La filière de la gomme arabique, un produit hautement stratgégique dont le Mali, avec 1308 tonnes et une très forte marge de progression, est le troisième producteur après le Soudan et le Tchad, peut se révéler être un fer de lance entre les mains de notre pays dans sa lutte contre la pauvreté, le chômage et le développement durable. A condition que les acteurs de la filière que sont les producteurs, les ONG et les collectivités soient au cœur de la stratégie sectorielle de la gomme arabique au Mali.
Connaissez-vous l’acacia senegalensis ? Sous ce nom savant se cache une légumineuse épineuse qui pousse pratiquement dans toutes les régions du Mali. Appelée Dongoro ou Zadié en Bambara, cette plante est peu connue du grand public. Valorisée, elle peut jouer, à brève échéance, le rôle d’un pôle de croissance en termes d’emplois créés, de valeur ajoutée et de revenus distribués. En effet, selon Moussa Kaba Diakité, consultant pour le compte de l’Association Malienne des Exportateurs de Produits de Cueillette (AMEPROC) avec à sa tête Issa Keita, la valorisation de la filière gomme arabique peut créer 20 000 emplois directs et quelque 60 000 emplois indirects.
Chaque dollar investi dans la gomme arabique peut rapporter 4 dollars, de poursuivre notre consultant, appuyé dans ses propos par des responsables de l’AMEPROC, à l’image de Mamadou Guèye, qui est le plus grand exportateur de gomme arabique au Mali. Il est l’un des rares Maliens à s’investir à fond dans la filière. Il a commencé en 1983 avec 10 tonnes. Il en est aujourd’hui (campagne 2008-2009) à…plus de 800 tonnes. Il exporte sur la France, l’Allemagne, l’Italie, voire sur l’Inde. Très porteur, le marché international de la gomme arabique est en constante évolution, la demande étant supérieure à l’offre.
C’est que la gomme arabique, à l’instar du pétrole, est devenu un produit hautement stratégique. Elle est le stabilisant de base des boissons sodées : Coca Cola, Fanta…Pour la petite histoire, en cas d’embargo sur un pays, les Américains, qui ont un sens pratique très développé, prennent le soin de spécifier : » embargo sur tous les produits sauf…la gomme arabique « . Et le président soudanais, dont le pays est le plus grand producteur mondial de gomme arabique (entre 65 000 tonnes et 45 000 tonnes par an) a beau jeu de déclarer, en brandissant une bouteille de Coca Cola, qu’il peut, s’il le veut, arrêter la production de ce breuvage qui est le symbole même du miracle américain. Il le peut en effet car, sans gomme arabique pas de Coca Cola.
La gomme arabique a très peu de substituts artificiels à cause de ses valeurs multiples et sa caractéristique unique. Elle est utilisée dans la pharmacologie pour les mêmes besoins de stabilisation des sirops. Disposant de 27 fibres alimentaires facilitant la digestion, la gomme arabique est aussi utilisée dans l’industrie alimentaire. Elle est employée dans la fabrication des comprimés (gélules) la cosmétologie, l’industrie de la photographie, la colle pour les filtres des cigarettes….
Avec une production annuelle de 1308 tonnes pouvant être tirée, à terme avec la valorisation, à 13 000 tonnes, le Mali dispose du plus grand potentiel en Afrique de l’ouest en matière de gomme arabique. Avec une superficie de répartition des gommiers totalisant 275 000 km2, soit plus de la moitié de la superficie de la France ou la superficie totale du Burkina Faso.
Le rêve de Issa Keïta et ses camarades de l’AMEPROC est de faire de l’industrialisation de la filière gomme arabique une réalité à travers notamment le triage, le concassage et le raffinage. Malheureusement, le Mali en est encore à l’exportation du produit brut, alors qu’en poudre la gomme arabique se vend à 30 euros le kg contre…1,20 euros/kg la gomme non traitée. Dire que la Mauritanie et le Sénégal disposent d’unités de transformation de la gomme arabique dont la matière première est importée du…Mali. Cela dénote, une fois de plus, du manque de proactivité ou même de réactivité chez nous les Maliens héritiers de grands empires. Si ce n’est tout simplement de la malédiction.
