Rien de vraiment extraordinaire, diriez-vous. Sauf qu’il était tout juste un peu plus de 11 heures du matin, qu’il faisait un soleil éclatant, que le voleur opérait à visage découvert dans une rue très passante. Ibrahima n’avait pas non plus raffiné sa méthode. il tenait en main plusieurs trousseaux de clés qu’il essayait une à une dans la serrure des cadenas de la boutique. Ibrahima avait fait un pari très simple. En le voyant opérer sans se cacher, les passants ne le prendraient jamais pour un voleur. Son audace paya dans un premier temps. Plusieurs personnes furent intriguées par son manège, mais aucune ne se hasarda à lui demander des explications. Jusqu’à ce que survienne un passant plus curieux que les autres. Il s’approcha de notre homme et l’interrogea pour savoir si la boutique était à lui ou au moins à l’un de ses parents. Même là, Ibrahima aurait pu se tirer d’affaire s’il avait fourni une explication tant soit peu plausible.
Le clou magique
Mais le voleur commit une erreur de jugement. Il crut que le meilleur moyen de se défaire du curieux, c’était de le traiter brutalement. Il répondit à l’homme qu’il n’avait pas à s’intéresser à ce que lui Ibrahima faisait du moment que cela ne le concernait pas personnellement et que la boutique ne lui appartenait pas. Ibrahima croyait avoir dissuadé le gêneur et avait repris son manège avec ses trousseaux de clés. Mais il s’était complètement trompé. Son interlocuteur n’était pas du tout homme à se laisser intimider. il passa à son tour à l’offensive en intimant au voleur l’ordre d’arrêter immédiatement ce qu’il faisait si la boutique n’était pas sa propriété.
L’échange se poursuivait encore entre lbrahima et le curieux quand le maître des lieux arriva. Il fut stupéfait de voir que quelqu’un essayait d’ouvrir sa boutique et faisait cette tentative en plein jour. Il cria donc « au voleur », ameutant une foule nombreuse qui grossit en un clin d’œil et se mit à molester Ibrahima. Certains parmi les plus furieux s’apprêtaient déjà à lyncher le voleur quand arrivèrent les policiers qui se trouvaient en faction à quelques mètres de là. Les agents tentèrent en vain d’arracher le voleur aux mains des justiciers improvisés et se virent obligés de faire appel à leur base pour demander du renfort. L’inspecteur Achérif Ag Akly de la brigade de recherche et de renseignements fit partir une équipe dirigée par l’adjudant chef Attaher Maïga de la même section.
Ce fut grâce à ce renfort que les policiers purent extirper Ibrahima des mains de la foule et le conduire au commissariat où les premiers soins lui furent prodigués. Puis la BR le fouilla et l’interrogea. Sur l’homme il a été trouvé une arme de fabrication artisanale et trois balles. Ibrahima portait également sur lui tout un lot de gris-gris et d’amulettes. Mais son « outil » le plus précieux était un fétiche qui, selon ses dires, servirait à endormir les occupants des domiciles que le voleur se proposait de « visiter ». Le fétiche est constitué d’un gros clou autour duquel sont enroulée des fils blancs et rouges. A sa base était fixé par d’autres fils de mêmes couleurs un cauris de taille moyenne. D’après les explications qu’il nous a données, il suffisait à Ibrahima de planter ce clou dans la porte d’une maison occupée pour que toutes les personnes qui s’y trouvent tombent dans un profond sommeil. Une fois ses victimes endormies, le voleur se servait à souhait et repartait après avoir arraché sa pointe magique. Voyant que nous l’écoutions sans parvenir à cacher notre scepticisme, le délinquant nous assura qu’il avait utilisée son clou à plusieurs fois et que le fétiche avait toujours « fonctionné ».
Inattendu et écœurant
Les policiers se firent conduire par Ibrahima dans sa chambre sise à Bacodjicoroni Golf. Là, ils découvrirent un petit sac de voyage de couleur noire. Les policiers y trouvèrent un arsenal très éloquent comprenant une hache, un couteau, une autre « baguette magique », 27 cauris, deux lance-pierres, deux portefeuilles, une autoradio, deux téléphones portables, un album photos rempli de clichés de Ibrahima dans des séances d’entraînement au kung fu. Mais le plus inattendu – et le plus écœurant – parmi les articles trouvés était un linceul qui avait servi et qui paraissait avoir été enlevé d’un cadavre enterré déjà depuis un bout de temps. Les indices ne manquaient pas pour arriver à cette conclusion. Ils allaient des taches de flux corporels que laissent sortir un cadavre en décomposition à la très désagréable odeur qu’exhalait la pièce de tissu.
