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L’affaire se passe en 1992, au plus fort des évènements de Mars de la même année, dans une ville dont nous tairons le nom, par respect et pour ménager les coeurs sensibles.

S.D. est un commerçant influent de la place qui possède, dans un quartier de ladite ville, une bâtisse qui n’est plus de la première jeunesse. Un habitat si délabré qu’il faisait penser à un site hanté ou antique. Aussi, S.D. avait l’intention de détruire l’édifice et de le restaurer.

Il en avise donc les deux vieilles femmes qu’il avait charitablement logées dans la concession et qui tenaient lieu de gardiennes des lieux. S.D. avait même prié les deux vieilles de déménager dans un autre gîte qu’il leur avait déniché, le temps de finir lesdits travaux.

“Nous pas bouger !”

Les deux vieilles acceptent la proposition de S.D., mais non sans maugréer. Et le temps passe… S’aperçevant alors que les deux vieilles ne comptent pas déménager, S.D. revient à la charge et les prie de nouveau de changer de logis, car il vient d’engager un maçon pour… démolir la maison en vue de la retaper. Bien que très affolées par la “triste nouvelle“, les deux vieilles n’en laissent pourtant rien paraître.

Très tôt le lendemain, on entend alors… des coups de pioche sur le toit d’une des maisons. Comprenant du coup l’urgence et la gravité de la situation, les deux “momies” (vieilles femmes) engagent alors une chaude discussion. “On ne peut pas le laisser faire ! Il faut réagir, et vite !”, propose la première.

Mais la deuxième, plus âgée et plus raisonnable, réplique : “Allons, reste calme ! Le propriétaire nous a déjà montré une autre demeure. Nous n’avons qu’à y déménager dès ce soir, puisqu’il nous a même averties. Ne soyons donc pas ingrates. Et puis, si nous entreprenons quoi que ce soit, nous risquons d’attirer l’attention et de nous découvrir. Il vaut mieux déménager et…”.

Alors, plus butée, la première vieille proteste avec rage : “Partir? Mais on ne peut pas partir, et tu sais bien pourquoi ! C’est dans ce quartier que nous avons tous les membres de notre… enfin, tu comprends ce que je veux dire. Nous n’irons nulle part ! Nous resterons là ! Et si tu tiens à partir malgré tout, tu le feras seule, car moi je reste !“.

Telle une tornade, elle s’engouffre ensuite dans l’antichambre de leur “ghetto“, encore plus furibonde. C’est bien plus tard qu’on connaîtra les tenants et les aboutissants, sinon les vrais dessous de ce mystérieux dialogue entre les deux vieilles…

Femme ou vipère?

Depuis 6 heures du matin déjà, le maçon est à l’ouvrage, juché sur le toit d’une des maisons. A un moment, il tourne machinalement le regard vers un coin du toit. Et que voit-il? Une énorme vipère enroulée sur elle -même sur le bord du toit, la tête dressée, émettant des sifflements aigüs et inquiétants, prête à attaquer.

Plus vif que l’éclair, et sans même réfléchir de midi à quatorze heures, le vieux maçon lui assène instinctivement un terrible coup de pioche sur la tête. Alors, la vipère ravale ses crocs déjà prêts à sévir, dérape du mur et se retrouve affalée par terre, quelques mètres plus bas.

Des langues qui se croient averties soutiendront plus tard que pour éviter la morsure d’une vipère assi “atypique”, il faut être soit un sorcier, soit “occultement” invulnérable ou immunisé contre. Mais une autre question turlupine les simples gens : comment diable cette vipère s’y est-elle prise pour escalader un mur aussi lisse ?

Notre maçon (un dogon), lui, sans s’être pourtant posé la question, ne tardera pas comprendre. car, en penchant la tête vers le bas du mur, pour voir ce qu’est devenue la vipère, il voit… une vieille femme aussi nue qu’un ver de terre, inondant le sol de son sang qu’elle perdait par flocons entiers.

Interloqué, le dogon-maçon, du haut de son toit, lance un perçant cri de SOS, non pour lui-même, mais pour cette… métamorphose aussi subite. En effet, qu’on en juge : il croyait avoir tué une vraie vipère, mais ne voilà-t-il pas que cette vipère se trouve être… une vielle femme.