Malgré cette situation le Mali, qui possède les trois meilleures variétés de gomme arabique (le combretum, le dur et le friable) a fait montre d’une progression impressionnante en matière de production. C’est la progression la plus élevée en Afrique (260%) après le Nigeria qui fait dans les 300%. C’est dire que les recettes d’exportation peuvent être augmentées de façon exponentielle. Le Tchad, qui vient après le Soudan, n’a-t-il pas fait passer, en cinq ans, ses exportations de 500 millions de FCFA à…13 milliards de FCFA.
Ce sont, au bas mot, 10% des Maliens qui peuvent bénéficier directement ou indirectement de la manne de la gomme arabique. Un produit qui, à en croire toujours Moussa Kaba Diakité, peut assurer à notre pays, à lui tout seul, au moins 1% de point croissance.
Les bienfaits de la gomme arabique ne se déclinent pas seulement en termes de recettes d’exportation, d’emplois créés ou même de revenus distribués. C’est une plante providentielle qui constitue un rempart naturel contre l’avancée du désert. A cause de sa capacité à absorber les gaz à effet de serre, elle aide à lutter contre le réchauffement climatique et à protéger l’environnement. C’est peut-être pour cela que la Banque Mondiale, selon Mamadou Guèye, a initié au Mali un projet qui offre 3 000 FCFA par pied à toute personne qui plante le gommier. C’est aussi une légumineuse qui, n’ayant pas besoin d’apport en engrais, capte l’azote de l’air et enrichit le sol avec.
Résultat : la gomme arabique plantée parmi les cultures vivrières et autres (mil, sorgho, arachide, niébé, riz…) selon une technique bien précise, permet au moins un doublement de leur rendement. C’est ce que soutient, en tout cas, M. Guèye qui est dans l’exportation de la gomme arabique depuis 23 ans. Qui dit mieux ? C’est pourquoi même dans la région de Sikasso où les conditions climatiques ne permettent pas la récolte des exsudats des gommiers, les paysans utilisent la plante pour enrichir les sols pauvres.
Une étude réalisée par l’US-AID a démontré que la gomme arabique est la filière qui présente l’avantage comparatif le plus élevé pour le Mali. Forte de ce constat, l’Union européenne, dans le cadre de son Programme » Produits de base Tous ACP » a décidé, en 2007, d’apporter une aide au Mali pour la promotion de sa filière gomme arabique à travers cinq organismes que sont la FAO, le Centre de Commerce International (CCI) la Banque Mondiale, le CFC et la CNUCED. L’Etat malien, en réponse, a élaboré une stratégie sectorielle de la gomme arabique et au mois de juillet 2010 un Comité de mise en œuvre de cette stratégie a été créé auprès du ministère de l’Industrie, des Investissements et du Commerce chargé notamment d’examiner et d’approuver le programme des activités de collecte, traiter et diffuser les informations sur la filière, contribuer à mobiliser des ressources pour la mise en œuvre des actions de la stratégie.
S’ils saluent cette initiative de la part du ministère de l’Industrie, des Investissements et du Commerce, les acteurs de la filière, en premier lieu les producteurs regroupés au sein de l’AMEPROC, craignent qu’ils ne soient pas laissés sur le quai par le train de l’aventure de la promotion de la gomme arabique, une aventure qui promet d’être palpitante et diantrement bénéfique pour le Mali. Autrement dit, ils souhaitent que le ministre veille à leur donner les coudées pour que le Comité de mise en œuvre de la stratégie sectorielle de la gomme arabique au Mali réalise la mission qui lui a été confiée.
Il s’agira pour eux d’élargir la base de la production à travers notamment l’identification, l’organisation et la formation des acteurs sur, entre autres, les techniques de saignée et de culture interlignes, d’ébranchement pour nourrir les animaux, l’entretien des gommiers déjà existants, la création de nouveaux peuplements. Si ces conditions sont réunies, les premiers résultats seront visibles dans trois ans au plus tard, promettent les acteurs de la filière gomme arabique.
Yaya SIDIBE
04 Novembre 2010.