Nantoumé venait d’acheter un gros magnétophone. Et dès la tombée du jour, c’est-à-dire aux premières heures de la nuit, il mettait à fond de la musique pour promper ses moments de veille. Aussi, il arrive très souvent que jusqu’à des heures tardives, la courette affectée à Nantoumé soit fréquentée par de petits enfants et des badauds sautillant à qui mieux mieux au son des décibels.
Mais le fait qui finit par sidérer notre gardien (il n’y avait pas prêté attention jusque-là), c’est ledit changement bizarre de l’ânon : car, dès qu’il mettait une cassette, la petite bête ne tenait plus en place. Réagissait-il par mimétisme ou par automatisme? Autrement dit, tentait-il de reproduire machinalement les gestes et mouvements des petits danseurs (les enfants) ?
Toujours est-il qu’au son de la musique, l’ânon e mettait à sautiller d’un bout à l’autre de la cour, à effectuer des ruades et des cabrioles, à remuer la queue et les oreilles dans tous les sens : une vraie danse d’ânon. Mais dès que la musique s’arrêtait, le petit animal cessait ses pitreries. Et même la musique de la radio ne pouvait plus l’inciter à rééditer ses “exploits“.
Mais comment, diable, l’ânon parvenait-il à faire la différence entre une musique de cassette et un son de radio? C’est la question-mystère qui déroutait et fascinait non seulement les passants témoins des “scènes“ de l’animal, mais surtout son propriétaire. Pourtant, ce dernier aurait du y être habitué depuis…
Aussi, certaines connaissances de Nantoumé, de tenter d’élucider, vaille que vaille, la ou les raisons de cette “intelligence animalière”. Et chacune d’elles, d’avancer des justifications plus ou moins fantasistes, pour étayer leurs hypothèses.
Mais en fait, depuis son sevrage, le petit animal n’était nourri que d’herbe tendre et de son de mil. Et le plus souvent, Nantoumé poussait la tendresse jusqu’à… mélanger du lait en poudre dans le son de mil destiné à son ânon chéri. Mieux, le petit “chéri” le suivait dans ses moindres déplacements, comme son ombre ! Et Nantoumé le gâtait avec toutes les petites délices qui lui tombaient sous la main : lait en poudre, gâteaux, biscuits, bonbons…
Si bien que tous ceux qui connaissaient les liens intimes qui unissaient le petit âne à son maître n’étaient guère surpris de ses performances “chorégraphiques“ qui n’interloquaient finalement que ceux qui les voyaient pour la première fois.
Pourtant, Nantoumé ne comprenait toujours pas pourquoi son ânon était aussi dégourdi qu’intelligent. Aussi expliqua-t-il un jour le phénomène à un de ses amis instituteur qui était venu lui rendre visite. Alors, le plus sérieusement du monde, ce dernier lui dit : “Ton ânon ne fait que joindre l’utile à l’agréable. Il faut reconnaître aussi que tu l’as tellement gâté ! ”
Nantoumé, qui ne comprenait toujours pas qu’il est peut-être la source de l’étrange attitude de son petit protégé (l’ânon), lui demanda, encore plus étonné : ”Je l’ai gâté, tu dis? Mais comment çà?”. Et son ami, de lui expliquer, en l’accusant presque : “Allons, tu le sait très bien ! Tu n’ignores quand même pas que lorsqu’un âne est trop rempli de son de mil au lait en poudre, il est tout à fait normal qu’il danse au son de la musique“.
Oumar DIAWARA / Soir de Bamako