Du coup, la concession se remplit subitement de monde. Hommes, femmes, jeunes et vieux, des curieux en passant par les badauds… bref, tout le quartier se retrouve là comme par miracle : tous sont avides de savoir. Et les interrogations fusent de tous côtés. Que s’est-il passé? Qui est mort? Qui a tué qui ou quoi?…

Mais à la vue de la vieille femme étalée au sol, couverte de sang, et à l’audiion du récit du maçon, la foule comprend tout de suite ce qui s’est passé. Alors, elle se déchaîne et crie haro sur… la vieille “baudette” déjà mourante et entreprend de l’achever pour de bon : à coups de poings, de pieds, de bâtons, de pierres…, bref, tout ce qui tombe sous la main. Quant à l’autre compagne, du moins l’autre commère de la “vipère“, elle a déjà pris, depuis longtemps, ses vieilles jambes à son cou.


Le fin mot de l’histoire

C’est ce jour-là que le bruit, qui courait depuis longtemps sous le manteau sans être élucidé, fu mis à nu, aussi nu que… la vieille femme gisant et agonisant au sol.

En réalité, les deux vieilles femmes n’étaient autres que des membres d’une obscure secte de sorcières sévissant dans le quartier et dans la ville. Aux dires de maintes personnes, elles ont déjà “bouffé” des bébés, des femmes enceintes, des vieillards, des handicapés physiques, des étrangers… : en témoignent leurs morts aussi mystérieuses qu’incompréhensibles.

Avant que la foule ne parvienne à ”terminer” la vieille vipère (les sorcières, comme on le sait, ont la vie tenace), les policiers sont alertés qui accourent pour “ramasser” ce qui en reste et la conduire à l’hôpital. Mais la nouvelle s’est déjà répandue dans la ville comme une traînée… de venin de vipère. Ainsi, une heure plus tard, l’hôpital est envahie par une foule monstre, hystérique et en furie, qui réclame à cor et à cris la tête de la “vipère“, pour lui faire la peau.

La loi de “l’article 320“ battait son plein de “succès”, car on était, disions-nous, au plus fort des évènements de Mars 1992. Avec 300 francs d’essence et 20 francs d’allumettes (d’où le 320), le tour est joué : il suffit de passer, au coup de la coupable, un “collier” de pneu imbibé d’essence et d’y mettre le feu, pour faire passer, à “cette sale vipère“, le goût de… la morsure assassine.

Ainsi le voulait et le souhaitait la foule. Et certains badauds, plus revanchards et entreprenants, ont même apporté des pneus et des bidons d’essence, pour la cause. Heureusement que l’intervention d’un détachement de policiers a pu inciter des manifestants à renoncer à leur macabre dessein.

Mais depuis lors, dans le quartier et dans la ville, on n’entendit plus parler de sorcellerie, ni de société sorcière, encore moins de mort mystérieuse. Quant à la vieille “vipère“, même après guérison, elle n’osa plus quitter l’hôpital, de peur qu’on la tue. Elle a bien raison, puisque des badauds la guettaient encore pendant des semaines, en misant sur une belle occasion de lui faire passer, non pas seulement le goût de mordre, mais de vie à trépas.

Aussi continua-t-elle à vivre au sein de l’hôpital, évitant soigneusement de mettre le nez dehors, et survivant grâce à la charité des médecins, des malades. Et autres âmes charitables. Et c’est là qu’elle mourra finalement de sa plus… mauvaise mort.

Niongon bâ doun dé bé shouya diya”, dit l’ami bamanan. Ce qui pourrait approxamativement se traduire ainsi : “C’est le fait de se bouffer les mères respectives qui fait la promotion de la sorcellerie“. Vu sous l’angle…des Anglais, l’adage peut se tarduire de cette façon : “No contribution, no drink“.

Mais ce jour-là, c’est son propre sang que notre vieille “vipère“ a failli boire, n’eut été le secours de la Police, qu’elle n’hésiterait pourtant pas à ”bouffer” aussi, si l’occasion s’en présentait : une sorcière, vous savez… C’est dire, en fin de “conte“, que l’autre adage ne se dément jamais : “si tous les jours sont pour le voleur (ou pour la sorcière ou la vipère, c’est selon), il y aura toujours un jour pour le propriétaire (ou la victime)“.


Le VIATOR

19 Novembre 2008