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Ce rôle est cependant contrarié par des contraintes
d’ordre économique et social et par un environnement
fiscal peu favorable à la viabilité des média. Les
lois du marché, l’étroitesse de l’offre publicitaire
ajoutées à la pauvreté, à l’analphabétisme et à
l’illettrisme qui réduisent le lectorat font que les
entreprises médiatiques sont, dans la plupart des cas,
des entreprises plutôt informelles et par conséquent
déficitaires.

La gestion courante de l’entreprise médiatique est un
exercice difficile. Les patrons de presse font face
aux exigeantes dépenses de fonctionnement et à
l’équation de l’équilibre entre les dépenses et les
recettes. Le quotidien d’un organe de presse est fait
d’un écartèlement entre les exigences du marché et la
mission d’information, d’éducation et de
divertissement du public.

Les média assurent des
fonctions socio-politiques qui, très souvent, sont
contrebalancées par la logique de gestion
d’entreprises à caractère économique. Cette tension
entre deux logiques différentes voire opposées induit
le fait que nombre d’organes de presse mènent une
existence végétative ou disparaissent après quelques
années voire quelques mois d’activité. Le poids des
contraintes, financières notamment, fragilise
grandement le secteur médiatique.

Dans le contexte des nouvelles démocraties, l’Etat
accorde des aides annuelles aux organes de presse
privés en puisant sur ses finances propres ou sur
celles des services ou entreprises publiques
étatiques. L’octroi de cette aide vise à consolider un
pluralisme médiatique et à pérenniser l’exercice du
droit de/à l’information. Cette intervention peut se
présenter sous forme de tarifications et exonérations
préférentielles (aides indirectes), ou sous forme de
prêts, subventions ou dotation en capital (aides
directes qui sont soit ponctuelles soit annuelles).

En Afrique de l’Ouest, la mise en place de systèmes
d’aide publique régulière, parfois transparente et
négociée est récente. Elle résulte de diverses
initiatives des professionnels de l’information et de
la communication et de la volonté de l’Etat de
soutenir le secteur médiatique. Elle est consacrée,
dans la plupart des pays, par l’aménagement d’un cadre
législatif de portée beaucoup plus globale parce que
régissant le secteur médiatique dans son ensemble.

Les fonds d’aides publiques annuelles aux média
privés ont été créés dans les différents pays entre
1992 et 1997. A ce titre, on peut dire qu’ils sont
dans une phase expérimentale. Les circonstances qui
ont présidé à leur mise en place sont diverses. Elles
procèdent certes des revendications syndicales des
organisations professionnelles des médias, mais les
modalités de leurs expressions diffèrent selon les
pays.

Si, au Mali, l’idée de l’aide publique aux média a
émergé lors de la Conférence nationale de juillet
1991, c’est lors des Journées nationales de
l’information de décembre 1991 qu’elle a connu une
forte impulsion, au point que la plus haute autorité
s’y intéresse et reçoive des profesionnels pour en
discuter. Le plaidoyer auprès des pouvoirs publics a
également prévalu au Burkina Faso où, en 1996, le
ministre de tutelle nouvellement installé annonce la
possibilité d’une mise en place prochaine d’un fonds
d’aide aux média privés.

Cette éventualité fut le
prétexte pour la Société des éditeurs de la presse
privée (Sep) de se mobiliser. Elle rencontre dans la
même année le Premier ministre auprès de qui les
doléances des professionnels trouvent une oreille
attentive. Le président de la République annonce
ainsi, en 1997, la décision de mise à la disposition
des média d’un fonds public, lors de la traditionnelle
cérémonie de présentation des voeux.

Au Sénégal, en revanche, les initiatives des
professionnels, dans le processus de la création d’un
fonds d’aide se distinguent des cas malien et
burkinabé. Dans ce pays, le déclic vient de la
conférence de presse des directeurs de publication des
principaux journaux privés (Sud, Wal Fadjri, Le Témoin
et le Cafard Libéré) du 13 juillet 1990, au cours de
laquelle, ils attirent l’attention des pouvoirs
publics sur la précarité de leur situation économique
et les risques que leur éventuelle disparition fait
peser sur la démocratie sénégalaise. Ces patrons de
presse réclament l’accès au marché de la publicité et
surtout l’instauration d’un fonds d’aide aux média
dont le principe figurait déjà dans une loi votée par
l’Assemblée Nationale.

C’est dans ces circonstances que le fonds d’aide est
créé, mais le montant est jugé modique par les
bénéficiaires. A l’instar des autres pays de la Zone
Franc, la dévaluation du franc Cfa, en janvier 1994,
frappe la presse sénégalaise, avec le renchérissement
des coûts.
Les éditeurs lancent alors un mémorandum au
gouvernement, demandant entre autre la mise en place
d’un fonds d’aide d’urgence. La même année, l’aide à
la presse est inscrite dans la Loi de finance.

