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Expliquer, rassurer, avertir. La parole présidentielle ne manque pas de raisons de se faire entendre

« Hors norme ». Ce jugement sur le destin récent de notre pays transparaissait clairement dans les commentaires de nos invités à la cérémonie du 19 septembre. Et il a été certainement répété dans l’enceinte new-yorkaise des Nations unies. En vérité, l’évolution de la situation au Mali au cours de la seule année 2013 mérite amplement cette appréciation. Entre la nation à l’agonie de janvier dernier et le pays hôte de septembre qui recevait l’hommage d’un impressionnant aréopage africain et de la France, le fossé est si énorme qu’il paraît inconcevable qu’il ait pu être franchi en l’espace de quelques mois. Dans ce laps de temps si bref à l’échelle de l’histoire d’une nation, la reconquête de l’intégrité territoriale a été achevée, le danger djihadiste considérablement neutralisé et la normalité constitutionnelle rétablie.

Lorsqu’on voit au prix de quelles souffrances prolongées des étapes similaires ont été franchies dans des pays voisins ; lorsqu’on constate à quelle terrible insécurité et à quelle traumatisante instabilité demeurent exposées des sociétés africaines pourtant moins martyrisées que ne l’a été la nôtre quand la férule obscurantiste pesait sur le Nord du Mali ; lorsqu’on relève la persistance des germes de la division qu’ont générés les élections dans des Etats beaucoup moins fragiles que ne le fut le Mali de la Transition ; lorsqu’on additionne ces faits extraordinaires, l’on ne peut que rejoindre nos amis dans leur légitime étonnement. Tout comme l’on ne peut qu’adhérer à la bienveillante mise en garde de certains d’entre eux.

En effet, le formidable prélude accompli par le Mali ne présage en rien de la suite des évènements. Il établit surtout des bases saines pour la reconstruction du pays et il nous incite à ne nous leurrer ni sur la difficulté de ce qui reste à faire, ni sur la délicatesse des voies que nous allons emprunter pour le faire. Le président Ibrahim B. Keïta a fait écho à certaines recommandations de ses pairs africains et français en soulignant dans son adresse à la Nation à l’occasion de la fête du 22 Septembre qu’il n’a d’autre choix dans la mission qui lui est conférée que de sacrifier sa personne à la cause du Mali.

Le chef de l’Etat ne peut en effet ignorer qu’il lui faudra monter en première ligne beaucoup plus souvent que ne le ferait un président élu dans un contexte « normal ». Dans les premiers temps du quinquennat, la consolidation du lien de confiance établi avec les citoyens se nourrira en effet de gages régulièrement donnés dans la gestion des grands dossiers du pays. Ainsi sera préservée la certitude que ce qui se fait aujourd’hui diffère fondamentalement de ce qui se pratiquait naguère.

Une attention privilégiées et permanente

Viendra inévitablement ensuite un temps où la parole présidentielle devra se faire plus rare pour ne pas tomber dans la banalisation et la redite. Mais pour le moment, le chef de l’Etat garde la latitude d’intervenir fréquemment et en restant dans le registre qui est exclusivement le sien, celui du porteur de solutions, de l’ultime arbitre et du premier décideur.

Ce n’est pas un commentaire qu’attendent en effet les citoyens d’un président de la République. Mais à défaut d’une annonce de décision, au moins une prise de position ou une mise au clair. Ibrahim B. Keïta a ressenti cette nécessité de réaffirmer la conformité de l’action présidentielle avec les promesses de campagne. La volonté de rester fidèle à ce qu’il a annoncé s’est donc retrouvée dans son allocution du 22 Septembre, dans son intervention après le défilé militaire organisé à l’occasion de la fête de l’Indépendance et dans ses propos tenus à New York.

Le premier événement a donné au président de la République de rompre avec le format précédemment usité et qui faisait la part belle à un état (détaillé) de la Nation à travers bilan et projections. Tournant le dos à la formule « inventaire », le chef de l’Etat a préféré faire court et essentiellement politique. Outre l’avantage de ne pas perdre son auditoire en cours de chemin, le procédé a le mérite d’aller droit à l’essentiel, c’est à dire aux attentes et aux questionnements des citoyens moyens. Ibrahim B. Keïta s’est donc efforcé de rassurer et d’expliquer.

De rassurer d’abord en rappelant que la moralisation de la vie publique reste au cœur de ses préoccupations et passera aussi bien par des mesures relativement faciles à mettre en œuvre pour restaurer une utilisation éthique des moyens de l’Etat et l’assiduité dans les services publics que par les réformes plus profondes concernant l’école, la justice et la lutte contre la corruption. Les explications, elles, ont concerné l’emploi des jeunes sur lequel est portée une forte attention à travers un ministère (Plan et prospective) et un ministère délégué (Promotion des investissements et de l’initiative privée).

