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Les Echos : Pouvez-vous nous présenter brièvement l’Amaldeme ?

Bagayoko Kadiatou Sanogho : L’Amaldeme est une association humanitaire à but non lucratif, qui a été créée en 1984 par moi-même. Elle est reconnue par le gouvernement comme association d’utilité publique. L’Amaldème a pour but la promotion et la défense des intérêts des personnes déficientes intellectuelles et leurs familles. Ses objectifs sont, entre autres, la prévention de la déficience intellectuelle, l’éducation des déficients intellectuels, leur insertion socioprofessionnelle.
L’Association dispose d’un foyer de vie autonome à Baguinéda, ouvert en octobre 2000 pour l’accueil des jeunes adultes déficients intellectuels ; un centre féminin de formation à Djélibougou, ouvert en octobre 2000, qui accueille 20 jeunes filles âgées dans divers corps de métiers et un centre médico-psycho-éducatif (CMPE) à Lafiabougou Taliko. Ce dernier est le premier centre de l’Amaldeme créé en 1989. C’est le centre de référence, la vitrine de l’Association où nous menons des activités de rééducation avec beaucoup de spécialistes (un pédiatre, un médecin généraliste, un neurologue). Nous avons des antennes et une unité de rééducation dans tous les chefs-lieux de région.

L’Amaldeme dispose également d’une école de base avec trois directions :
la maternelle intégrée, l’éducation spéciale qui s’occupe uniquement des enfants déficients mentaux. Ces jeunes sont ensuite envoyés dans les ateliers de menuiserie et des centres en internat pour une formation professionnelle. Mais avant 15 ans, ils vont à Moribabougou pour les socialiser et à 18 ans, on les envoie à Baguinéda où on leur apprend l’agriculture, l’aviculture, l’élevage et surtout le maraîchage.

Au niveau du CMPE, nous menons des activités sportives et culturelles. En 1995, nous avons remporté la première médaille olympique au Mali. Bientôt, nous irons au Burkina pour participer aux Jeux de l’avenir des personnes handicapées.

Les Echos : Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer votre vie aux déficients ?

B. K. S. : C’est parce que moi-même, je suis mère de deux filles déficientes intellectuelles. C’est pour cela que je me suis lancée dans ce combat. Vous savez, si l’on ressent un désarroi lorsqu’il nous est donné d’avoir à affronter l’être « souffrant mental », il est encore plus douloureux d’en être la mère. Il ne peut exister de pire drame que celui du constat du handicap mental au niveau de sa propre progéniture, son enfant, son espoir de demain. Mes deux filles sont toutes handicapées mentales : l’une née en 1962 « débile moyenne » à la suite d’une réanimation à la naissance, l’autre devenue « débile profonde » à la suite d’une encéphalite aiguë au Mali, alors qu’elle n’avait que 2 ans et demi d’âge. Ce qui va suivre est en fait, l’histoire de ma vie depuis 16 ans, mais j’avoue que c’est seulement depuis 3 ans que j’ai accepté mon « problème ».

Les Echos : Quelle est la perception du Malien sur les personnes handicapées ?

B. K. S. : Il faut aujourd’hui un plaidoyer en direction de la population malienne par rapport à la perception de ces enfants handicapés. Le langage malien est très dur. Le Malien n’est pas tolérant. Il faut que les gens comprennent qu’on n’achète pas le handicap mental adulte comme enfant. Il faut que la loi de protection sociale, initiée en 1982 et qui dort dans les tiroirs, soit adoptée pour que la prise en charge de l’enfant handicapé ne pose plus problème. Il y a beaucoup de préjugés sociaux liés au handicap mental parce que cet enfant est le « sacrifié » de la famille, la « zakat » et l’on ne fournit aucun effort pour le sortir de là. Et quand on nous voit partir dans les familles, on se demande si nous sommes bien normaux pour aller nous s’occuper de quelqu’un qui n’en vaut pas la peine. Quand on s’occupe de l’enfant handicapé, on voit bien des progrès.

Les Echos : L’Amaldeme compte-t-elle combien de personnes déficientes ?

B. K. S. : Ils sont nombreux pour la simple raison que l’Amaldeme est la seule association sur tout le territoire malien qui s’occupe des enfants déficients intellectuels. Nous recevons ici tous les lundis entre 10 et 15 nouveaux enfants. Et ceci, depuis janvier 2000. Avant, c’était 5 nouveaux enfants par semaine. Il n’y a pas de nombre fixe, mais dans le mois, ce ne sont pas moins de 600 enfants qui passent chez nous. On a une école de plus de 400 élèves dont une centaine de déficients intellectuels. Les conditions d’accueil sont simples : 2500 F CFA, dont 1000 F CFA de taux de rééducation dans le mois. Une somme symbolique parce que dès l’arrivée de l’enfant, il est reçu par la psychologue qui dresse son bilan psychologique avant de l’acheminer vers des sections spécialisées comme la kinésithérapie, l’ergothérapie, l’orthophonie, l’éducation spécialisée… Chaque spécialiste évalue l’enfant. L’âge des enfants qui viennent ici varie de 3 à 6 mois.

