On a beau avoir les meilleurs théoriciens du développement, un pays ne peut progresser tant que la mentalité du peuple est figée. Mais, il est aussi utopique de réclamer des changements de comportements des cadres alors que l’Etat ne fait rien pour motiver ceux d’entre eux qui s’illustrent par leur compétence et leur intégrité.
« Le principal défi, c’est notre capacité d’adaptation aux nombreuses mutations et qui nous font obligation de repenser nos stratégies et nos moyens d’action. C’est le sens des reformes engagées et dont l’objectif commun est d’améliorer significativement nos acquis et d’anticiper les problèmes » ! Voilà l’un des passages que nous avons retenu dans le message à la nation du président de la République à l’occasion du 48e anniversaire de l’accession du Mali à l’indépendance.
Des réformes ! Le Mali en a profondément besoin aujourd’hui. Après 48 ans d’indépendance, il est regrettable de constater que le Mali ne cesse de reculer sur le plan socioéconomique. La souveraineté économique acquise au début de notre souveraineté s’est disloquée rendant notre pays presque totalement dépendant de l’extérieur. 48 ans après, le Mali est encore incapable d’assumer sa souveraineté. Toutes les théories appliquées depuis 1968 n’ont fait qu’affaiblir davantage notre économie. A sa place, un homme aurait été qualifié de « raté ».
Mais, qu’est-ce qui nous différencie tant de ceux qui se sont sacrifiés pour nous sortir du joug colonial ? Le travail et le patriotisme ! Cela ne fait l’ombre d’aucun doute qu’ils aimaient ce pays plus que nous et qu’ils étaient conscients que le travail est la meilleure garantie d’une souveraineté acquise dans le sang et dans les larmes.
Si la solidarité est une valeur fondamentale de notre société, le travail était le meilleur héritage intra-générationnel. Les préjugés sociaux aidant, le Malien a perdu le goût du travail pour s’accrocher à la vie facile. La preuve, c’est que peu de gens osent entreprendre et se construire un avenir sûr dans le labeur. Nous sommes, en grande majorité, des partisans du moindre effort.
L’administration malienne est en la preuve la plus révoltante. Entre retard et absentéisme, la fainéantise s’est installée. Pis, l’usager doit payer pour obtenir le service demandé. Et pourtant, c’est à sa sueur que le même fonctionnaire est payé à la fin de chaque mois pour un travail dont il ne s’acquitte plus. Un comportement qui s’est mué en règle pour enrouer la machine administrative.
De nos jours, la grande majorité de nos services ne tiennent qu’au sens de la responsabilité de deux ou trois personnes, malgré la pléthore. Tous les autres sont présents pour meubler les bureaux, pour le trafic d’influence ou s’enrichir au détriment de leurs services ou du contribuable.
L’Etat incarne la médiocrité
Le dysfonctionnement de l’administration équivaut, pour un pays, à un cancer des poumons chez l’homme. C’est pourquoi le Renouveau de l’action publique (Rap) est le bienvenu pour sauver ce qui peut l’être. Et visiblement, les départements ministériels ont épousé la cadence en se dotant d’une « feuille de route ». Mais, la réalité est que celle-ci n’est une règle de conduite que dans les cabinets. Les services centraux ou rattachés continuent de fonctionner comme si de rien n’était.
Ce qui ne surprend guère parce qu’ils sont nombreux ceux qui ont intérêt à ce que le Rap soit un fiasco général comme les autres tentatives de modernisation de notre administration. Ceux-ci ne fourniront aucun effort pour que cela fonctionne.
A ce rythme, le Renouveau de l’action publique risque d’être un leurre, une réforme de plus comme la Nem (Nouvelle école malienne) et la Nef (Nouvelle école fondamentale) au niveau de l’Education nationale.
Et pourtant, tout le monde est conscient du bien-fondé des réformes actuelles engagées par l’Etat. Mais, on fera tout pour enrayer davantage la machine parce qu’il s’agit de privilégier des intérêts égoïstes au détriment de l’Etat.
Mais, il faut aussi reconnaître que l’Etat est le premier responsable de cette situation. La culture de la sanction n’est plus d’actualité dans ce pays depuis belle lurette. Il ne s’agit pas forcément d’humilier par emprisonnement.
Mais, d’écarter des postes de responsabilité ceux qui brillent par le peu d’intérêt qu’ils accordent au service public. Hélas ! L’Etat cultive à merveille l’impunité. Ceux qui vont au « garage » n’ont pas un « bras long » ou un puissant parti politique derrière eux. Sinon la sanction consiste à enlever le coupable de son poste pour le mette à un autre niveau plus « juteux ».
Cela donne l’impression que l’Etat incarne la médiocrité au lieu de cultiver l’excellence. Et cela est visible à tous les niveaux. Les responsabilités sont de plus banalisées et rabaissées à la portée de n’importe quel parvenu ou opportuniste. L’intérêt politique l’emporte sur les enquêtes de moralité.
Sans compter que ceux qui travaillent honnêtement et efficacement font face, tous les jours, à des situations révoltantes. D’abord, ils sont des moutons noirs condamnés par leurs proches et par leurs collègues. « Tu n’es pas le seul Malien. Tu ne peux pas à toi seul développer ce pays. Il ne faut pas donc bêler parmi les hyènes. Fait comme les autres… », dit-on à longueur de journée à ces « empêcheurs de tourner en rond », à ces « idéalistes ». Il faut alors être « maudit » pour ne pas profiter de la poule aux œufs d’or ou de la vache laitière comme les autres.
Cultiver l’excellence
On demande plus de responsabilité aux cadres maliens. Et pourtant, ceux-ci sont parmi les plus maltraités de l’Afrique de l’Ouest, voire du continent. Et le plus souvent, ils travaillent dans des conditions exécrables. Le gaspillage dont il est souvent question est plutôt l’apanage de quelques responsables (le plus souvent des parvenus par complaisance) plus enclins à s’accaparer de tous les privilèges au détriment de ceux qui accomplissent correctement et efficacement leurs tâches.
Il est illusoire de faire aboutir des réformes en cultivant le népotisme et la médiocrité comme modèle de promotion socioprofessionnelle. Aujourd’hui, l’appartenance politique sert de tremplin aux cadres les plus véreux et les plus incompétents. Loin de nous l’idée de dire que nos chapelles politiques sont des refuges pour médiocres. Mais les cadres compétents ont du mal à émerger dans nos partis parce que notre conception de la politique la lie à l’opportunisme.
Il est loisible de constater que ceux qui doivent leur promotion à seulement leur militantisme ou à la protection d’un baron politique sont ceux qui abusent le plus des moyens de l’Etat et qui remplissent le moins leurs missions. Ils sont conscients d’être constamment sur un strapontin et ne se font pas le plus souvent prier pour s’assurer des lendemains sans souci.
Pour donner une chance de réussite aux nombreuses réformes engagées, il faut sortir de cette culture de la médiocrité. Il faut donner une égalité de chance à tous les fils et filles de ce pays. Pas seulement dans la théorie et les discours. Il faut protéger ceux qui ont le savoir-faire des incompétents et des opportunistes qui font tout pour les écraser afin de mieux protéger leurs intérêts personnels.
Il est temps de cultiver, dans ce pays où les compétences ne manquent pas, le culte de l’excellence ! C’est la condition sine qua non pour « l’émergence d’une administration soucieuse de son propre rendement et attentive aux préoccupations du citoyen ».
Alphaly
26 Septembre 2008