Mais la clarification la plus attendue touchait aux missions du département chargé de la Réconciliation nationale et du développement des régions du Nord. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le second objectif affecté au ministère fait polémique chez une majorité de nos compatriotes. Ceux-ci ont la sensation que se répète une erreur commise par le passé quand une attention privilégiée et permanente a été accordée à certaines zones de notre Septentrion sans que ne soient obtenues ni une amélioration sensible du sort des populations bénéficiaires supposées, ni un apaisement définitif dans les actes de rébellion armée.

Le sentiment d’exaspération retenue qui couve depuis le milieu des années 1990 ne se dissimule guère plus aujourd’hui. Car il est amplifié par l’urgence de la reconstruction nationale, urgence qui, de l’avis de nombreux Maliens, impose d’accorder une attention égale à toutes les Régions. A ceux qui redoutent le retour à un traitement différencié et inefficace, le président a indiqué que l’intégration nationale qui impose la prise en charge d’un certain nombre de priorités dans notre Septentrion ne sera pas antinomique de l’inclusion nationale qui prévoit la prise en compte de toutes les zones de notre pays.

Traites à pied d’égalité

Une autre assurance toute aussi nette a été donnée à la fin du défilé militaire du 22 Septembre. Un effort exceptionnel sera consenti pour la remise à niveau de l’Armée malienne afin que ne se reproduise plus la déroute de 2012 qui a amené notre nation au bord de l’anéantissement après l’avoir (selon la formule présidentielle) « exposée à la risée du monde ». La régénération déjà perceptible des forces armées ira donc « crescendo ». L’actualité toute récente s’est d’ailleurs chargée de nous rappeler la nécessité de compter sur nos propres forces. Les attentats de Kidal et Tombouctou ont valeur d’avertissement pour ceux qui s’étaient abandonnés au train-train d’une surveillance de routine.

La troisième mise au clair du président Keïta a été formulée sur l’un des sujets les plus sensibles du moment, l’exécution de l’Accord préliminaire de Ouagadougou. Sur cette question le MNLA, le HCUA et le MAA ont, en une semaine, accumulée les postures contradictoires. Leurs représentants à la réunion informelle des groupes armés avaient adhéré sans réserve à la nécessité de préserver l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Mali.

Cette position tranchée leur avait valu d’être reçus par le chef de l’Etat qui à cette occasion avait renouvelé une position défendue avec constance par le Mali et par lui-même en tant que candidat à la présidentielle : tout est négociable hormis un scénario d’indépendance ou d’autonomie. Les trois mouvements ont aussitôt réfuté les déclarations de leurs représentants à la rencontre de Bamako en arguant que ceux-ci avaient outrepassé leur mandat et que l’hypothèse de l’autonomie ne pouvait être exclue des options possibles. Puis le 26 septembre les mêmes mouvements suspendaient leur participation aux travaux de suivi de l’Accord de Ouagadougou.

Après avoir fourni à la tribune des Nations unies les preuves tangibles de la bonne foi des autorités maliennes, Ibrahim B. Keïta a ensuite déclaré dans une interview accordée à nos confrères de l’ORTM qu’il ne se laisserait ni bousculer, ni trimbaler. La formule est sans doute un peu rugueuse.

Mais dans les négociations qui vont s’ouvrir avec les groupes armés, il est primordial de ne pas s’accommoder d’une remise en cause permanente de ce qui a été discuté. L’engagement d’aller à une solution négociée et acceptée par tous au Nord du Mali dicte à notre pays certains compromis. Comme celui d’accepter que des groupes armés et un Etat soit traités à pied d’égalité dans une négociation internationale. Ceci ayant été admis, les deux parties ont au moins une obligation de considération réciproque et de loyauté.

Le respect de ce préalable n’entre visiblement pas dans les préoccupations du MNLA qui n’a renoncé ni à ses provocations, ni à ses virevoltes. La frange « réaliste » du Mouvement a bien compris que celui-ci n’a plus la capacité de poser un ultimatum militaire et que son crédit au niveau international s’est notablement amoindri. Mais cette frange n’a visiblement pas le pouvoir de décision et elle n’échappe pas, elle non plus, à la pratique du double langage.

Or, les forums de sensibilisation récemment organisés sur l’accord de Ouagadougou montrent bien une extrême réserve des participants quant à la sincérité du MNLA et du HCUA. Pour créer une adhésion populaire minimale aux accords qui seront conclus, il est absolument nécessaire de dissiper ce scepticisme. La mise au clair n’est pas une obligation dévolue au seul président de la République. Elle s’impose aussi à tous ses interlocuteurs de la question du Septentrion. Particulièrement à ceux qui n’ont pas encore renoncé à une stratégie d’arrière-garde.

G. DRABO

Essor du 01 Octobre 2013