Indépendant : M. Traoré, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?
Gaoussou Traoré : Je m’appelle Gaoussou Traoré. Je suis architecte, urbaniste et aménageur du territoire. J’ai fait mes études d’architecture en Union Soviétique et mes études de troisième cycle en urbanisme et aménagement du territoire à l’Université Libre de Bruxelles en Belgique. Après l’obtention de ce diplôme, j’ai travaillé quelque temps dans ce pays. A mon retour au Mali, j’ai créé le bureau d’études « La Soudanaise ». Un nom inspiré par notre projet qui est fondé sur le style architectural soudanais.
L’Indép. : Pouvez-vous nous dire comment vous êtes parvenu à mettre au point la brique « H » ?
G.T. : Toute invention est le fruit d’un hasard, dans la mesure où l’on ne peut pas dire au départ qu’on va décider d’inventer quelque chose. En réalité, l’invention est du domaine de Dieu lui-même. Par le passé, j’ai beaucoup travaillé dans le domaine des « agglos ». J’avais une fabrique de briques ici, trois pondeuses, des machines que j’ai ramenées de la Belgique à la fin de mes études en 1988. Je produisais pendant cinq ans des briques « agglos », avant même de faire de l’architecture. A travers cette expérience, j’avais une conviction : le développement du bâtiment passe nécessairement par la promotion des matériaux locaux de construction et les techniques liées à ces matériaux de construction.
L’Indép. : Comment avez-vous eu l’idée de mettre au point la brique « H » ?
G.T. : L’idée de la brique « H » n’est pas venue de façon automatique. Tout le monde sait que le ciment coûte très cher au Mali, en Afrique et dans les pays en développement, d’une manière générale. Si l’on se donne comme objectif de réduire les coûts de construction des maisons, il faut passer, au-delà des techniques uniquement financières, par les techniques de construction. Cela veut dire clairement qu’il faut réduire la quantité de ciment qui rentre dans la construction. La version « H » de la technique évolutive pour laquelle nous avons opté réduit très sensiblement le volume de la brique ordinaire d’à peu près 2 litres. Ce qui fait 30 % de réduction par rapport au volume de la brique classique. Ces 30% de réduction correspondent, en fait, aussi à 30% de ciment en moins, 30% de sable en moins et 30% d’eau en moins. C’est la caractéristique principale de la brique « H ». Au moment de l’élévation de cette brique, on réduit carrément les joints, mais cette fois-ci, de 100%. A ce niveau on n’a plus besoin de joints, ni de sable, ni de ciment qui rentrent dans la composition du mortier. On utilise aussi dans l’élévation de la terre qui confère à notre maçonnerie tous les avantages que la terre offre : acoustiques, thermiques, l’isolation au feu et une meilleure résistance au tir de balle.
L’Indép. : En quelle année, peut-on dire que la brique « H » a été effectivement mise au point ?
G.T. : L’idée de la brique « H » remonte à 2003. Mais la première maison construite avec cette technique a été réalisée chez moi en décembre dernier. Il faut dire, cependant, que déjà en avril 20004, le projet a été sélectionné au niveau de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) pour aller représenter l’Afrique au 32ème Salon mondial international des inventions à Genève. C’est là que, Dieu faisant bien les choses, nous avons pu recevoir les différents prix. Il s’agit notamment de la Médaille d’Or du Salon avec les félicitations du jury, La Médaille d’Or aussi de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle et le Prix de la Meilleure invention de cette même organisation.
Ce sont ces trois prix qui nous ont été décernés au 32ème Salon des inventions à Genève en avril 2004. Il faut dire qu’ il y avait 75 membres du jury composés de savants et de docteurs du monde entier. Je peux vous dire avec certitude qu’il n’ y a aucun Africain dans cette commission. Environ 1000 inventions étaient représentées dans ce Salon. Des inventions de tous les pays du monde : France, Etats-Unis, Angleterre… Il y avait aussi les grandes universités du monde et aussi des grands noms du secteur privé. C’est vous dire que c’est quelque chose qui est quand même assez consistant, d’autant que le Salon de Genève est le plus grand Salon au monde des inventions.
