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Tandis que certains s’arrogent un budget de 14 millions de F CFA par jour (téléphone, eau et électricité), des cotonculteurs du Wassoulou sont acheminés à Yanfolila pour y être gardés à vue sous un soleil ardent.


Telle est l’inévitable loi :
les inégalités sociales sont toujours en proportion inverse de la force de l’autorité publique. Nous sommes fin octobre 2008, toute la contrée du Wassoulou est sur pied, fuyant la honte, chacun appelle désespérément les parents de Bamako et d’Abidjan au secours. La Compagnie malienne pour le développement du textile venait de déclencher la traque à ses débiteurs en retard de payement.

Tout le monde le sait, la campagne 2007-2008 n’a pas été bonne, Allah ayant refusé d’ouvrir les vannes, les cultures n’ont pas été arrosées au mieux. Les pauvres paysans, proies naturelles de la paupérisation, n’ont pas pu rembourser leur dette. Nous précisons qu’il s’agit des intrants achetés à crédit et remboursables après les récoltes.

Comme nos braves paysans n’ont rien moissonné, alors ils se sont retrouvés dans l’incapacité d’honorer leur engagement vis-à-vis de la CMDT. Le désormais ex-gourou, sentant certainement son éviction prochaine, dans un fugitif geste plutôt désespéré que désespérant, a tenté ainsi de renflouer ses caisses déficitaires de près 40 milliards.

En gardant à vue les pauvres cultivateurs comme des nègres esclaves sous le soleil, tout comme le colonisateur le faisait, Ousmane Amion Guindo, véritable têtard tirant sa subsistance dans les eaux sales du clientélisme malien, a eu le raisonnement de ces politiques qui croient les autres inférieurs.

Nous ne voulons pas savoir si ses mains sont propres, mais nous le lui apprenons, au cas où il ne le sait que : «La décadence des mœurs naît de l’inégalité d’état et de fortune et non point du luxe ; elle n’existe que parce qu’un individu de l’espèce humaine peut exploiter et sucer le sang d’un autre ».

Faudrait-il le rappeler, le piètre devait sa nomination à la tête de la grande Compagnie pour avoir planté un canif empoisonné dans le dos de son parti. Il est limogé en laissant la boîte dans une situation de ruine. Mais pouvait-on s’attendre à un plus meilleur résultat ?


L’Etat vautour

La Banque nationale pour le développement agricole (BNDA) et la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) constituent le bec et les griffes de l’Etat vautour qui ne cesse de picorer dans la charogne des foutriquets du Mali d’en bas. Il est nécessaire de préciser ici que le Mali est le plus grand consommateur d’engrais au monde, si l’on se réfère au ratio quantités importées/surfaces cultivées.

Les acteurs en charge du financement, de la gestion et de la commercialisation des engrais : BNDA, CMDT, commerçants se vautrent chaque année dans le mensonge en bandant les yeux de tout le monde (Etat et paysans).

Nos grands commis obligent l’Etat à consentir d’énormes efforts aux importateurs d’intrants ; malgré tout, ceux-ci revendent très chère leur marchandise aux paysans désabusés. Les ventes sont faites systématiquement à crédit. Le système est inventé tel, on laisse croire aux paysans qu’ils ont plutôt intérêt à acheter à crédit, qu’au comptant. Certains usuriers de cette mafia ne vendent d’ailleurs qu’à crédit, tout en appliquant un taux usuraire.

Nous rappelons que ces pratiques sont à l’origine de la faillite de l’Usine malienne des produits chimiques (UMPC). Le drame, la nouvelle fabrique d’engrais qui appartient à la nouvelle bourgeoisie compradore, évitant la guerre des gangs, est forcée d’aligner ses prix sur ceux du cartel malien. Le prix de l’engrais est même monté en flèche cette année.

Cette pratique qui perdure sera fatale un jour à la BNDA. Il suffit que les paysans refusent de semer le coton et il a fallu de peu, pour que cela arrive cette année, obligeant la CMDT de fixer à 200 F CFA, le prix d’achat aux producteurs. Si ce scénario n’est pas possible pour des raisons socioculturelles dans les zones de Koutiala, il demeure plus que réel dans les zones de Bougouni, Fana, Sikasso et Kita. Nous recommandons vivement aux responsables de la BNDA d’aller se ressourcer auprès des banques américaines victimes de la crise des logements.

Malgré 200 F CFA proposés cette année, certains n’ont pas semé. L’arbre sain ne pouvant pas cacher la forêt malade, nos braves paysans ont compris le fox-trot d’item de la CMDT, qui consiste à reprendre avec la main gauche ce qu’elle a donné avec la main droite.


Devoir de mémoire

A toutes les époques historiques, il existe un esprit principe. La révolution nous aurait emporté, si elle n’eût fini par des crimes : nous avons vu la première tête portée au bout d’une pique, et nous nous sommes ressaisis. Jamais le meurtre ne sera à nos yeux un objet d’admiration et un argument de liberté. Nous ne connaissons rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste.

En jetant des pauvres paysans en prison, la Compagnie malienne pour le développement du textile effare leurs parents confrontés aux problèmes de survie à Abidjan et à Bamako. Nous sommes sidérés par le geste désespéré d’un petit responsable qui tente vaille que vaille à sauver son strapontin qui sombre dans le long fleuve tranquille du clientélisme.


Le sang à coulé pour que cesse l’injustice dans notre pays, mais quinze ans après, le constat est amer :
un Mali d’en bas qui s’appauvrit globalement dans l’opulence oppressive d’une nomenklatura cruelle. Un millier de personnes se partage deux tiers du revenu national, au même moment treize millions vivent dans la précarité, sans aucun ou peu d’accès à la protection sociale. Jamais, le Mali n’a connu de phénomène de différenciation sociale d’une telle ampleur depuis la fin de la colonisation.

La bourgeoisie compradore se développe sur la misère noire des masses populaires. Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent.

Les réactions causales ailleurs sont connues : émeutes au Cameroun, révolte au Burkina Faso, scènes de guerre en Guinée ; des révolutions sanglantes dans beaucoup de pays. Si l’on observe le Mali aujourd’hui, il est à craindre que 2008 ne finisse malheureusement pas bien malgré les apparences. Il est impensable d’imaginer que la paix et la sécurité puissent régner sans assurer une justice sociale minimale qui passe par la réduction d’une fracture de plus en plus profonde entre les gagnants et les perdants de la démocratie.

Malgré les foyers de tensions à travers notre pays, la lutte contre les inégalités n’est pas encore à l’ordre du jour sur les bréviaires des décideurs. En attendant la guerre des riches des pauvres, les Maliens d’en haut restent tributaires à l’esprit du néocolonialisme.


Abdoul Karim Dramé

(journaliste indépendant)

18 Novembre 2008