De nombreux pays africains semblent entrés depuis peu dans une zone de turbulence économique avec la subite montée en flèche du prix des denrées alimentaires dont le riz, le blé, le lait, l’huile, le maïs. Revendications et autres révoltes souvent sanglantes ont pu être enregistrées exprimant colère et désarroi.
Au Mali, avec l’encadrement de certains organismes, syndicats, organisations féminines entre autres, le même désappointement s’est exprimé avec remise de pétitions aux autorités. En Occident, les télévisions, si souvent avides de clichés sensationnels notamment quand ça ne vas pas sous d’autres cieux, ont montré et commenté les images sous-jacentes au phénomène global avec des expressions types comme « émeutes de la faim« .
Cette flambée des prix est elle spontanée ou était elle prévisible ? Nous allons tenter d’y répondre en explicitant librement notre point de vue sur de multiples aspects de la problématique.
Ainsi, de notre compréhension du phénomène, les causes de celui-ci sont à la fois agricoles, historiques, politiques et institutionnelles. L’observateur hâtif aura tendance à le mettre d’emblée et entièrement sur le dos du quintuplement, ces mois-ci, du prix du pétrole, lequel se répercute forcément sur les coûts de transport. Il faut craindre que ce ne soit là un a priori plutôt réducteur.
Notre analyse de la question va un peu plus loin, tentant, avec les perspectives de fournir au lecteur une assise sur des éléments apparemment épars mais liés tant dans le passé lointain que dans les faits du présent. Eléments qui, se conjuguant et se juxtaposant les uns aux autres auront concouru à implanter les difficultés pécuniaires et d’approvisionnement actuelles comme si des économies déjà en peine méritaient d’être subitement strangulées, coûte que coûte.
Certaines approches (dans les années 70 et 80 surtout) suggérées voire quelque peu imposées par les Institutions financières internationales (Banque Mondiale et FMI surtout) ont quelque part, rendu les économies africaines plus vulnérables aux chocs exogènes. Il apparaît clair pour tout le monde, aujourd’hui, que la politique de « l’ajustement structurel » a abouti à de regrettables impasses.
Il convient, dans ce sillage de rappeler que ces Institutions avançaient même, à un moment donné et au nom de l’avantage comparatif qu’il serait moins coûteux aux pays africains d’importer leurs biens alimentaires que de les produire eux mêmes.
Sans doute que nos propres insuffisances tenaces prêtaient plus ou moins le flanc à ce genre de conseil aberrant, à titre d’exemple de ces insuffisances : un pays comme le Mali avec un cheptel si impressionnant aurait dû importer seulement un complément relativement faible de lait et non engloutir tant de devises faramineuses, année après année, dans des importations de lait et produits laitiers (y compris de quelque pays voisin dont le bétail numériquement parlant est des plus insignifiant par rapport au nôtre).
C’est dire, déjà rien que dans ce volet, l’immense travail si possible méthodique et compétent qui attend le Mali pour renverser les tendances et respecter la logique.
Avec donc nos propres faiblesses structurelles de production dont le lait n’est que la partie visible de l’iceberg il y avait aussi et hélas, de la part de nos partenaires desdites Institutions financières prêteuses des conditionnalités à voir clairement maintenant avec le recul : elles étaient destinées à contraindre nos pays à rembourser une dette presque illégitime et qui a été,
sous un certain rapport, payée plusieurs fois si l’on tient compte de facteurs comme la variation des taux d’intérêt sur les marchés financiers, des dévaluations comme celle de 1994 et des pénalités assujetties au rééchelonnement.
Comment, au fil des ans était il possible alors même si les statistiques officielles parlent de taux de croissance en progrès, que le pouvoir d’achat de la majorité grimpe ?
De nos jours, délaissant en catimini leur statut d’accompagnateur flamboyant et péremptoire, ces Institutions renouent avec la modestie, ne parlant plus que de « réduction de la pauvreté« . Mais les racines du dérèglement des prix vont plus loin et les Institutions de Bretton Woods qui furent utiles en certains points tout de même ne doivent guère être chargées de tous les péchés d’Israël.
En effet, tous les analystes technocrates et politiciens s’accordent, aujourd’hui, que les subventions agricoles de l’Europe et d’autres pays industrialisés sont responsables pour une large part du déficit vivrier croissant de l’Afrique.
