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L’opinion publique éprouve, de plus en plus, de méfiance envers les responsables politiques partisans actuels. Elle ne croit plus en la capacité de ces derniers d’assurer la continuité à la tête de l’Etat. D’où l’évocation sans cesse des chefs de l’Etat, Konaré et Touré, que la constitution en vigueur empêche de briguer un troisième mandat, et des Premiers ministres, Sako et Sidibé, pour 2012.

Un vrai paradoxe dans un pays qui regorge de cadres mais dont la scène politique se résume à quelques acteurs. Analyse.

Depuis quelques jours, la presse fait état de certaines « informations » provenant des traditionnelles et peu crédibles sources «bien informées, crédibles, concordantes ou dignes de foi ».

C’est l’éventualité d’un troisième mandat pour Amadou Toumani Touré, actuel chef de l’Etat, et de celle du retour aux affaires publiques de Alpha Oumar Konaré, son prédécesseur.

Ou encore, dans une moindre mesure, de la candidature du charismatique Soumana Sako, ancien ministre des finances de Moussa Traoré et ex Premier ministre de la Transition, et de l’actuel Premier ministre Modibo Sidibé.

Si les deux premières éventualités sont, à ce jour, impossibles sans un réaménagement constitutionnel en raison d’une disposition de la loi fondamentale qui stipule que le président de la République est rééligible une seule fois, les candidatures de Sako et Sidibé sont tout à fait possibles. Mais pourquoi autant de rumeurs (car il ne s’agit ni plus ni moins que de cela) autour de ces quatre personnalités ?

Il y a d’abord leur popularité. Les deux premières, Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré ont été élues et réélues à la tête de l’Etat après des élections libres et crédibles.

Alpha Oumar Konaré a remporté deux scrutins présidentiels, à la tête de son parti, le PASJ. La première fois en 1992, face à un adversaire sérieux et de taille, Tiéoulé Mamadou Konaté alors président du BDIA (et depuis, décédé) la deuxième fois, contre un adversaire certes populaire mais politiquement peu important : Maribatrou Diaby (lui aussi décédé).

Si pour son premier mandat, ATT a dû avoir recours à un deuxième tour de scrutin en 2002 pour battre Soumaïla Cissé arrivé deuxième, il n’aura aucun mal à s’imposer dès le premier tour lors de l’élection présidentielle de 2007.

Mais il faut reconnaître qu’alors, il n’avait qu’un seul adversaire de taille : Ibrahim Boubacar Keïta, arrivé troisième au scrutin présidentiel précédent et disposant de la majorité parlementaire (46 députés sur 147).

Ibrahim Boubacar Keïta sera encore présent en 2012, à l’analyse de ses présentes sorties politiques fortement relayées par la presse, mais, dans l’opinion publique, il ne fait plus le poids et personne ne croit en son élection. Soumaïla Cissé, challenger d’ATT en 2002, sera également présent en 2012.

Mais lui également ne bénéficie d’aucun capital de crédibilité dans l’opinion publique, notamment depuis la situation de déliquescence qu’il a créée au sein de son parti politique, l’URD, malgré la deuxième place que ce dernier occupe sur l’échiquier politique national.

IBK et Soumaïla Cissé exit, il ne reste plus comme forces alternatives que les anciens chef d’Etat : ATT et Alpha Oumar Konaré. En réalité, la focalisation des esprits sur ces deux personnalités pourrait s’expliquer par l’absence de figure emblématique ou de personne charismatique, jouissant de la même popularité ou du même capital de crédibilité que Alpha Oumar Konaré ou ATT.

Le personnel politique partisan vit une pénurie de personnalité, d’homme d’Etat d’envergure. Mais, d’ores et déjà, Alpha a levé toute équivoque dans les colonnes de notre confrères « Les Echos » : il ne sera pas candidat en 2012.

La classe politique est, à l’heure actuelle, incapable de produire cet homme providentiel qui pourra ravir la majorité des voix et s’imposer dans la continuité, à la suite d’un ATT. Le problème s’était déjà posé en 2002.

Après l’expiration du second mandat d’Alpha Oumar Konaré, son parti s’était divisé, sa grande majorité ne croyant pas suffisamment aux chances du candidat du parti avait préféré donner des consignes de vote et œuvrer pour l’élection d’un candidat indépendant. Le même scénario s’est reproduit en 2007, à la différence que cette fois, le PASJ n’avait aucun candidat officiel (son vice-président a été contraint de se passer de l’investiture du parti pour se présenter).

Pendant ce temps, l’URD dont le fondateur et mentor, Soumaïla Cissé, était arrivé deuxième en 2002, s’est paradoxalement abstenu de faire acte de candidature à la présidentielle et a préféré, elle aussi, soutenir le président sortant.

Idem pour la plupart des autres partis politique, au nombre de quarante et un (41), qui ont choisi de faire bloc autour d’ATT en créant l’ADP. Ne restait plus dans le camp opposé que quelques partis dont le seul important est le RPM dont le sort actuel est connu du public.

L’opinion publique que relaye la presse est obligée de convenir alors que si l’Adema, qui a régné pendant dix ans, n’a pas pu présenter de candidat pendant les deux précédentes présidentielles, c’est que le parti n’a, pour faire l’unanimité, que Alpha Oumar Konaré qu’il a eu à présenter ou encore Amadou Toumani Touré que la grande majorité du parti a eu à soutenir.

Cette même opinion retient que si Soumaïla Cissé ne s’est pas présenté en 2007, c’est qu’il ne croyait pas en ses chances, et que s’il n’a pas pu faire le ménage au sein de son parti, l’URD, il ne peut pas acquérir la majorité des suffrages populaires.

Quant au RPM, les résultats des dernières législatives au cours desquelles il a perdu 35 députés sur 46 ont démontré les limites de son président à mobiliser et « rassembler » du monde. Quid des autres ? Les responsables des partis politiques de la majorité présidentielle ont démontré leur incapacité à s’imposer dans les plus hautes sphères du pouvoir autrement qu’en soutenant une candidature indépendante.

Présentées séparément, leurs candidatures aux présidentielles de 1992 et 2002 n’ont enregistré que de très faibles scores. Les autres, eux, ont avoué leur impuissance à s’imposer face à la même candidature indépendante en 2007.

Ils seront d’ailleurs tous battus dès le premier et unique tour de scrutin. En outre, même pendant les élections législatives et locales, ils ont été dominés par les partis de la majorité présidentielle. Là également, l’opinion publique ne voit comme alternatives que les candidatures indépendantes. D’où l’évocation de Soumana Sako et de Modibo Sidibé qui ne sont officiellement affiliés à aucun parti politique.

Mais si ces deux personnalités, Sacko et Sidibé, ne se sont jamais publiquement prononcées sur la question, il en va tout autrement pour les présidents Touré et Konaré.

Le premier a déclaré, le 8 juin dernier, qu’il ne s’engageait pas (qu’il n’est même pas intéressé) dans un débat sur la relecture de la constitution lui permettant de briguer un nouveau mandat. Le second a annoncé que 2012 n’est pas inscrit dans son agenda. Deux déclarations qui sont bien loin d’être suffisamment explicites et claires pour arrêter d’alimenter l’opinion publique. D’autant plus qu’une association, Comité de Soutien à Alpha Oumar Konaré, en gestation, a déjà commencé sa campagne.

Cheick Tandina

14 Juillet 2008