Partager

Le Mali est un pays du Sahel, une région aride qui s’étend sur 3 500 km de la Mauritanie, à l’ouest, au Tchad, à l’est. La sécheresse qui sévit depuis plusieurs années consécutives et l’invasion acridienne dévastatrice de 2004 y ont détruit cultures et végétation.

Dans toute la région, les magasins d’alimentation sont vides, les troupeaux ont été décimés et des millions de personnes ont faim.

Selon les travailleurs humanitaires, la situation serait plus difficile cette année. Pourtant, la triste réalité, c’est que des mères voient chaque année leurs enfants mourir de faim dans des pays comme le Mali.

« Ce n’est pas seulement cette année. Chaque année est difficile« , a expliqué Patricia Hoorelbeke, qui dirige les missions d’Action contre la faim au Mali et au Niger.

« Même en temps normal, il y a de graves problèmes d’insécurité alimentaire et de malnutrition infantile – c’est ça qui est préoccupant« .

Le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon la Banque mondiale, le revenu national par habitant ne dépasse pas les 290 dollars américains par an, un montant plus de 40 pour cent inférieur à la moyenne en Afrique subsaharienne.

Ceux qui vivent dans une telle pauvreté n’ont pas assez d’argent pour s’acheter la nourriture vendue sur les marchés. Et à Gao, une ville sablonneuse de l’est du Mali, on trouve des bébés mal nourris, aux membres squelettiques, à quelques mètres seulement de marchés qui regorgent de poisson, d’oeufs, de viande, de légumes et de sacs de riz, de mil et de sorgho.

Même en temps normal, un enfant malien sur quatre, entre six mois et cinq ans, souffre d’une forme de malnutrition, selon les données de la Banque mondiale.

Paradoxalement, le Mali a récemment été félicité pour ses réformes démocratiques, et pour avoir adhéré aux politiques du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.

En juin, le Mali a obtenu, avec 17 autres pays, l’annulation totale de sa dette par le G8, sommet qui réunit les pays industrialisés et les trésoriers du FMI et de la Banque mondiale.

Bien que l’annulation de leur dette soit bénéfique pour ces pays, selon les travailleurs humanitaires, ce n’est pas suffisant. Des pays comme le Mali ont besoin d’investissements massifs et d’une politique de développement à grande échelle.

« Nous devons soutenir davantage ces pays, aider les gouvernements et investir dans l’éducation, la santé et le VIH/SIDA, pour pouvoir maîtriser ces problèmes et aider les populations à être productives dans les années à venir« , a expliqué Pablo Recalde, responsable du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies au Mali.

Selon les estimations de la Banque mondiale, seuls 55 pour cent des Maliens sont lettrés et l’espérance de vie à la naissance ne dépasse pas 40 ans.

Avec le commerce équitable, plus de crise alimentaire ?
Selon M. Recalde, il faut également revoir les règles du commerce international. Le Mali, comme de nombreux pays pauvres, a vu la valeur de son principal produit d’exportation, le coton, chuter avec les politiques de subventions agricoles en vigueur dans les pays riches.

« Nous devons aussi procéder à un transfert de technologie et de savoir-faire – la question du partage du savoir est particulièrement importante au Mali, qui prend de plus en plus de retard« , a révélé le représentant du PAM.

A la périphérie de Bamako, la capitale, on voit les paysans, hommes, femmes ou enfants, courbés dans les champs, sous un soleil de plomb. Des heures durant, ils labourent péniblement la terre en s’aidant des houes les plus basiques. Les plus chanceux d’entre eux possèdent, au mieux, des charrues, tirées par des boeufs ou des chameaux.

Selon le nouveau rapport de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), une organisation américaine, il faudrait investir, pour l’ensemble du territoire africain, près 310 milliards de dollars américains pour améliorer l’existence de ces populations et éradiquer la faim.

Mais si la tendance actuelle se maintient, selon les estimations de l’IFPRI, quelque 38,3 millions d’enfants souffriront de malnutrition en Afrique en 2025. A l’heure actuelle, ce chiffre est de 32,7 millions.

Les autorités maliennes ont reçu les félicitations du PAM pour avoir brillamment su faire face à la crise : elles ont distribué 30 000 tonnes de nourriture depuis fin 2004.

Elles ont également mené une politique de subvention des ventes des produits alimentaires de base et ont contribué à organiser des programmes  » Vivres contre travail « .