C’est comme si les économies du continent l’agriculture en est l’épine dorsale pour nombre de pays devraient, d’une manière souterraine ou non, être maintenues en sursis ou devoir tourner autour d’elles mêmes comme le serpent qui se mord la queue avec une lassante monotonie. A tous ces facteurs exogènes et injustes s’ajoutent, pour ne rien arranger, les failles internes de nature diverse :
Au Sahel, la fertilité naturelle des sols hormis des poches écologiques dans certains terroirs n’est pas des meilleures même par rapport à d’autres régions du monde peu arrosées et à rude ensoleillement. La faute n’est à personne mais les défis interpellent et savoir se hisser à leur hauteur donne un sens à la volonté de survie justement.
Il faut reconnaître que pendant des années la faiblesse des politiques agricoles a favorisé finalement la mauvaise exploitation des terres : engrais inadaptés, insuffisants ou arrivés en retard par rapport aux périodes propices à leur épandage, peu d’éclairage du paysan dans le temps et dans l’espace concernant la nécessité de l’assolement et d’autres leviers de base , peu ou pas de vulgarisation de la petite et moyenne irrigation, manque d’érections significatives de brise vents, insuffisances de retenues d’eau pourtant possibles parfois sans gros moyens etc.
Certaines de ces approches de travail pouvaient être durablement enclenchées même sans financements extérieurs aussi bien par l’Etat que par des acteurs ruraux trop souvent en panne de regroupements féconds et d’initiatives d’innovation. En tout cas, en n’ayant pas veillé sur ce genre de précautions salvatrices dans le rural, on a sans que cela fût l’objectif de personne évidemment favorisé l’appauvrissement voire la déshérence des sols.
Justement, du moins à notre avis, c’est en de tels domaines de travail des campagnes que les Institutions financières, si visiblement parées des plumes du paon à l’époque, auraient dû pousser les faibles Etats de notre continent avec financements adéquats, conditionnalités de dettes pas trop rudes et enfin accompagnement conseil idoine.
Ayant, malgré toutes les compétences qui travaillent en son sein, méconnu l’importance de l’agriculture dans nos contrées vingt ans durant, la Banque Mondiale, par exemple reconnaît aujourd’hui que l’Agriculture est quatre fois plus efficace pour faire reculer la pauvreté que les autres activités.
Il semble que le courage presque sublime du cultivateur africain mal outillé mais toujours debout n’est pas entrevu à sa vraie hauteur. A combien d’aléas (naturels ou non) son agriculture n’est elle pas soumise ? Quand il n’y a pas absence ou arrêt brusque de pluies, il y a invasion massive de criquets ou, sur un tout autre plan, manipulation en baisse à partir de la Bourse de Londres du prix du coton ou d’autres produits issus de sa sueur et de son endurance muette et digne.
Dans des pays comme le Mali, on ne répétera jamais assez que l’immense disponibilité des terres cultivables est une chance elle aussi extraordinaire de la nature enfin bienveillante.
Les freins comme ailleurs au Sahel se situent, volontiers, au niveau de la faible maîtrise de l’eau, l’inadaptation criarde de l’outil de travail du paysanne, la charrue (archaïque) se révélant un luxe, le caractère routinier des types de commercialisation, l’état des pistes et routes reliant les centres de production aux grands centres de consommation.
Cependant, nous Maliens sommes en bonne place et même enviés dans la sous région. Le Burkina Faso et la Mauritanie viennent s’approvisionner massivement en mil dans nos campagnes. Comparaison n’est pas raison et les contextes sont différents. Mais il reste que, sous tous les cieux, c’est en réalité le travail, le vrai qui paie. Ainsi le Vietnam en 2007 a exporté 4,5 millions de tonnes de riz (1/5è de sa production).
Or il y a 30 ans, ce pays était obligé d’importer 1,5 tonnes pour compléter à nourrir sa population. C’est en 1989 que les Vietnamiens ont franchi le cap de la dépendance à l’autosuffisance. Or, leur politique vigoureuse de mesures nouvelles agricoles n’avait été initiée qu’en 1986, basée qu’elle fut essentiellement sur des travaux hydrauliques et les engrais.
Chez nous en Afrique il y a lieu de savoir engager nous aussi une mosaïque de reformes qui concerneraient :
– le foncier (la Loi d’orientation agricole malienne y fait cas fort opportunément) la disponibilité accrue d’engrais
– l’initiation vigoureuse et le suivi consciencieux de travaux hydrauliques l’expansion rapide de l’irrigation même avec des moyens ou outils pas très technologiques au besoin
– une commercialisation repensée et une recherche de partenariat en joint venture avec des capitaux étrangers intéressés à s’investir pour le moyen terme dans le rural.
Dès les premiers fruits d’un tel élan, une bonne stratégie de développement commanderait de favoriser, coûte que coûte, l’émergence d’une agro industrie (véritable et non artisanale) pour la transformation des produits agricoles bruts.
