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Le monologue du solennel ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a laissé bien de diplomates pantois.
Mercredi, le 3 mars 2010, le ministre des Affaires étrangères du Mali, Moctar Ouane, magistral, les lunettes d’intello bien posées, a tenu un speech de quelques minutes devant les diplomates accrédités au Mali. But de l’exercice de relations publiques et de rattrapage de couacs : expliquer aux plénipotentiaires et autres grandes oreilles, la position du Mali dans ce qui sera, fatalement un jour, le scandale de la libération clandestine de quatre redoutables terroristes et par ricochet, l’élargissement du nébuleux otage français Pierre Camatte.

De prime abord et puisqu’on accuse sans cesse les journalistes de chercher la petite bête immonde, saluons l’initiative de son excellence. Moctar Ouane a eu, contrairement à la majorité des ministres de ce gouvernement, le courage de faire face à la musique.

Il ne s’est pas défilé. Il a le bagout et la culture pour se défendre. Et comme on ne le voit quasiment jamais dans le club des bouffons diarrhéiques, des laudateurs et glorificateurs à fesses serrées et à peine lettrés, on ne peut que saluer son désir de transparence. Fin de la distribution de carottes !

Avant d’en venir au bide que fut cette intervention du point de vue contenu, commençons par l’analyse des expressions corporelles des diplomates présents. Elles en disent plus long que les commentaires qui nous parviendront ultérieurement. Pendant que le ministre prononçait son discours, on pouvait voir clairement des diplomates… en récréation, en tout cas très peu intéressés.

Il y avait trois groupes de deux qui causaient, chuchotaient ou se faisaient des clins d’œil ; un autre cherchait frénétiquement un stylo dans ses poches ; une regardait le plafond probablement à la recherche d’air frais ; une autre esquissait un sourire narquois ; deux diplomates de type arabe jetaient un coup à leur montre aux cinq secondes…

Il n’y avait absolument rien de solennel dans la salle. Et pour cause ! Tous les diplomates présents savaient que Moctar Ouane se livrait à une piteuse contorsion pour légitimer une décision d’Etat qui ne pourrait l’être. Leur attitude seulement explique tout.

Moctar Ouane est un bon soldat. Mais le meilleur commando du monde ne peut aller à l’assaut d’une forteresse avec un coutelas comme arme. Et les armes du commando Ouane, ce sont les faits. Or, les faits sont clairs et connus de tous : Le Mali a pris la terrible décision d’élargir quatre terroristes pour sauver la vie de Pierre Camatte, un retraité français dont la vie à Menaka et ailleurs est l’objet de spéculations.

Le Mali n’a pas respecté sa signature apposée sur les accords d’entraide judiciaire signés avec la Mauritanie en 1963 et l’Algérie en 1983. Le Mali qui a alpagué ces terroristes depuis avril 2009 a préféré les embastiller sur son territoire au lieu de les remettre à leur pays illico presto. Si, comme l’a dit ATT, cette affaire ne nous « regarde pas », il fallait rendre ces prédateurs à leur pays sans attendre.

Moctar Ouane a éludé des questions importantes : Pourquoi des terroristes avérés, des individus qui ont les mains tachées de sang humain en Algérie et en Mauritanie, sont traduits devant un simple tribunal de première instance, comme des chapardeurs de poulet ou des ivrognes sur la voie publique ? Comment ont-ils pu échapper à la Cour d’assises ? Quelles étaient les motivations de ce jugement à une heure où les poules n’étaient pas encore réveillées ?

Pourquoi le Mali a-t-il créé des « canaux de communication » avec des preneurs d’otage alors que le Niger, l’Algérie et la Mauritanie, refusent catégoriquement de céder à cette forme de chantage ? Pourquoi, Mister Ouane, chaque fois qu’un otage est pris quelque part dans la bande sahélo-saharienne, c’est au Mali que les ravisseurs viennent se planquer et entament les pourparlers pour recevoir leur argent facile et leur impunité ?

Mister Ouane, votre chef a dit qu’il ne veut pas et ne peut pas jouer les « durs » juste par principe et laisser Pierre Camatte mourir, n’est-ce pas la seule explication : le Mali n’a pas osé faire face à la France et a craqué ? Mister Ouane, entre l’Algérie et la Mauritanie d’un côté et la France de l’autre, qu’avez-vous choisi ?

La récrimination du Moctar Ouane sur le refus des pays invités à la Conférence sur la sécurité dans la bande sahélo-saharienne, relève de la tartufferie. Pour organiser une telle conférence et Ouane le sait très bien, un pays doit d’abord démontrer sa détermination et son leadership dans la lutte contre le terrorisme.

Peut-on dire que le Mali est à la pointe dans ce domaine ? Certes, non ! Les services secrets maliens n’ont pas une réputation d’intransigeance face à ce genre de prisonniers. Or, nonobstant le baratin sur les droits de l’Homme et le respect de conventions internationales, le traitement des terroristes avérés pris dans les mailles des filets doit être impitoyable.

Il faut être sans concession et sans faiblesse avec ce genre d’individus. Je pense que le Mali doit réviser sa politique sécuritaire de fond en comble. Mettre patiemment en œuvre un rouleau compresseur qui finira par broyer jusqu’aux os les bandes criminelles. Il faut une justice implacable et pas celle que Moctar Ouane appelle, sans hoquet, « indépendante ». Le Mali doit former ses hommes de l’ombre à devenir des épouvantails pour les criminels transfrontaliers.

Il est impossible de gérer une nation chargée de tant d’histoire et de mémoire avec des sentiments et de la compassion quand sa survie, ses fondements même sont menacés par des gens qui n’ont foi en rien et n’ont même pas peur de Dieu. Bref, désolé ATT, mais il faut être « dur » envers les criminels, les gens sans honneur et sans dignité qui veulent faire du Nord-Mali leur Far West. C’est à ce prix que la Mali sera respecté, c’est à ce prix de Moctar Ouane ne passera pas pour un clown devant des diplomates étrangers.

Ousmane Sow

(journaliste, Montréal)

08 Mars 20100