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« Notre administration est gangrénée par la préférence politique, l’esprit partisan, le clientélisme, le laxisme, les faibles taux de rentabilité et d’efficacité internes. Le détournement des deniers publics, les gaspillages, la gabegie ne sont pas systématiquement combattus. Et les rares éclaircies ne modifient pas le tableau d’ensemble » : la colère de Jondot sur la gestion de l’école est manifeste.

Quand on parle de l’éducation au Mali, aujourd’hui, on insiste sur les mauvaises conditions de travail des élèves et des maîtres, sur la médiocrité des équipements et la faiblesse des financements, on déplore les résultats catastrophiques et on en conclut que, pour redresser la situation, il faut accroître les ressources budgétaires, construire des écoles et les équiper, former les maîtres et améliorer l’enseignement dans les classes.

Stopper la dégradation

Conjointement une attention de plus en plus grande est portée à la restructuration et au renforcement administratif pour améliorer la gestion, l’animation et le contrôle des systèmes éducatifs ici ou là (augmentation de taux de scolarisation, équipements plus décents, encadrement pédagogique mieux organisé), il est difficile d’en déduire que le pire est évité, car la prise en main effective du pilotage de l’éducation n’est quasiment pas assurée : l’administration reste, presque partout, déficiente.

Il est donc utile de dire pourquoi l’administration de l’éducation au Mali doit être remise en question et quels changements il faudrait opérer pour amorcer une véritable relance. L’enjeu est capital, parce que la crise de l’éducation est profonde et que ce ne sont pas les appuis externes, bien qu’absolument indispensable, qui redresseront la situation, le sauvetage doit être national, pour une prise en charge durable et afin de garantir un fonctionnement normal à moyen et à long terme.

Cette évidence, si elle est admise par le gouvernement et les bailleurs de fonds lors des négociations de programmes de coopération, est loin de guider les pratiques, tant du côté des instances politiques nationales que des partenaires extérieurs ; il faudra beaucoup de fermeté pour les uns, de courage pour les autres et de concertation entre eux, si l’on veut effectivement inverser le mouvement de dégradation.

Les ministres changent, les remaniements ministériels sont rapprochés mais c’est à chaque fois beaucoup de cadres qui sont remplacés, jusqu’à des postes subalternes. Cette instabilité administrative a pour grave conséquence que la continuité des affaires est mal assurée et qu’aucune politique éducative digne de ce nom n’est possible. Contrairement à l’administration des pays industrialisés, le service public, techniquement tenu par les divers corps de fonctionnaires, est mal assuré au Mali.

Comment faire alors pour constituer l’administration de l’éducation malienne et garantir le redressement effectif de celle-ci et son développement durable ? Rien de particulier n’est à inventer, car tous les modèles de formation sont connus, des institutions idoines existent, de multiples cycles s’y succèdent et des financements externes importants sont toujours disponibles.

Il suffirait ainsi d’une volonté conjointe affirmée de la part du gouvernement et des bailleurs de fonds pour planifier la restauration de l’administration du système éducatif, avec la rigueur de l’ajustement structurel et sectoriel, en privilégiant effectivement la valorisation des ressources humaines.

Mais cette condition sine qua non dépasse rarement la formulation des vœux pieux. Le résultat en est que la succession de nombreux efforts dispersés déjà consacrés par plusieurs bailleurs de fonds à la formation des cadres de l’éducation n’a nullement empêché la détérioration de l’administration de ce secteur et, par voie de conséquence, celle des système éducatifs dans leur entier.

Au pied du mur

Ce perpétuel recommencement de la formation de nouveaux cadres se représente directement et négativement sur le fonctionnement des services, en général mal organisés, où les agents sont souvent livrés à eux-mêmes et dont le rendement dépend avant tout de leurs qualités individuelles et de leur propre conscience professionnelle.

La technicité s’acquiert par l’expérience, l’efficacité et le sens du service public vont du meilleur au pire, sans qu’un esprit de corps ou un élan de mobilisation ne donne à cette administration le sentiment qu’elle participe à l’œuvre vitale pour la nation qu’est l’éducation de sa jeunesse.

Le cloisonnement des services, la mauvaise circulation des informations, l’insuffisance des délégations de pouvoir, l’application insatisfaisante des sanctions de travail, le plus souvent, lamentables, donnent une idée du contexte ordinaire dans lequel sont censées être gérées les affaires administratives et financières de l’éducation.