75 à 80% de la population ici est rurale et vit du rural. Dans les pays nantis, leur agriculture performante emploie 5% seulement de la population mais les productions sont subventionnées. Il en résulte que ces producteurs si peu nombreux exportent à des prix très bas, pénalisant le cultivateur malien qui lui, est un élément d’un lot de 75% .
C’est dire tout simplement qu’en réussissant à faire un peu mieux épanouir notre agriculture, nous ne pourrons, certes, pas pour autant concurrencer ces riches producteurs occidentaux mais au moins nous serions moins à leur merci et moins sous les effets d’injustices ces subventions qui sont d’ailleurs dénoncées parfois dans les forums par ceux là mêmes qui les perpétuent.
Mais, ne nous y trompons pas. Tous ces déséquilibres ne jouent pas que sur le revenu minoré du cultivateur: à Bamako par exemple, on constate chaque jour que les jeunes cultivateurs à bout ont quitté leur village pour la ville qui n’est absolument pas le lieu de la prospérité promise. Vente aléatoire de cartes téléphoniques pour des peccadilles, errance car gîte assuré chez un parent, voilà que ces oisifs grossissent des quartiers périphériques déjà en mal d’eau potable.
Si nous avons essayé d’expliciter ces différents aspects sous jacents au cheminement du volet rural c’est parce que des prix de denrées alimentaires qui grimpent à l’emporte-pièce vont chercher leurs causes souvent assez loin et on n’y prête pas attention. Mais pour le Mali, il serait bon aussi que les opérateurs économiques fassent leur mue à hauteur des réalités actuelles du monde.
Pourquoi, pour ceux qui ont de grosses surfaces financières ne pas tenter de se regrouper avec garanties multiples ou avec des partenaires étrangers fortunés et lorgnant vers l’Afrique ? Pourquoi ne pas investir dans de grands projets d’exploitation moderne des terres ou du bétail ? Pourquoi faut-il se cantonner, quand on a de larges liquidités dans la construction et l’ouverture de magasins prêt à porter ou l’achat de camions-citernes ?
Face à de grands projets dignes de ce nom et dans les domaines aussi vitaux que la terre, les Banques ne pourraient pas manquer, par leur appui, d’apporter des parts plus significatives de l’épargne nationale à la construction nationale. C’est là que, par ses propres efforts, le pays peut devenir, selon l’expression des autorités « une puissance agricole régionale« .
Mais le prix est à payer en amont et les fruits (comme au Vietnam) à récolter plus tard, certes, mais tout de même pas aux calendes grecques. L’agriculture n’est guère le fait des seuls acteurs ruraux ou d’un Département auquel sa charge est dévolue. Elle nécessite une construction avec une alliance autour d’elle.
Avec la démonstration de la brusque flambée des prix des denrées, il apparaît clair que nous sommes à une époque où sévissent les grandes angoisses identitaires.
Et à ce niveau déjà, la place qu’occupent Avec la démonstration de la brusque flambée des prix des denrées, il apparaît clair que nous sommes à une époque où sévissent les grandes angoisses identitaires. Et à ce niveau déjà, la place qu’occupent l’aliment et l’alimentation revêt une importance pas seulement stratégique. C’est un sujet complexe qui démontre à suffisance qu’il y a des équilibres à repenser et à rebâtir.
Le fait que les prix montent en flèche ne concerne pas seulement le riz où au Mali, nous avons heureusement réussi à maintenir le prix du kg à 3 10 F CFA (avec justement l’alliance de plusieurs couches d’acteurs). A quelque chose malheur est bon. Beaucoup de spécialistes pensent que le renchérissement du blé (dont certains pays non africains sont gros producteurs) dopera le cours du mil (notre mil) et redonnera un intérêt accru à l’igname et à la patate douce que nous produisons très bien et en quantité.
Flambée globale ou pas, si nous arrivons à bien profiter de ces terres si étendues que d’autres n’ont pas et que la productivité monte elle aussi en flèche, le parapluie national saura amoindrir les secousses d’où qu’elles viennent.
Agriculture, puis agro industrie puis industrie diversifiée : telle pourrait être l’équation correcte. Mais des pays ont essayé, marginalisant leur agriculture, de booster d’abord l’industrie, histoire de gagner du temps. Ils en ont échoué. Cette théorie, cette pratique, le temps s’est chargé pour eux d’en démontrer l’absurdité.
Qui parle d’aliments chers ou de risque de famine sous entend tout de suite la question de l’aide internationale. Qu’il nous soit permis d’aborder cette question de l’aide au moins sous l’angle des principes majeurs.