Néanmoins, certains travailleurs humanitaires affirment que le gouvernement a utilisé trop tôt les réserves alimentaires limitées dont il disposait. Les réserves alimentaires d’urgence de l’Etat sont épuisées, a confirmé à IRIN Mme Lansry Nana Yaya Haidara, Commissaire à la sécurité alimentaire.

Le PAM a lancé un appel pour le Mali en novembre 2004, mais, jusqu’ici, moins d’un tiers des 13,6 millions de dollars sollicités a été versé. Selon certains travailleurs humanitaires, la réaction lente de la communauté internationale entrave l’opération d’aide humanitaire.

« Il faut accélérer la levée des fonds. Je pourrais acheter de la nourriture dans le pays et la distribuer immédiatement mais j’ai besoin de ressources pour faire cela », a expliqué M. Recalde. « Entre-temps, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a« .

Irin

Les enfants sont les premières victimes de la crise

Djibril a eu de la chance. Si ce petit bébé famélique n’avait pas été porté par sa mère de leur village, situé dans l’est du Mali, jusqu’à l’hôpital principal de Gao mercredi matin, il n’aurait pas survécu plus de 24 heures, selon les médecins.

La mère de Djibril dorlote son enfant affaibli, assis sur ses genoux, tandis que des infirmières s’activent autour d’eux. Elles préparent des solutions pour sauver la vie de Djibril, déterminent sa taille, son poids, son âge, des données vitales dont l’évolution sera surveillée de près au cours des quatre prochaines semaines. C’est le temps qu’il faudra, selon les médecins, pour que l’enfant retrouve la santé.

Selon les estimations des médecins, Djibril doit avoir environ un an, mais il ne pèse que 4,3 kg. Il lui faudra atteindre 6,2 kg avant de pouvoir quitter l’hôpital.

Moins d’une heure après l’arrivée de Djibril à l’hôpital, le personnel médical le cajolait pour l’inciter à boire, cuillère après cuillère, une solution de réhydratation versée dans un gobelet en plastique.

L’enfant a même accepté de boire du lait protéïné, le premier aliment digne de ce nom qu’il ait ingurgité depuis plusieurs jours.

 » Il s’agit d’un cas classique de malnutrition sévère. Si son état s’était aggravé, il serait mort « , a expliqué Clara Marti Mashooka, pédiatre qui exerce à l’hôpital de Gao pour le compte de l’organisation humanitaire française

Action contre la faim.

Selon les statistiques officielles, 1,1 millions de Maliens seraient confrontés à la pénurie alimentaire cette année, à la suite d’une sécheresse sévère et d’une invasion de criquets pèlerins qui ont détruit les cultures et décimé les troupeaux.

Les enfants sont les plus touchés, notamment ceux qui ont entre six mois et cinq ans, qui ne sont plus nourris au lait maternel. Ceux-ci sont sujets à la malnutrition car leurs maigres repas ne leur apportent plus les protéines et les vitamines dont ils ont besoin, a expliqué le docteur Mashooka.

La faim a vidé Djibril de toute énergie. L’enfant, affaibli, n’a même plus la force de lever ses grands yeux vers sa mère. Son visage ressemble à celui d’un vieillard ridé. Sa peau plissée pendouille sur ses os minuscules. Lorsqu’on pince son nombril, la peau forme une petite boule, et reste ainsi.

« Lorsque la peau ne se remet pas en place, c’est un signe de déshydratation sévère« , a expliqué le docteur Mashooka.
Mais moins d’une heure plus tard, la peau de Djibril a repris un peu de son élasticité.

En revanche, pour que le tissu musculaire de Djibril se régénère, ce qui lui permettra de s’asseoir, il devra passer quelques jours de plus aux soins intensifs, où il est nourri toutes les trois heures.

Après une semaine environ, Djibril devrait pouvoir se lever, en se faisant aider, et retrouver l’énergie nécessaire pour s’intéresser à ce qui l’entoure, et notamment au lait qui lui est présenté : aujourd’hui, il faut ruser et le cajoler pour lui faire boire ce lait.

Bientôt, il tendra le bras de lui-même pour l’attraper.
« C’est très satisfaisant de voir les enfants progresser si rapidement « , a expliqué le docteur Mashooka,  » mais il faut pour cela qu’ils bénéficient de soins intensifs« .

Mardi matin, Sidi Boukoum Adama, la mère de Djibril, a quitté son village de Tondibi, environ 50 km au nord de Gao, pour se rendre à pied à l’hôpital. Elle a marché, sous la chaleur du soleil, jusqu’au fleuve Niger.