La macabre découverte fit sursauter les policiers. L’objet ne correspondait pas au profil de Ibrahima qui avait tout du voleur avec effraction. Achérif voulut donc savoir comment l’homme s’était procuré le linceul. Le voleur raconta sans se faire prier que quelques semaines auparavant, une jeune fille de 16 ans était décédée dans son village. Comme dans sa communauté les cadavres de jeunes filles sont portés en terre par des jeunes hommes, Ibrahima se glissa dans le groupe qui devait enterrer la défunte. Il était en outre le plus grand des « croque-morts » et ce fut donc à lui que revint la charge de descendre le corps dans la tombe. Deux jours après l’enterrement, il retourna seul au cimetière pour ouvrir la tombe et arracher le linceul du corps déjà en état de putréfaction très avancée. La raison ? Un marabout, qu’il dit s’appeler Cheickné Yattara, lui avait demandé de lui amener un linceul de ce type. Il avait promis d’exécuter dessus un travail qui devait rendre Ibrahima très riche.
Un manufacturier très occupé
Les policiers écoutèrent avec consternation et étonnement cette narration qui révélait qu’en outre d’être un délinquant endurci, leur homme se révélait aussi un profanateur de tombe qui ne nourrissait aucun remords quant à l’acte qu’il avait accompli. Mais Ibrahima Sacko réservait encore une autre surprise de taille aux policiers. Il leur indiqua qu’il avait acheté son fusil à l’usine de fabrication des pistolets automatiques de Bamako. Les agents tombèrent des nues en entendant cette indication. En effet, et jusqu’à preuve du contraire, le Mali ne dispose pas de fabrique d’armes. Certes, des artisans dogons et des forgerons bambara produisent des fusils de chasse et des pistolets artisanaux, mais en quantité très limitée. Mais Ibrahima insista.
Son P.A. qui portait les indications suivantes « Made in France, calibre 7.65, n° 884 » a été bel et bien fabriqué au Mali dans une usine installée à Bamako, et plus précisément au quartier de Bacodjicoroni. Le voleur se proposa même de conduire les policiers incrédules jusqu’à la fabrique. Les agents ne demandaient pas mieux. Au détour d’une rue du quartier, Ibrahima fit stopper la voiture de police devant une maison assez impressionnante. A l’intérieur, un certain Adama Doumbia les accueillit. La maison avait effectivement été transformée en atelier de fabrication d’armes. Il y avait là tout un arsenal de matériel allant des fourneaux électriques aux soudeuses en passant par des chambres de stockage, de salles de polissage, de nettoyage et de marquage, sans oublier les ateliers de fabrication des chargeurs automatiques et de fonte.
Adama Doumbia était donc remarquablement équipé et à l’arrivée des policiers il était seul dans son « usine », très occupé à mettre la dernière main à un nouveau P.A. Dans son magasin, se trouvaient deux fusils de marque Simplex sortis de ses ateliers et une carabine à air comprimé également fabriquée par lui. Conduit au commissariat, « le manufacturier » fut incapable de dire avec exactitude le nombre d’armes qu’il avait fabriquées et surtout à qui il les avait vendues. Or en la matière, les fabricants traditionnels d’armes à feu sont tenus de posséder une autorisation pour exercer leur artisanat et doivent tenir un registre dans lequel ils doivent porter la liste de toutes les armes faites par eux, ainsi que les noms, les adresses et les photos de leurs clients.
Les deux hommes sont encore entre les mains de la police. Dans les jours à venir ils seront tous déférés pour les différents délits retenus contre eux. Mais il n’est pas impossible que d’ici là, Ibrahima ait une autre histoire surprenante, mais véridique à raconter aux agents. Ainsi que le voleur est parti, le mot « inimaginable » n’est pas fait pour lui.
G. A. DICKO
Essor du 28 aout 2008