D’abord, il y a que, de l’indépendance à aujourd’hui, le Mali officiel, le Mali des associations, celui des organisations féminines etc. le Mali global disons a toujours remercié de façon sincère ceux qui l’ont aidé.
Cela dit, dès qu’il y a un déficit nutritionnel plus ou moins grave au Mali ou ailleurs en Afrique, on constate que les télévisions occidentales qui ne parlent presque pas du continent s’attardent à exhiber les scènes « d’émeutes de la faim », des enfants hâves et déguenillés ou d’autres clichés de cet acabit.
Toutefois, parce qu’une autre image de l’Afrique n’y est pas jointe, ces clichés d’information et de désinformation, ne sont alors que l’écume de la vague, visible certes mais sans consistance réelle, ils prêtent à l’évaporation.
C’est pourquoi ils n’empêcheront pas les nombreuses bonnes volontés lucides d’occident de respecter les efforts de l’Afrique souffrante, d’en saisir leur portée et les enjeux sous-jacents. C’est la raison pour laquelle les images d’une Afrique haillonneuse s’incrustent hélas et néanmoins sans arrêt dans le subconscient du citoyen lambda d’Europe et même des cadres.
L’Afrique ne serait pour eux que cela : objet d’apitoiement comme si elle était là pour déranger les autres dans la marche du monde. Quid donc, aujourd’hui, de l’apport éclatant des Africains sous tous les rapports : civilisationnel, sciences partout dans le monde, art, culture, sports, maintien de la paix hors continent etc… après qu’ils furent tant spoliés
Encore aider ces Africains qui ont toujours des problèmes ? Oui mais attention. Si l’on se donne la peine de réfléchir en profondeur par delà les clichés faciles et réducteurs du quotidien, on aperçoit des choses plus sérieuses qui font appel autant à l’esprit qu’au coeur : si d’autres continents ont connu eux aussi la colonisation (Inde, Amérique Latine) aucun n’a connu une traite de 200 millions d’âmes et de bras valides brusquement déportés pour enrichir d’autres par leur sueur dans des souffrances codifiées.
Certains penseurs comme Aimé Césaire et Senghor (pourtant très occidentalisé lui) ont affirmé que la « traite négrière » pèse à la fois sur le présent et sur le destin de l’Afrique (fin de citation).
D’autres spécialistes de l’étude des sociétés et de la dynamique des économies et des ressources affirment eux aussi la même chose. Il y a donc, rien qu’à ce niveau qui n’est pas le seul, un devoir impérieux d’aide à l’Afrique dont on a pris les richesses (or, diamant, bois) et les hommes pour se développer.
Ce n’est guère succomber à un quelconque effet de dilatation d’un phénomène très lointain dans le passé que de penser que ceux qui ont, par les soubresauts abrupts et illogiques de l’histoire, pu profiter à l’envi de ce qui doivent élargir sainement enfin leur réflexion.
Il est dommage que l’abyssale ignorance du citoyen lambda d’Europe, entretenue par des images négatives exclusives à la télé, ne lui permette guère d’apprécier une Afrique qui se construit et qui ne se laissera plus se faire mettre à genoux.
Chaque continent, y compris l’Europe, a connu ses déchirures, ses guerres sanglantes, ses apogées de civilisation, ses errements économiques déséquilibrants. La vie et les hommes sont ainsi, dans la trajectoire de leur destinée collective. La solidarité humaine et des Etats n’avilit pas.
Autant nous Africains devront éviter une glorification béate de notre continent, autant d’autres gagneraient à en éviter la diabolisation exacerbée. Mais trêve de considérations lointaines ! Avec ses disponibilités d’exploitation, l’avenir d’une agriculture enviée en Afrique appartient au Mali à moyen terme. La volonté parait ferme, aujourd’hui, dans le coeur de chaque Malien de voir l’agriculture s’arrimer à ses objectifs avec des outils de travail améliorés.
Elle est plus garante en soi d’un devenir meilleur que l’aide en tant que telle. D’ailleurs, une cinquantaine d’années de souveraineté et d’errance de nos pays nous ont appris que si l’aide est certes nécessaire, elle ne construit pas un pays. C’est à partir de l’agriculture que nous, acteurs de tous bords des temps actuels, pourrions jeter pour de bon les bases stables du développement où nous nous suffirons assez largement à nous-même.
En cela, il s’agirait tout simplement mais dans des actions concrètes, de travailler notre pays comme entité fragile. Le modeler, devrais je dire même telle une immense pâte qui se trouverait entre les mains de potiers déterminés.
Mantalla COULIBALY
16 Mai 2008