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Dans ces deux épisodes dont les enjeux et l’envergure sont totalement dissemblables, se retrouve le même élément déclencheur : l’accumulation effarante d’erreurs organisationnelles. Accumulation qui rendait impossible l’obtention de résultats fiables, et donc acceptables par tous. Les différents recours qui auraient pu être mis en œuvre (nouveau décompte de voix pour les Américains, reprise des opérations pour les socialistes) présentaient l’inconvénient soit de ne pas agréer à toutes les parties en présence, soit de se heurter à de sérieuses difficultés d’exécution. Dans des contextes de tension extrême, les extrémistes de chaque bord ont donc eu beau jeu de se lancer dans de ridicules enchères finalement dégonflées par un laborieux retour à la raison.

Que de tels embrouillaminis puissent surgir dans des démocraties éprouvées fait tout naturellement sourire sur notre continent. Que de fois en effet ne nous sommes-nous pas entendu administrer la leçon sur nos difficultés à gérer les lendemains d’élections dans nos pays ou encore à « civiliser » le fonctionnement interne de nos formations politiques ? L’expression sarcastique de « démocratie tropicalisée » a même été forgée pour consacrer une prétendue incapacité africaine à se plier aux codes et aux contraintes des systèmes politiques qui exigent ouverture, transparence et équilibre. La mésaventure du PS français est venue mettre à mal ces a priori souvent mérités hélas, mais toujours énoncés de manière vexante. Elle a rappelé que sous n’importe quelle latitude la lutte pour le pouvoir engendre toutes les étrangetés et favorise toutes les dérives. Que des divergences factices peuvent être créées pour légitimer et pour rendre irréductibles les oppositions de personnes. Que de grandes manœuvres tactiques se bâtissent autour de la défense non pas du principe, mais de l’ego. Que l’ambition et la volonté de compter rendent possibles les plus étranges rapprochements et les plus dérisoires alliances. Et qu’il arrive à la classe politique obnubilée par ses guerres de chefs de perdre complètement pied avec le pays réel.

Certains pourraient juger étrange notre parallèle, mais à notre avis, il y aurait pour les partis maliens – et particulièrement pour les plus importants d’entre eux – beaucoup à méditer sur la crise du PS français. Voilà en effet une formation qui dispose d’un nombre respectable d’élus à l’Assemblée nationale ; qui, tout récemment, a conforté de manière substantielle sa représentation au Sénat ; qui lors des dernières municipales s’est emparé de presque toutes les grandes villes du pays ; et qui tient la majorité des présidences des régions françaises. Mais d’un autre côté, le PS est également une formation qui depuis 1995 échoue régulièrement à gagner une présidentielle ; qui a essuyé en 2002 l’affront de se faire devancer par l’extrême droite ; qui s’épuise depuis une décennie dans d’interminables querelles de leadership ; qui échoue à faire émerger des personnalités à la fois nouvelles, fortes et consensuelles ; qui est complètement inaudible sur les changements radicaux qui se produisent aussi bien dans son pays que dans le monde ; et qui en 2012 sera très certainement incapable de faire obstacle au président Sarkozy si ce dernier choisissait de se représenter.

Le PS endure aujourd’hui la conséquence de ses diverses divagations : il ne parvient plus à convaincre une majorité de l’électorat français qu’il peut gouverner le pays mieux et autrement que la droite. Il reste en dessous de ce seuil de confiance qui sépare une formation d’élus locaux d’un parti de gouvernement. A notre avis, ce handicap des socialistes français est aussi celui des plus importantes formations politiques maliennes. Handicap qui était déjà présent en 2002, qui ne s’est jusqu’ici guère résorbé et qui – si remède ne lui est pas apporté – pourrait s’avérer rédhibitoire pour certains à l’approche de 2012. Cette lacune est d’autant plus paradoxale que s’exprime fortement la détermination d’une majorité de grands et moyens protagonistes de réussir au plus tôt la réhabilitation du fait partisan. Cette volonté s’était, par exemple, affirmée haut et clair lors de l’ouverture du récent congrès du PASJ. Différents orateurs déléguaient d’ailleurs aux Abeilles un rôle majeur dans l’entreprise de revitalisation.

