“J’espère qu’elle est bien rodée ?”, s’enquit le Président à l’adresse de son chauffeur. “Pas encore, mon Président. Elle vient tout juste d’être livrée“, lui répond ce dernier. “En effet, rien qu’à voir la peinture rutilante… Bien, tu vas me la mettre au point et l’essayer. Je compte sur toi et te donne tout ton temps“, dit le Président. “Bien, mon Président !”, répond le chauffeur avec déférence.
C’est par cet échange de propos que débute l’invraisemblable histoire d’une voiture atypique, sinon inédite dans son genre. A tel point que l’on se demande si elle n’est pas le fruit d’une erreur de série ratée ou …d’une horreur de conception d’usine.
Le lendemain donc, le chauffeur inspecte la bagnole : il la tâte sous toutes les coutures et en caresse le chrome étincelant, en tournant autour d’elle avec amour et d’un air connaisseur. Il hoche enfin la tête, satisfait, en pensant : “Il n’y a que les huiles (NDLR : les hautes personnalités) pour posséder une bagnole pareille“.
De l’inquiétude à l’intrigue
Avec fierté, il ouvre la portière et, en la refermant avec force, il entend nettement : “Boongooo !!!”. Il fronce aussitôt le sourcils, mais ne s’inquiète pas outre mesure. Il s’installe plutôt confortablement au volant et tourne la clé de contact, pour mettre la voiture en marche. Le moteur fait alors : “Tsiranananana-srananana !!! ”. Amusé, le chauffeur sourit en se disant : “On dirait le nom de l’ancien Président malgache. Ah, ces bagnoles neuves ! Elles ont souvent de ces caprices”.
Il maintient la pression sur le contact et appuie un peu sur la pédale des gaz. Du coup, le moteur gronde : “Kennedy-Kennedy- Kennedy-Kennedy-Kennedy !!!”. Emoussé par la curiosité, il appuie davantage sur l’accélérateur, histoire de voir ce que ça va donner. Cette fois-ci, le moteur se met à hurler : “Abbbraahaaamm !!! -Abbrahaamm !!! Lincolnn-Lincolnn-Lincoln !“. Loin de s’alarmer, le chauffeur s‘écrie plutôt : “Elle marche !!! Ouf !!! J’avais craint un moment le contraire“.
Derechef, il s’enhardit, et… passe aussitôt à la deuxième vitesse.”De Gaulle-De Gaulle-De Gaulle-De Gaulle !!!”, lui répond le moteur. Il appuie sur le klaxon pour vérifier et, perplexe, il perçoit distinctement : “Tito ! Tito ! Tito !!”. “Aïe-ya-yaïe ! Çà c’est quoi encore ?”, demande-t-il. Décidément, cette voiture commence à l’intriguer, mais il n’y attache pas trop d’importance.
Et pour cause ; quand un chauffeur se trouve dans une bagnole toute pimpante, il ne pense qu’à… la chauffer. Alors, notre chauffeur enclenche la troisième vitesse. C’est en ce temps que la tire lui dit : “Kaddafi-Kaddafi-Kaddafi-Kaddafi !!!“.
De l’étonnement à l’affolement
Bien que de plus en plus étonné, notre chauffeur décide néanmoins d’en prendre son parti et même d’oublier ces “performances auditives” de sa tire, pourvu que le moteur continue de tourner. Surtout que certaines voitures neuves font montre de bien des caprices, avant de se laisser roder. Enfin, c’est ce qu’il pense ; mais si seulement s’il savait…
Il continue donc ainsi sa route un bon bout de temps. Mais brusquement, le moteur change de régime, sans crier gare, et sans que son conducteur touche à l’embrayage : “Yaméogo-Yaméogo-Yaméogo-Yam-yogo-Yam-yogo !!! ”. Quelques secondes après, le moteur change de ton, plutôt de nom : “Moboutou-Moboutou-Mobtou-Mobtou-Mobtou !!! “. Finalement, il n’entend plus que “Boutou-Boutou-Boutou-Boutou !!!“.
C‘est à ce moment-là que les yeux de notre chauffeur s’ouvrent, comme on dit : il ne comprend alors plus rien, ou du moins, refuse de comprendre. Mais sa curiosité devient encore plus forte que son étonnement. Il pense alors à une quelconque anomalie ou avarie du moteur ou de sa fabrication. Aussi décide-t-il (encore) de ne pas prêter attention à ces caprices insolites de son joujou. Comme il a tort !…
En effet, quelques kilomètres plus loin, la bagnole entonne une nouvelle chanson, à faire dresser les cheveux, cette fois : “Paulll !!! Po-Po-Paul !!! Biya-Biya-Biya- Biya ! Paul ! Po-Paul !!! ”. Alors, une vague terreur commence à tordre les tripes de notre chauffeur. Il se tortille sur son siège, d’emblée submergé par l’affolement : ça devient vraiment sérieux ! “C’est peut-être les bougies qui pètent ainsi, ou c’est l’essence qui n’est pas de bonne qualité“, se dit-il en tentant de se calmer et se donner une bonne contenance, mais en commençant à suer.