L’Indép. : Pouvez-vous nous parler plus largement des caractéristiques techniques de la brique « H » ?
G.T. : Le tout premier avantage de la brique « H » c’est l’économie. A titre d’exemple, son utilisation dans la réalisation de maisons-test avec l’Office Malien de l’Habitat, nous a permis de faire une économie d’environ 1,5 million de FCFA sur le coût de chacune des deux maisons que nous avons construites. Imaginez qu’on applique cette technique sur les 1 008 logements, on allait avoir, au minimum, une économie d’un milliard de FCFA.
Deuxième avantage, c’est un matériau bien adapté à nos conditions climatiques, grâce aux propriétés qu’offre la terre. La faible résistance de la terre à l’eau est vite corrigée par cette brique « H » qui sert en somme de coffrage. Le confort thermique et acoustique et une meilleure résistance au feu et au tir d’une balle, donc un mur beaucoup plus blindé-complètent la liste des avantages de la brique « H ».
En réalité, c’est un procédé de construction qui utilise la brique « H » plus la terre. Beaucoup de civilisations à travers le monde utilisent la terre, comme ce fut le cas du temps des pharaons avec les pyramides qui continuent de résister à l’épreuve du temps.
L’Indép. : Quels intérêts les promoteurs immobiliers peuvent-ils tirer de l’utilisation de la brique « H » ?
G.T. : Le premier intérêt, c’est qu’avec la brique « H » les promoteurs peuvent rentrer beaucoup plus facilement dans leurs coûts de construction. Le principal problème de la promotion immobilière, réside dans le fait que les gens n’arrivent pas à maîtriser les coûts. Deuxième avantage lié au premier, les promoteurs immobiliers, grâce à l’économie ainsi réalisée sur le coût, peuvent en ce moment, offrir à moindre coût des maisons adaptées à la clientèle : des maisons dans lesquelles il ne fait pas très chaud et qui résistent au tir d’une balle.
L’Indép. : Quel peut être, selon vous, l’impact d’une invention comme celle de la brique « H » sur l’économie malienne, d’une manière générale ?
G.T. : L’impact est très important. Si vous prenez l’économie du Mali, nous sommes en train d’acheter du ciment en participant à la construction des autres pays. De nos jours, le monde est ainsi fait : soit vous travaillez pour les autres soit les autres travaillent pour vous. Nous avons la possibilité d’équilibrer notre balance commerciale en réduisant la quantité de ciment importé, en attendant d’avoir notre propre cimenterie.
En deuxième lieu, le Mali peut même exporter cette technique, car c’est un procédé qui est breveté et qui est brevet à 100% malien. Un brevet, ça se vend, ça se commercialise et ça s’exploite, à mon avis à travers les ministères de l’Urbanisme, du Commerce et de l’Industrie. Un exemple concret : il nous est revenu que le Sénégal a en projet la construction de 70 000 logements. Soixante dix mille logements à raison d’un million de FCFA d’économie par logement, cela vous fait, au bas mot, 70 milliards de FCFA.
Or, le Sénégal ne peut pas réaliser une réduction de 70 milliards sur ses constructions s’il n’utilise pas la technique de la brique « H ». Cette technique, elle appartient au Mali.
Au-delà du cas spécifique du Sénégal, notre pays peut proposer le brevet de la brique « H » aux autres pays de la planète, moyennant un pourcentage substantiel dans l’économie qu’il permet de réaliser.
Dites-moi quel autre secteur peut apporter autant de dizaines, voire de centaines de milliards à l’économie ? Avec ces rentrées d’argent, le Mali peut même faire financer sa politique de logement par d’autres pays. Des pays comme les Etats-Unis et la France ne vivent que sur les brevets de leurs inventions.
Yaya SIDIBE
10 Mars 2005