Les Echos : Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette recrudescence de déficients intellectuels ?


B. K. S. :
C’est la question que l’on se pose nous-mêmes à l’Amaldeme.
Pour y trouver une réponse, nous sommes en train de mener une étude rétrospective avec l’aide de la cellule santé de la Coopération française.
Il faut nécessairement qu’on sache la raison. Est-ce parce que l’Amaldeme est très connue aujourd’hui, est-ce que l’hôpital Gabriel Touré a un service de réanimation pédiatrique qui réanime des enfants avec des séquelles énormes au niveau du cerveau ou est-ce le fait de la décentralisation de la médecine ? Aujourd’hui, il y a des centres de santé, des cabinets médicaux, des cliniques partout, mais à présent, le gouvernement n’a aucun contrôle sur ces structures, qui sont sous-équipées et ont des personnels qui ne sont pas formés à hauteur de souhait.
Mais à notre niveau ici, la première cause de déficience intellectuelle décelée est la souffrance fœtale due au manque de consultations prénatales. La santé a un devoir de prévention par rapport à la déficience intellectuelle parce qu’il faut inciter les femmes à aller se faire consulter, former davantage le personnel de la pré-natalité surtout les sages-femmes pour que les enfants naissent dans de bonnes conditions.

Les Echos : Est-ce l’Amaldeme est parvenue à insérer certains déficients dans la société ?


B. K. S. :
Bien sûr ! Nous avons trois jeunes déficients issus du centre de Baguinéda qui sont employés par Métal Soudan. Nous en avons regroupé cinq en GIE pour créer un atelier de menuiserie à Banankabougou. Cinq jeunes filles sont constituées en GIE de location des tentes, bâches, chaises et des matériels de sonorisation. Nous avons aussi un projet avec deux jeunes qui recevront un magasin de vente d’articles divers. Handicap International vient de financer, pour une jeune fille déficiente mentale, une cabine téléphonique mobile devant l’Amaldeme de Djélibougou. Toutes ces personnes sont accompagnées par des éducateurs.

Les Echos : D’où proviennent les ressources de l’Amaldeme ?

B. K. S. : Nous avons des partenaires dont le premier reste l’Etat. Sur nos 102 agents du Mali, le gouvernement prend en charge le salaire de 80 %. S’il n’y avait pas cette prise en charge, il n’y aurait pas d’Amaldeme.
Nous avons avec l’Etat une petite inscription budgétaire de 4 à 6 millions de F CFA de petits équipements logés au ministère du Développement social.
On aurait souhaité avoir ce fonds pour acheter nous-mêmes les denrées. Si le kilo de la viande coûte 1000 F, on surfacture à 1600 F et c’est nous qui perdons. Imaginez, dans la cantine de l’Amaldeme, les enfants mangent 100 kilos de riz tous les 5 jours.
Le ministère de l’Education nationale nous appuie beaucoup avec des enseignants, des équipements divers. Le Fonds de solidarité nationale
(FSN) a électrifié en énergie solaire notre internat de Baguinéda et cette année nous avons demandé un réfrigérateur solaire. Comme partenaires étrangers, nous avons l’Ordre de Malte, Raoul Follereau-Enfants, qui s’occupe de nous depuis 1993, Follereau Luxembourg, qui a construit et équipé notre siège, l’Unicef pour la formation des enseignants et des parents d’élèves.

Les Echos : Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées ?

B. K. S. : L’Etat ne donne sa subvention qu’au mois de juin. Depuis 4 ans, l’Etat ne paye plus l’électricité et l’eau dans toutes les institutions d’enfants handicapés, ce qui est un scandale. Imaginez, certains responsables de service partent chez eux le week-end en laissant la clim allumée dans le bureau. Ça me démange les boyaux. Sur 4 millions de subventions cette année, nous avons versé 2 millions d’arriérés de factures d’électricité et d’eau à l’EDM. L’année dernière, nos centres ont été sevrés d’électricité pendant 4 mois. Voilà notre grand problème. Et l’on ne sait à qui s’adresser.

Les Echos : Quels sont vos projets immédiats ?

B. K. S. : C’est d’abord, renforcer la décentralisation de l’Amaldeme pour soulager les parents de déficients intellectuels de l’intérieur du pays.
Il s’agit de mettre en valeur les terrains que les gouverneurs nous ont offerts, former davantage de personnels pour que les parents restent chez eux. Les 3 associations de personnes handicapées Umav, Amaldeme et Amasso sont en train de monter un projet pour les 3 années du Programme sectoriel de l’éducation (PSE, 2006-2008). Ce projet pourrait prendre en compte beaucoup de nos préoccupations.

Les Echos : Des appels à lancer ?

B. K. S. : C’est un appel aux parents. Il ne faut jamais désespérer. Quand on a un déficient mental, il faut l’accepter sinon personne ne viendra s’occuper de lui. Il y a un adage qui dit que si ton enfant devient un serpent, tu l’attaches à ta ceinture, car il a lui aussi une mission sociale, il a droit à la vie, c’est un être humain avant tout qui a un handicap, mais qui a des droits qu’il faut respecter.

Propos recueillis par
Sidiki Y. Dembélé

30 juin 2005