Partager

Le 22 septembre 1960 le Mali, ainsi que la plupart des colonies françaises de toutes les Afriques – moins l’Algérie – accéda à l’indépendance suivant une formule qualifiée à l’époque d’indépendance octroyée parce que offerte pacifiquement aux nouveaux responsables africains par les autorités de la Ve République française.

Par la voie de la négociation politique, la France du général de Gaulle avait relâché la pression sur des anciennes colonies et permis à l’élite de ces pays formée par elle d’occuper la place des administrateurs coloniaux au mieux des intérêts de la métropole.

Sous cette forme, certains pays ne voulurent pas trop s’éloigner du cadre français (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina, etc.) tandis que d’autres, plus résolus comme le Mali et la Guinée, décidèrent de se séparer politiquement et économiquement de l’ancienne puissance colonisatrice et de se tourner vers les pays de l’Est (URSS, Chine, Cuba…)
Par indépendance, on entendait généralement une situation économique, politique et culturelle nettement meilleure à celle de la période coloniale faite d’oppression, de vexations et d’abus de toutes sortes, la colonisation ayant décidé de transformer les autochtones en étrangers dans leur propre pays.

Des changements appréciables devaient donc être opérés dans tous les aspects de la vie socio-économique de la colonie ainsi libérée des colonialistes. Le parti politique qui s’attela à ce devoir de génération fut l’US-RDA qui dirigea le pays de 1960 à 1968.

L’œuvre politique à accomplir consistait à bâtir un véritable Etat en lieu et place de l’embryon d’Etat jacobin laissé par les Français. Toutefois, prudents, les responsables politiques de l’US-RDA n’osèrent pas s’aventurer dans leurs changements profonds et gardèrent l’appareil d’Etat sous sa forme française avec une forte tendance à la centralisation, d’où le qualificatif d’Etat néo-colonial qui lui resta collé jusqu’au démarrage de la décentralisation dans les années 1995-1996.

Dès le congrès du 22 septembre 1960, pour montrer leur volonté de rompre avec l’ancienne métropole, les nouvelles autorités optèrent pour la voie non capitaliste de développer, c’est-à-dire, sans le dire, pour le socialisme parce que les deux options économiques reconnues par la science économique d’alors étaient le libéralisme (capitalisme) et le socialisme (communisme).

Dans ce but, une monnaie nationale fut créée en 1962 pour favoriser les échanges avec les pays de l’Est progressistes aux dépens des pays capitalistes que l’on savait hostiles à une telle option.

Espoirs déçus

De la même manière furent créées des sociétés et entreprises d’Etat dont la gestion fut confiée aux cadres nationaux dont beaucoup à l’époque n’étaient pas à la hauteur. Une armée nationale fut également mise sur pied de toutes pièces sous le commandement des officiers nationaux avec comme mission principale la défense du territoire national.

Dans le même temps, des efforts furent faits pour encadrer le monde paysan suivant les directives du parti, mais celui-ci rencontra sur son chemin de vives résistances et dut renoncer à cette tâche.

La conséquence en fut que l’agriculture subit très peu de modification et, au lieu de se mécaniser, resta au stade de la main comme par le passé.

De façon générale, la période où l’on peut dire que le Mali assuma pleinement sa souveraineté est celle qui va de 1960 à 1968 ; après on assista à une perte progressive de cette même souveraineté comme si le pays demandait à être recolonisé.

Arrivés par effraction au pouvoir en novembre 1968, les militaires, au lieu de sauvegarder ce que la Ière République avait réalisé, se lancèrent dans une vaste entreprise de destruction massive et de sabotage de l’économie du pays.

Les sociétés et entreprises d’Etat furent progressivement liquidées, la monnaie nationale supprimée et remplacée par le franc CFA et, au lieu de l’indépendance, le pays fut replacé dans la dépendance de la France et des autres pays de l’Alliance atlantique.

La période qui va de 1968 à 1978 représente des années de régression dans tous les domaines ; le pays est pris en otage par une bande de soldats cupides, analphabètes et plus portés sur les plaisirs que sur le développement réel du pays.

Celle qui va de 1978 à 1991 correspond au règne de la bourgeoisie militaire aidée par des intellectuels. La gestion du pays ne change pas ; elle se fait toujours au détriment des paysans, des ouvriers et des artisans. Une minorité d’officiers et d’intellectuels s’empare des richesses nationales, excluant la grande majorité.

Devant la revendication du peuple réclamant l’ouverture démocratique (multipartisme), ces nantis répondirent par l’arrogance et le mépris, ce qui les conduisit à leur Thermidor en mars 1991.

Sous la période démocratique, le pillage a changé de forme, mais continue au profit de la bourgeoisie commerçante et des intellectuels. De nouveaux riches sont apparus alors que le peuple s’est appauvri davantage.

Après 45 ans d’indépendance, le Mali a connu trois régimes politiques et deux pouvoirs d’exception (CMLN et CTSP), mais le peuple en est encore à se poser des questions sur le contenu de l’indépendance, ce qui indique qu’il y a plus de bas que de hauts.

Dans « L’Afrique noire est mal partie », René Dermont rapporte que des paysans d’un pays d’Afrique noire, après plusieurs années d’indépendance, lui demandèrent quand est-ce que celle-ci prenait fin et que lui était obligé de leur répondre que c’était un processus sans fin, ce qui a eu comme effet de les laisser perplexes et songeurs.

Au Mali aussi, dans plusieurs localités, les paysans, pour parler de l’indépendance, disent : « le dépendant » ; on ne sait s’ils le font délibérément ou pas.

Facoh Donki Diarra
(ISH, Bamako)

21 septembre 2005.