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Tout l’enjeu, pour le continent est de réussir sa révolution agricole en prenant le contre-exemple de ce qu’ont fait les pays développés.La sécurité et la souveraineté agricoles sont-elle une utopie en Afrique ? À voir l’image du continent véhiculée par les médias occidentaux, l’on répondrait par l’affirmative. Ces grands médias dépeignent, en effet, un monde où demain tous les Africains mourront de faim, de Sida, de guerre, etc.

Le Forum de Bamako dont une des fonctions est justement de dépasser clichés et préjugés, a ouvert le débat sur le sujet lors de la deuxième journée de ses travaux à l’hôtel Salam.

Baba Dioum, le coordonnateur général de la Conférence des ministres de l’agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre et André Bationo de l’Alliance de la révolution verte en Afrique (Agra) ont, tour à tour, expliqué que la souveraineté alimentaire, loin d’être une utopie, représente une rupture par rapport à l’organisation actuelle des marchés agricoles mise en œuvre par l’Organisation mondiale du commerce.

Alors que la sécurité alimentaire s’intéresse à la couverture quantitative des besoins des populations, la souveraineté alimentaire accorde une grande importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments.

Au plan local, la souveraineté alimentaire favorise le maintien d’une agriculture locale destinée en priorité à alimenter les marchés régionaux et nationaux. Les cultures vivrières et l’agriculture familiale sont favorisées.

La place et le rôle des femmes sont mis en avant. La souveraineté alimentaire privilégie des techniques agricoles qui favorisent l’autonomie des paysans. De 1960 à 2008, a précisé le premier exposant, la productivité de l’agriculture africaine était la plus faible du monde.

C’est connu, le développement de la transformation des produits agricoles dans les pays producteurs est une nécessité pour atteindre la souveraineté alimentaire.

Elle permet de conserver les denrées et de fournir le marché tout au long de l’année. Les productions au Sahel sont essentiellement saisonnières ce qui crée des pénuries et favorise les importations et une certaine perte de souveraineté alimentaire.

Du fait de ces déséquilibres structurels majeurs plus de 1,02 milliard d’Africains souffrent de nos jours de faim et de malnutrition, a expliqué Dioum. Ailleurs la transformation engendre des revenus pour les transformateurs et développe les débouchés des producteurs. Enfin, les produits transformés participent à l’approvisionnement des villes et répondent à la demande croissante des consommateurs urbains qui cherchent des produits nationaux de qualité.

La relance.

Tout l’enjeu, pour l’Afrique, a indiqué André Bationo est de réussir sa révolution agricole tout en prenant le contre-exemple de ce qu’ont fait les pays développés, gaspillant énergies fossiles et polluant la planète. C’est donc une difficulté supplémentaire mais incontournable, que de parvenir à survivre tout en préservant l’environnement.

Pour cela, une meilleure maîtrise de l’eau est nécessaire, accompagnée d’une révolution énergétique. La relance agricole, en Afrique, devra s’adapter aux enjeux mondiaux, en développant une agriculture de conservation des ressources. Pour les spécialistes, il s’agit d’un pari réaliste.

Il suffit de bien investir et d’investir là où il faut. Tout ce processus a ajouté Bationo devra s’accompagner d’une meilleure utilisation des fertilisants. Il est, en effet, inadmissible de constater que l’agriculteur africain utilise environ 8 kilogrammes d’engrais à l’hectare là où le fermier des pays développés en utiliserait 100 sur une superficie similaire.

L’urgence commande aussi de promouvoir le secteur agricole dans les stratégies nationales de réduction de la pauvreté, et des interventions concertées et complémentaires dans le soutien à l’agriculture africaine. En effet, sans une révolution verte efficace, l’Afrique ne se sortira pas du déficit alimentaire qui affecte le milliard de personnes qui souffrent de disette et de malnutrition, a assuré André Bationo.

C’est sur le secteur primaire que reposent toutes les chances de la population. Il faut agir tout d’abord de manière conjoncturelle, en faisant face, dans l’immédiat, à la crise qui sévit, a expliqué Mariam Mahamat Nour, la représentante résidente de la FAO qui présidait les débats. Cela nécessite d’assurer la disponibilité, l’accessibilité, la sécurité sanitaires des aliments et la stabilité de la production. Il s’agira aussi d’encadrer les semences pour garantir les récoltes prochaines.

Il faut également une action d’ordre structurel, sur le plus long terme. C’est-à-dire un investissement substantiel dans les infrastructures, les routes, les lieux de stockage, les politiques commerciales de manière à garantir une hausse de la productivité agricole.

Une démarche d’autant plus salutaire que la FAO a estimé à 30 milliards de dollars soit environ 15 000 milliards de Fcfa par an les besoins d’investissement dans l’agriculture, dans le monde. À Rome, au dernier sommet de la FAO, il y a eu des promesses d’investissement pour un montant de 11 milliards de dollars ou 5500 milliards de Fcfa.

C’était une première mais, au regard des besoins, cela reste insuffisant, et même dérisoire quand on réalise que les dépenses en armement, sur la même durée, atteignent 1 200 milliards de dollars (600 000 milliards de Fcfa). On ne se trouve pas sur la même échelle, déplorent les spécialistes de la FAO. Le premier frein à la mise en branle d’une relance efficace de l’agriculture en Afrique est donc d’ordre financier.

Mais elle doit également relever d’une volonté politique claire et concertée, comme l’a expliqué Djibril Aw, un consultant international basé à Washington, dans son exposé sur l’Office du Niger (ON). L’ON est un exemple éloquent de recherche de sécurité alimentaire. Sa contribution à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté pour l’ensemble du pays durant le dernier quart de siècle est énorme.

UNE BONNE INTENSITÉ CULTURALE.

De 1983 à 2009 le rendement du riz d’hivernage en casiers a presque quadruplé, ce qui, joint à l’augmentation des superficies et à l’introduction de la double culture, a permis de plus que décupler la production de paddy de l’Office. Le taux de l’intensité culturale (nombre de successions de cultures par an sur une même parcelle) a augmenté de 70 %. La croissance démographique annuelle moyenne de la population d’exploitants a été de 2,5 fois supérieure à celui du reste du pays. Malgré l’immigration importante dans la zone, l’excédent commercial dépasse 75 % de la production totale de paddy. Un secteur privé dynamique et diversifié s’y est développé. Le plus grand mérite revient aux paysans qui ont vite adopté et adapté toutes les innovations qui permettent d’augmenter leurs revenus. Ils ont aussi réussi à bâtir un referendum technico-économique très compétitif, a jugé l’ancien fonctionnaire de l’Office du Niger. Les débats ont clairement démontré que sans sécurité alimentaire, il ne saurait exister de stabilité des Etats. Le Forum de Bamako va s’efforcer d’ouvrir des pistes de réflexion propres à conduire à une solution pérenne à la crise structurelle alimentaire sur le continent noir.