Au Bénin, l’action décisive survient en mai 1995. La
Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication
prend l’initiative de faire une recommandation au
ministre de tutelle pour l’inscription dans le budget
de l’Etat du “remboursement de la moitié des dépenses
en papier journal aux éditeurs de journaux privés à
concurrence de 96 millions de francs pour toute
l’année 1995…” Le remboursement de ces dépenses
serait considéré comme une aide ponctuelle et une
solution transitoire “en attendant une étude
approfondie de l’aide à la presse écrite et à la
presse audiovisuelle nationale”. En 1997, le
gouvernement organise un séminaire sur l’aide publique
aux média et inscrit la même année cette aide dans le
budget de l’Etat.

Au Niger et en Guinée, les circonstances qui ont
conduit à la décision prise par le gouvernement ne
sont pas clairement définies même si dans le premier
pays les Etats généraux de la communication d’octobre
1992 avaient déjà balisé la voie. Toujours est-il que
la mise en place des systèmes d’aides publiques aux
média découle, dans ces différents pays, des
initiatives prises par des journalistes, leurs
organisations professionnelles et les organes de
régulation, mais aussi de la volonté politique des
pouvoirs publics de les établir. Celle-ci s’est
traduite dans les actes par l’aménagement d’un cadre
juridique soumis aux assemblées législatives et/ou par
l’inscription de cette aide dans le budget de l’Etat.
Un statut juridique et des montants variables d’un
pays à l’autre

Si au Burkina Faso, au Bénin et en Guinée, la
décision d’attribuer une aide publique aux média s’est
traduite par la simple inscription dans le budget
annuel de l’Etat d’une ligne portant “Aide à la
presse”, pour le Mali, le Niger et le Sénégal, le
principe est clairement affirmé dans les lois
régissant le secteur médiatique. On note une grande
similitude dans le contenu de ces lois entre le
Sénégal et le Niger. On y retrouve l’annonce politique
de l’engagement de l’Etat à fournir cette aide, la
définition des conditions d’éligibilité, l’énonciation
des critères de répartition et la nature de la
structure chargée de la gestion de l’aide. Par contre,
dans le texte de loi du Mali, il est uniquement fait
mention, en un article, de l’engagement de l’Etat
et/ou des collectivités territoriales à appuyer les
média et du principe de la détermination des
conditions d’éligibilité, d’attribution et de gestion
de cette aide qui seront précisées par décret.

Dans les Lois de finance annuelles, une ligne
budgétaire est affectée à l’aide à la presse. Les
montants de cette ligne budgétaire varient d’un pays à
l’autre. Ils ont été augmentés au fil des ans et des
circonstances, pour pallier à la modalité des
enveloppes allouées aux départ : 300 millions de
francs au Bénin, 100 millions au Mali, 40 millions au
Sénégal, 300 millions de Francs guinéens (environ 130
millions de Francs Cfa) en Guinée, 100 millions au
Burkina Faso et… 30 millions au Niger. Il reste
qu’au Niger, les professionnels de la presse attendent
toujours l’aide promise. Et dans la quasi totalité des
pays où elle est débloquée annuellement, un délai
notable s’écoule entre la décision officielle et sa
mise en exécution. Au Mali, le principe a été arrêté
en 1992 et la première aide a été reçue par les
bénéficiaires en 1996. Au Bénin, deux années se sont
écoulées entre l’initiative de la Haac en 1995 et la
mise en place effective de l’aide. Le Sénégal ne fait
pas exception à la règle. L’institution d’un fonds
d’aide à la presse y a été décidée, selon certaines
sources, au milieu des années 1980, mais le principe
n’a connu un début d’application qu’au début des
années 1990.

Le degré d’organisation des professionnels, de même
que le contexte politique national expliquent que le
principe de l’aide n’ait pas été appliqué ou ait
enregistré de tels retards. Au Bénin, l’élection
présidentielle de 1996 a retardé l’échéance. Au sortir
des joutes électorales, la décision a été appliquée.
En Guinée, la Loi de finance de 2001 fait mention de
l’aide publique aux média. Mais l’Assemblée nationale
épuisera sa mandature en septembre 2000 sans voter le
texte. Au Niger, la crise de légitimité vécue par le
Conseil supérieur de la communication, face à
l’Observatoire national de la communication mise en
place par la junte militaire de l’époque et non
reconnu par les professionnels, fut à l’origine du
blocage. Au Mali où la période d’attente a été la plus
longue, il a fallu confier la gestion de l’aide à un
organisme autre qu’étatique. La solution est trouvée,
sur avis des professionnels des média, en la Maison de
la presse. Encore fut-on obligé de lui assigner un
statut de structure d’utilité publique, à ce titre
capable de gérer le fonds public d’aide aux média.
Des organes de gestion et de conseil contestés

Le choix des structures de gestion de l’aide reflète
également la diversité des situations nationales.
Leurs modes de fonctionnement sont tout aussi divers.