LE REEL DEFI

Détail qui souligne la détermination des partis toutes sensibilités confondues à retrouver leur rang, le rôle d’avant-garde fut reconnu aux Rouges et blancs non seulement par le MPR membre de la majorité présidentielle, mais aussi (et de manière appuyée) par les formations majeures de l’opposition, le RPM et le PARENA. Mais au-delà de leur unanimité autour de l’objectif principal, les partis organisent-ils vraiment leur retour à l’avant-scène ? Ce n’est pas vraiment l’impression qu’ils donnent. Ainsi du PASJ qui a épuisé presque toute l’énergie de ses dernières assises à gérer les rivalités interpersonnelles. Cela au détriment du contenu de ses résolutions qui égrènent surtout des consignes pour la préparation des futures communales. Les Abeilles se sont sommairement prononcées sur les problèmes de l’heure et n’ont guère ébauché la vision nationale pourtant souhaitée par leur président à l’ouverture des travaux. Enfin, à force de vouloir ménager le trop-plein des ambitions personnelles, le parti s’est donné une Direction de compromis au lieu d’un état-major de combat.

En ce qui concerne l’URD, le problème se pose différemment. Le parti de la Poignée de main tient certainement son candidat pour 2012. Mais contrairement à ce qui se laissait entrevoir dans un premier temps, au terme de son congrès, la machine de bataille n’était pas aussi impeccablement montée que prévu et le malentendu Oumar I. Touré – Soumaila Cissé n’avait pas été politiquement aplani, soumettant ces derniers mois le parti à une exposition médiatique de mauvais aloi et contraignant son inspirateur à des démarches répétées d’apaisement ou de rectification. Toutes ces perturbations mettent à mal l’image d’une formation qui, à défaut de se distinguer par l’originalité de ses propositions, avait jusque dans un passé récent capitalisé sur sa cohésion interne et sur l’organisation méthodique de sa montée en puissance. Le RPM lui, traîne deux lacunes que nous avions depuis longtemps diagnostiquées, la faiblesse de son organisation interne et le flou de sa ligne politique. Ibrahim B. Keita tente de remédier depuis plusieurs mois à la seconde, mais dans ses efforts il pâtit toujours de l’absence à son côté d’un vrai staff de conseillers en stratégie, capable d’installer dans l’opinion la nouvelle image et l’actuel credo de leur président.

L’énumération pourrait être poussée plus loin, mais les cas des trois formations de tête nous paraissent suffisamment explicites quant au chemin qui reste à parcourir aux différents ténors. Le réel défi pour ceux-ci n’est pas tant d’améliorer leurs performances aux municipales et aux législatives. Tous savent le faire avec plus ou moins de bonheur, car possédant un savoir-faire régulièrement entretenu dans ces exercices. Par contre, se hausser au niveau d’une présidentielle constitue pour les grands partis un difficile challenge autant pour ceux qui avaient choisi la compétition en 2007 que pour ceux qui avaient préféré faire l’impasse. Il se pose tout naturellement à eux la question du meilleur candidat possible. Mais également celles primordiales de l’unité du parti et de la vision qui sera proposée aux électeurs. Une présidentielle est certes, comme le disait De Gaulle, la rencontre d’un homme et d’un peuple. Mais aussi, et maintenant plus que jamais, la confrontation entre une offre (la vision du candidat) et une demande (les attentes des citoyens).
Les temps changent, les mentalités évoluent, et les électeurs (les vrais) mûrissent. La période que nous vivons est celle d’importantes mutations qui se dessinent à peine et qui ne seront certainement pas achevées en 2012. Le contrecoup de la crise mondiale qui effleure aujourd’hui l’Afrique atteindra le continent de manière plus rude dans les années à venir. Il y aura donc pour la prochaine présidentielle des choix de société à élaborer, des nouvelles certitudes à insuffler aux citoyens, des chemins difficiles à leur faire accepter, mais aussi des acquis à leur garantir.

Telle doit être la vraie disponibilité de proposition qui ne s’élabore pas encore au niveau des principales formations. Car dans les états-majors, l’attention s’égare dans les chemins de traverse. Comme celui du poids et de la portée accordés aux ralliements d’opportunité qui ne constituent pour ceux qui le font qu’une manière de prendre date. Comme celui de la rengaine intermittente sur le « déverouillage » de l’Article 30 de la Constitution alors que le principal intéressé s’est très clairement prononcé sur la question. Comme celui de l’hypothèse d’une éventuelle émergence d’un candidat indépendant, alors que si cette hypothèse se concrétisait, la personnalité en question serait confrontée exactement aux mêmes casse-têtes que les partis. C’est à dire à ceux du gain de stature et de crédibilisation du discours. Deux préalables qui exigent dès maintenant réflexion et persévérance. Deux préalables sur lesquels les électeurs ne feront certainement pas crédit en 2012.

KÁLIFA

Essor du 02 décembre 2008