Dans un tel marasme, en effet, comment imaginer que les intérêts des élèves soient pris en considération ? Tout se passe comme ces vieux véhicules de brousse qui ne roulent que par miracle et dont les problèmes incessants de moteur, de carburant et de pneus priment sur la cargaison humaine qu’ils transportent. Ainsi va, trop souvent, l’administration de l’éducation malienne en proie à tellement de difficultés qu’on polarise toute l’inquiétude sur son mauvais fonctionnement, jusqu’à en oublier, presque, la mission fondamentale du système. La meilleure illustration en est donnée par la disproportion que l’on observe entre les dépenses consacrées au fonctionnement des services surtout centraux et celles consenties à la vie scolaire proprement dite, placée sous le régime de la pénurie. Plus on s’éloigne de la capitale, plus on quitte la sphère administrative, de moins en moins de moyens matériels et financiers parviennent aux usagers de l’éducation, donc, en bout de chaîne, aux malheureux élèves qui sont réellement, dans l’affaire, la cinquième roue du véhicule.

Examen de conscience

Qu’il y ait beaucoup de crédits ou peu, le résultat final est, paradoxalement, presque le même le plus souvent. Quand il y en a peu, on imagine aisément ce qui se passe et l’excuse de la pénurie dans les écoles est vite trouvée ; en revanche, moins avouable sont les causes de la permanence du dénuement auprès des élèves, lorsque des crédits, par fois importants, sont alloués à l’éducation, notamment dans le cadre de programmes soutenus par les financements externes.

Deux raisons expliquent l’anomalie de cette situation : d’une part, les carences de l’administration qui a beaucoup de mal à gérer les crédits au rythme des activités scolaires, ce qui implique une approche prévisionnelle, des plans d’action et la maîtrise des procédures, on l’a vu, sont difficilement mobilisables ; d’autre part, la corruption qui a gangréné l’ensemble des systèmes d’éducation, ce qui se traduit concrètement soit par le détournement à différents niveaux, soit par la mise en place de procédures de sécurisation telles que, en fin de compte, les crédits affectés restent souvent bloqués à l’exception de ceux que les bailleurs de fonds gèrent directement.

Comme l’éducation est l’objet de beaucoup de sollicitudes de la part de la communauté internationale, ce secteur est diagnostiqué sous tous ses aspects et les préconisations ne manquent pas pour sortir de l’impasse. La recommandation qui vient immédiatement à l’esprit est de rendre plus efficace l’administration et un ensemble de mesures sont proposées pour la faire reprendre progressivement en main parallèlement à la poursuite des actions de formation des cadres dont on sait déjà que les répercussion ne sont pas à la hauteur des efforts déployés depuis longtemps.

L’innovation est de soumettre tout ou partie de l’institution à un audit opérationnel, comme une entreprise, qui aboutira à une restructuration et à un nouvel organigramme.

C’est logique et incontestable, mais l’efficience de cette stratégie est avant tout conditionnée par une volonté interne forte de changer l’organisation et d’adopter de nouvelles méthodes de travail pour devenir performants. Mais où est la concurrence ? C’est dans la tête des fonctionnaires qu’il faudrait faire un audit et cela s’appelle un examen de conscience dont la finalité serait d’instaurer le sens du service public.

Familles inquiètes

La mise en œuvre des processus démocratiques, en faisant naître des contre-pouvoirs politiques, corporatistes et issus de la société civile, doit nous ouvrir les yeux sur le caractère à la fois symbolique et extrêmement sensible de l’espace éducatif dans notre pays qui a cinquante ans d’indépendance.

D’où l’urgence absolue pour notre gouvernement de posséder de bonnes équipes de pilotage des institutions éducatives, aux fins de non seulement assurer la formation de la jeunesse ce qui est leur mission primordiale mais gérer efficacement le corps enseignant, contenir les poussées syndicales, voire les infiltrations déstabilisatrices et apaiser les familles inquiètes quant au devenir de leurs enfants.

Le gouvernement est au pied du mur : comment tenter de redresser d’urgence cette situation alarmante, sans coûts excessifs supplémentaires ? En optimisant les compétences nationales existantes, par leur emploi effectif, en coordonnant rigoureusement des plans de formation en alternance, en valorisant concrètement les personnels de l’administration de l’éducation par l’établissement de statuts particuliers, afin de les motiver et les stabiliser dans leur profession.

Mais, pour changer les pratiques laxistes antérieures, instaurer un authentique service public d’éducation et éviter la dispersion des efforts externes, cette nouvelle stratégie de remobilisation ne pourra être mise en place que dans le contexte de mesures d’ajustement structurel et sectoriel, seules capables de faire opérer de véritables reconversions d’envergure.

Rigueur, pression, contrainte et solidarité devraient être au rendez-vous de cette dernière chance pour parvenir à administrer l’éducation au Mali et cesser de craindre qu’elle ne s’effondre définitivement.

Par Fréderic JONDOT

Ancien Haut Fonctionnaire International

Officier des Ordres Nationaux Benin, du Togo, du Sénégal

11 Mars 2010.