Il se gare alors sur le bas côté de la route, tout en laissant le moteur au ralenti. “Avec cette satanée tire, on ne sait jamais ; d’ici à ce qu’elle cale une bonne fois pour toute”, dit-il in petto. Il ouvre le capot et vérifie les mécanismes : rien à signaler, ce qui est pourtant bizarre. Alors il se prend la tête à deux mains et s’écrie à haute voix : “Mais c’est quoi çà? Cette sale bagnole aurait-elle juré de me rendre dingue ou quoi? ” . C’est alors que la ”sale bagnole“ change de ton, étant toujours… au ralenti : “Pom-Pom- Pom !!! Pompidou-Pompidou-Pompidou ! Pom ! Pom !“.
Notre chauffeur se trouve à présent comme aux abois. Il est déchiré par un dilemme : d’un côté, il ne peut abandonner la mystérieuse tire en pleine campagne ; et de l’autre côté, il est désormais possédé par une peur panique.
De la peur à la panique
Il prend cependant son courage a deux mains et se réinstalle au volant. C’est alors qu’en redémarrant, il entend une autre mélodie, inédite, celle -là : “Amani-Amani- Amani ! Am-Diori-Diori-Diori !!! Amani-Am ! Diori-Diori-Diori !!!”. Mais le chauffeur fait la sourde oreille et appuie sur le champignon, juste pour voir. Mais mal lui en prend, car il entend cette fois-ci : “Kountché-Koun !!! Kountché-Kountché-Kountché-Koun ! Kountché-Kounnn !!!”.
“ Mais qu’est-ce qui cogne comme çà?“, se demande notre chauffeur d’une voix désormais grelottante… de terreur cette fois. Et tout en gesticulant rageusement, sa main s’appuie par mégarde sur l’avertisseur qui lui répond : “Seyni ! Seyni-Sey ! “. Alors le chauffeur se met à bégayer : “Mais… mais, il n’y a pas longtemps, ce même klaxon faisait “Tito ! Tito ! C’est vraiment bizarre. Ce machin serait -il hanté?“. Ce “machin” n’est donc plus la bagnole dont il était si fier.
Il n’était pourtant pas au bout de ses peines, ni de sa panique, car le moteur a déjà entamé une autre rengaine : “Bourguiba-Bourguiba-Bourguiba !”, pour se terminer par des ”Guiba-guiba-guiba-guiba ! “, à n’en plus finir. C’est peut-être ce coquin de vilebrequin qui fait des siennes à son tour, se dit le chauffeur. Mais il n’a encore rien vu, ni entendu d’ailleurs, car il perçoit aussitôt : “Kérékou-Kérékou-Kérékou-Kérék-Kérék-kouk-kou-koukkk!!! “.
“Ça y est ! Cette fois, c’est la fin. L’arbre à came a sans doute du lâcher”, se dit le chauffeur. Il stoppe de nouveau, mais tout en gardant le moteur au ralenti (qui est fou?), s’extirpe en catastrophe de la voiture, rouvre le capot, réinspecte le moteur : rien à signaler ; ce qui rend notre chauffeur encore plus méfiant. Il se glisse alors… sous la voiture et y jette partout des coups d’oeil fureteurs : encore rien !
Alors il se redresse, s’éloigne de la tire, remue la tête de droite à gauche et… se remet quand même au volant, par fatalisme, cette fois. Mais dès qu’il repart, le moteur le prévient : “Sankara-Sankara-Sankara-Sanka-Sankarak-krak-krak-Krakkk !!! “ . Au moment où il allait encore s’arrêter pour l’examiner une énième fois, la tire démoniaque se met à tanguer dangeureusement et, tout à coup, il entend un terrible “A-a-a-a-Abbbdouuu ! Dioufff !!!“, suivi d’une explosion d’enfer qui fait s’envoler tous les oiseaux des cimes des arbres environnants.
Un immense tourbillon de poussière envahit aussitôt l’engin et son conducteur. Ce dernier freine pile, sort en catastrophe et constate le dégât : une roue arrière vient d’éclater.
La diablesse
Le chauffeur ouvre alors le coffre, en extrait un cric, des clés et une pompe (c’est toujours ça de gagné), démonte la roue, la répare et se met à la regonfler en suant à grosses gouttes. “Houphoué ! Houphoué ! Houphoué !”, fait le bruit de l’air pénétrant dans la chambre du pneu. Le chauffeur continue toujours de suer sur sa pompe. Au bout d’un moment, le pneu fait “Boigny-y-y-y !!!“ : il était coincé sous une partie de la jante et, en se gonflant, la partie coincée venait subitement d’être libérée. Enfin, la roue est réparée.
Le chauffeur la remet en place, se prend les reins à deux mains (la fatigue) et dit à regret : “J’aurais du amener cette voiture en rodage chez un professionnel. Mais je pouvais pas prévoir que ça allait se terminer ainsi “. Cette fois vaincue pour de bon, il se réinstalle sur le siège de la voiture qu’il ne veut désormais plus voir, encore moins sentir.
Mais il se ravise aussitôt, ressort précipitamment de la tire, comme si elle avait la peste, et se met… à pester en assénant de violents coups de pied vengeurs sur les pneus et en sanglotant presque : “Tiens ! Tiens et tiens ça, salope ! Je ferai d’ailleurs bien de t’abandonner ici et d’aller rendre compte au Président. Car j’en ai eu tout mon compte, et j’en ai ma claque ! T’es pas une voiture, toi. tu est une diablesse !!! “ .
Et tout en continuant de grommeler entre ses dents, il abandonne effectivement la “diablesse“ à son sort, ou du moins, à sa propre “sorcellerie“ et rebrousse chemin à pied, en gesticulant et maudissant… toutes les voitures du monde.
Le VIATOR
05 Novembre 2008