouvoir voter.

Ce dispositif nous permettra de disposer d’un fichier électoral qui recoupe le fichier des administrations (police et administration territoriale), vérifiable de manière décentralisée et sécurisée. Il permettra surtout de nous sortir définitivement du processus lourdement accidenté des cartes d’électeur. Les électeurs sortiront enfin de la nécessité de parcourir des obstacles pour avoir le droit de voter. Les fraudeurs de tout acabit enfin se verront priver de leur moyen privilégié de vol.

Modifier la législation

La mise en place d’un nouveau fichier adossé à l’état civil ne pourra être une réalité d’ici mi-2009, date probable des prochaines échéances municipales. Ceci explique qu’on poursuive le système actuel, mais avec des améliorations substantielles qui seront de nature à favoriser une hausse de la participation et à limiter la fraude.

Nous devons instruire à la Délégation générale des élections d’assurer un audit du fichier. Ce contrôle dans un environnement post-électoral pourra être effectif et positif car dénué de toute arrière-pensée. Un toilettage du fichier devrait logiquement l’expurger de manière significative entraînant une baisse du nombre d’électeurs.

Nous devons allonger la durée du processus d’inscription sur le fichier et de distribution des cartes d’électeur. Nous devons modifier la législation pour permettre que les inscriptions durent trois mois au moins (d’octobre à décembre) même s’il faut supprimer la période réservée aux réclamations qui n’est guère utilisée.

Nous devons également prévoir une période de distribution plus longue, au moins trois mois continus avant le début du scrutin. Ces modifications doivent se traduire par une forte campagne de sensibilisation des populations avec la contribution des leaders de tous horizons.

Les autorités doivent encourager la mise en place de permanents, fonctionnaires, à prendre correctement en charge afin que le travail de collecte des noms et de distribution des cartes d’électeur soit fait avec sérieux et application. Dans les zones rurales, les cartes sont retirées de manière groupée, avec l’assistance des chefs de village…

Dans ces contrées, les personnes sont facilement identifiables. Ce n’est pas le cas des villes même si dans certains quartiers, les leaders sociaux pourront être mis à contribution pour améliorer le taux de distribution des cartes d’électeur. Il est également possible d’améliorer la distribution des cartes en exonérant l’électeur de recherche.

La recherche doit être faite par ceux chargés de la distribution qui pourront, partout où cela sera possible, se faire aider par les équipements informatiques connectés au site de la DGE. Cette solution serait très facile à mettre en œuvre à Bamako par exemple et sans doute dans chaque grande ville du pays. En facilitant l’accès aux lieux de distribution et l’obtention de cartes, on mettra l’électeur devant ses responsabilités.

Ces réformes feront coexister deux fichiers électoraux entre 2008 et 2009. Celui dont on dispose actuellement continuera à fonctionner jusqu’à l’issue des élections municipales de 2009. Le second en cours de constitution depuis début 2008 continuera ainsi jusqu’aux élections de 2012 où il devrait être pleinement fonctionnel.

En accompagnant ces mesures par l’interdiction du vote par procuration, on limiterait les possibilités de fraude lors des consultations. L’augmentation du taux de distribution conjugué en amont avec l’augmentation du taux d’inscription dans un cadre où le fichier serait revu devrait entraîner une hausse du taux de participation aux prochaines consultations électorales. A condition toutefois que les électeurs sortent pour aller voter. Cela dépend en grande partie des enjeux et donc des acteurs et des projets qu’ils seront susceptibles de proposer à nos concitoyens.

On ne peut qu’exhorter les aspirants aux fonctions électives à intégrer la hausse de la participation électorale comme un objectif cardinal de leur engagement. Les leaders doivent s’engager vers une plus grande proximité avec la population, une plus grande collaboration et une écoute de tous les instants des aspirations des masses. Cette disponibilité, cette proximité, cette collaboration ne sont pas forcément coûteuses financièrement mais renvoient à une qualité d’écoute et de présence sociale qui caractérisent notre pays.

Nous devons tous revenir vers ce qui fait la force du Mali, sa cohésion sociale, sa sociabilité, son intégration ethnique et culturelle. Un leader se mesure aussi à sa capacité à intégrer les vœux de ceux qu’il entend conduire, à les écouter, à agir avec eux, au quotidien. Un leader, au Mali, se mesure surtout à sa propension à faire partager par la population ses idées et à transformer cette conviction en adhésion qui se formalise dans le vote et le soutien.

Quand on sera capable d’assurer cette harmonie entre les élus et la base, nous aurons résolu le problème de la participation. Les citoyens voteront, quelles que soient les difficultés techniques et matérielles liées à l’acte. Ils iront choisir ceux qui auront su leur faire partager un idéal, au quotidien d’abord et ensuite pendant leur mandat. Pour le bonheur de notre démocratie !

Moussa Mara

31 août 2007.