Au Sénégal, c’est le ministère de tutelle qui gère et
répartit l’aide. Chaque année, le ministre signe une
décision accordant des subventions aux organes de
presse publics comme privés. La décision comporte la
liste des organes bénéficiaires et le montant de la
subvention. Cette décision se fonde sur les
délibérations et discussions d’un Comité consultatif
composé de représentants du Premier ministre, du
ministre des Finances, des organes de presse privés et
du Syndicat des professionnels de l’information et de
la communication. Ainsi, les professionnels sont
associés à la gestion de l’aide, mais leurs avis,
purement consultatif, n’a aucune force contraignante.
La décision revient, en dernier ressort, au ministère
de tutelle qui signe l’acte de répartition de l’aide.

Au Burkina, le ministère de l’Information et celui de
l’Economie et des Finances jouent un rôle de premier
plan dans la gestion de l’aide. Mais, contrairement au
Sénégal, les ministres de ces deux départements
délèguent, par arrêté, la répartition de l’aide à une
Commission paritaire formée des représentants des
associations des professionnels et des deux ministères
précités. La Commission, renouvelée tous les ans, est
toujours présidée par les associations des
professionnels et le secrétaire général en est un
représentant de l’administration. La commission est
donc, de fait, l’organe de gestion de l’aide étant
entendu qu’elle définit les critères et les montants à
allouer, vérifie la conformité des demandes avec les
critères et veille à l’utilisation des sommes
réparties.

Au Bénin, la gestion de l’aide est confiée à l’organe
de régulation qu’est la Haute autorité de
l’audiovisuel et de la communication (Haac) pour le
Bénin.

Au Niger, le Conseil supérieur de la communication
(Csc), <> fait des propositions en ce qui
concerne les modalités et les conditions de
répartition de l’aide. A partir de cette proposition
du Csc, le ministre de tutelle signe un décret
précisant la répartition de l’aide aux différents
bénéficiaires. Cette démarche n’a cependant pas encore
été mise en pratique : les média privés n’ont toujours
pas obtenu l’aide, même si elle est inscrite dans la
loi de finance.

Le pouvoir militaire issu du dernier
putsch avait pris l’ordonnance du 4 juin 1999 portant
composition, organisation, attributions et
fonctionnement de l’Observatoire national de la
communication (Onc). Cette nouvelle structure
remplaçant le Csc comme <>. Son article 14, stipule que
<>. L’article
ajoute qu’un décret déterminera les modalités
d’alimentation et de répartition, ainsi que toutes les
mesures de soutien indirectes à la presse.

Au Bénin, la Haac, <>, est chargée
de la gestion de l’aide aux média. L’organe de
régulation est appuyé dans son travail par une
Commission technique au sein de laquelle siègent les
représentants de différents départements ministériels
et des différentes organisations des professionnels.
Cette Commission fait des propositions à l’instance de
régulation à qui revient la décision de la
répartition.

Le Mali constitue, à l’heure actuelle, le seul pays
où la gestion et la répartition de l’aide est
entièrement confiée aux professionnels de
l’information et de la communication à travers le rôle
central qu’y joue la Maison de la presse. Ce mode de
gestion est également particulier. Le président de la
Maison de la presse adresse une demande à la Direction
administrative et financière de la présidence de la
République où est logé le fonds (autre particularité).
Ensuite, il convoque les associations des
professionnels pour une réunion de répartition dont
les quotas, par association, ont été fixés de façon
consensuelle depuis 1996 lors de la première Assemblée
générale de la Maison de la presse. A l’opposé du
Mali, la répartition selon le type de média (presse
écrite et presse audiovisuelle) prévaut au Burkina
Faso, en fonction de leurs charges respectives.

Au Sénégal, au Niger ou au Bénin, les ministères et
les organes de régulation ont tenu à impliquer les
professionnels de l’information et de la communication
dans la gestion et la répartition de l’aide. Mais les
degrés d’implication de ceux-ci diffèrent d’un pays à
un autre. En impliquant des bénéficiaires, les organes
de gestion entendent assurer la transparence. La
formule est aussi pour prévenir la contestation des
modes de répartition. Mais en dépit de cette formule,
les structures de gestion sont, dans tous les pays,
contestées et leur légitime ébranlée.

Au Sénégal, le Haut Conseil de l’Audiovisuel (Hca)
souhaitait que la gestion du fonds d’aide aux média
soit, comme au Bénin, assurée par l’organe de
régulation. Mais au Bénin, la Haac a essuyé des
revendications du ministère de la Communication qui
estime que cette gestion doit lui revenir.
Au Mali, le Conseil supérieur de la communication
soutient qu’à l’instar du Haac, la gestion de cette
aide doit lui revenir en lieu et place de la Maison de
la Presse qui devrait se contenter d’en être
bénéficiaire. Seul le Burkina Faso, avec sa Commission
paritaire, semble avoir trouvé une formule qui échappe
un tant soit peu à la contestation.

(A suivre).

Mahamadou Abdoul chargé de la coordination de l’étude
IPAO sur l’aide à la presse