Puis, elle a pris la pirogue pour regagner l’autre rive et s’est reposée une nuit en ville, chez un proche, avant de se rendre à l’hôpital.

« Mon mari m’a dit de l’emmener à l’hôpital quand il a commencé à refuser de manger« , a raconté Sidi. Sidi et son mari sont des riziculteurs sédentaires de l’ethnie Songhaï.

Mais l’année dernière, des essaims de criquets se sont abattus sur les récoltes et aujourd’hui, les réserves de riz sont épuisées. Et même si la saison des pluies a commencé, il faut encore patienter avant la nouvelle récolte, et la faim se fait sentir.

Sidi ne connaît pas son âge, mais l’infirmière devine que la jeune fille a une vingtaine d’années. Elle a eu quatre autres enfants, dont l’un est mort l’année dernière. Les causes de sa mort n’ont pas été déterminées. Peut-être s’agissait-il d’un cas de malnutrition.

Sidi ne semble pas avoir fait le lien entre l’état de son fils et son régime alimentaire.
«  Cette maladie est un fléau de Dieu « , dit Sidi, en s’adressant à l’infirmière, qui sert d’interprète.
La plupart des enfants qui arrivent à l’hôpital s’en sortent. Mais parmi les quelque 60 enfants qui ont été traités jusqu’ici, trois sont décédés.
L’un d’eux est mort vendredi dernier. « Elle est arrivée trop tard
« , a expliqué le docteur Mashooka. La petite fille, âgée de deux ans, avait dépéri et ne pesait plus que cinq kilos.

Pourtant, l’enfant ne venait pas d’un village reculé. Elle habitait la ville de Gao, à quelques minutes à pied de l’hôpital et du marché, labyrinthe ombragé où des petits commerçants vendent oranges, patates douces, riz, poisson, viande et bien d’autres marchandises.

Sur les 17 enfants atteints de malnutrition sévère qui se trouvaient dans le service de pédiatrie mercredi après-midi, huit vivent dans la ville de Gao, soit à peu près la moitié d’entre eux.

« Les gens commencent à savoir que le traitement est gratuit, ce qui fait que, maintenant, davantage de mères viennent à l’hôpital« , a précisé le docteur Mashooka. Mais le problème reste entier : une partie des habitants de la ville sont trop pauvres pour se procurer la nourriture qu’ils voient au marché.

Touwa Walett Eglas en fait partie. C’est la première fois qu’elle vient à l’hôpital. Elle est accompagnée du plus jeune de ses enfants, Hamamata, qui souffre de malnutrition sévère. Touwa a eu six enfants mais trois d’entre eux sont morts. Elle ne les avait pas emmenés à l’hôpital.

« Les hôpitaux, c’est toujours tellement cher« , a-t-elle expliqué. Touwa est une Touareg noire, l’une des communautés les plus pauvres et les plus marginalisées du Mali. C

ette communauté est depuis toujours une caste d’esclaves et travaille pour des familles de Touaregs à la peau plus claire qui sillonnent le désert avec leurs bêtes.

Mais Touwa, son mari et les deux enfants qui leur restent ont abandonné leur vie de nomades l’année dernière après avoir perdu une à une la douzaine de chèvres qu’ils possédaient.

Les essaims de criquets qui s’étaient abattus sur l’Afrique de l’Ouest en 2004 avaient détruit toute la végétation, et leurs chèvres n’avaient plus rien à manger.. « Nous n’avions plus rien là-bas, alors nous sommes venus ici pour nous construire une vie meilleure« , a expliqué Touwa, qui a transporté sa tente de toile, jusqu’au quartier de Château, dans le centre de Gao.

« Mais le problème, c’est que mon mari ne connaît que la vie de la brousse. Il ne connaît pas la ville« . Son mari n’arrive pas à trouver un emploi fixe et Touwa ne sait jamais si sa famille aura de quoi manger au prochain repas.

Payer le prix d’une consultation dans ces conditions ? Ce n’est même pas la peine d’y penser.
Néanmoins, après son expérience positive et gratuite à l’hôpital, Touwa a déclaré qu’elle reviendrait si l’un de ses enfants tombait malade. Mais pas avant d’avoir consulté son guérisseur, ou marabout.

« Les médicaments traditionnels sont très efficaces et c’est mieux que l’hôpital« , a-t-elle déclaré.

Irin

19 août 2005