Le mot «désinformation» n’existe ni dans la langue française ni dans la langue anglaise, et il ne se trouve pas dans le dictionnaire que dans le Code Pénal français. On est donc en droit de se demander si ce mot a une existence légale, à tout le moins réelle, et s’il peut légitimement être employé pour servir de référence ou de justification aux actes et décisions de la juridiction d’exception qu’est la Cour de Sûreté de l’Etat.
D’autant qu’il apparaît que cette dernière vient tout juste de découvrir une arme pourtant vieille comme le monde, qu’elle n’en connaît pas le maniement et qu’elle hésite encore à la classer comme une arme d’attaque ou comme une arme de défense.
Pour se convaincre que «la désinformation» est une arme vieille comme le monde, il suffit de lire «L’Art de la Guerre» rédigé par un auteur chinois, au Vème siècle avant Jésus Christ, Sun Tzu. On y trouve exposés les définitions, moyens et procédés concernant l’espionnage, la manipulation et la désinformation.
Ce qu’a écrit Sun Tzu a traversé les siècles et est toujours étudié et exploité en Chine. Ainsi, au cours du conflit qui a opposé la Chine populaire de Mao-Tsé-Toung à la Chine nationaliste de Tchang-Kai-Check et, parallèlement à la lutte armée, un combat tout aussi dévastateur a été mené par les deux camps, en fonction d’un argumentaire inspiré de la psychologie des foules.
Les sinologues qui se sont penchés sur cette guerre sont unanimes à le reconnaître et, du même coup, ils expliquent et font mieux comprendre l’élimination, par «disqualification», de Tchang kaï-check. Ce sont des spécialistes, des maîtres-espions de la Chine communiste qui ont formé leurs homologues russes du N.K.G.B. (commissariat du Peuple à la Sécurité d’Etat), fondé en 1941, à la suite d’accords passés entre Staline et Mao Tsé Toung, ce dernier recevant par ailleurs une aide financière, des livraisons de matériels et d’armements fournis par la Russie.
Une réorganisation des services secrets entrepris par Khrouchtchev, en 1954, donne naissance au K.G.B. (Comité de la Sécurité d’Etat) qui reçoit pour tâche principale de développer le département «subvention», en privilégiant la branche «intoxication».
En 1968, le Poliburo décide au sein du K.G.B, la création d’un service spécifique portant la lettre A, et qui est désigné par un nouveau mot russe : «dezinformatsiya». La direction en est d’abord confiée au général Ivanovitch. Agayantz et ensuite à Sergueï Kondrachev.
A l’époque, cela englobe déjà un ensemble de techniques et d’activités appliquées pour faire progresser dans le monde les objectifs de politique étrangère soviétique par le truchement des média, à travers les intellectuels.
Effectivement, parler de désinformation, c’est évoquer la déstabilisation intellectuelle, c’est parler de stratégie et de guerre culturelle à partir d’un postulat ainsi défini par Henri Gobard : «…. La guerre classique vise au cœur pour tuer, la guerre économique vise au ventre pour exploiter et enrichir, la guerre culturelle (ou la désinformation) vise à la tête pour paralyser sans tuer, pour conquérir par le pourrissement, et s’enrichir par la décomposition des cultures et des peuples…»
Cette forme de guerre, essentiellement psychologique, a fait et fait merveille. Aujourd’hui, devant les difficultés (et les dangers) pour les grandes puissances d’engager leurs forces armées à l’extérieur, le recours à la guerre culturelle (ou désinformation) et à la propagande permet un pilonnage ininterrompu, qui ne laisse que peu de loisirs à l’adversaire pour organiser sa résistance ou sa contre-attaque. Mieux, l’adversaire soumis à un tel régime doit tomber comme un fruit mûr. Inutile devient alors la guerre des armes si ce n’est pour quelques coups d’Etat ou interventions limitées qui assurent une victoire largement acquise d’avance.
La désinformation a pour passage obligatoire l’intoxication, qui est répertoriée sous trois formes distinctes
1. L’intoxication blanche : Elle consiste à révéler à une opinion publique nationale ou à l’opinion publique internationale des faits réels, mais restés secrets pour diverses raisons ou, simplement, par raison d’Etat.
2. L’intoxication grise : Elle correspond à un cocktail de vérité, demi- vérités et contre- vérités. Dans la trame des faits vrais, véritables à détecter. Le tout donne une grande impression d’authenticité.
3. L’intoxication noire : Elle est un produit totalement imaginé, inventé. Cela peut être une information fausse qui sera longue à analyser, ou une campagne malaisée à cerner et apte à provoquer une tension ou un choc.
Ces trois formes d’intoxication peuvent appartenir à deux groupes référencés aussi par deux couleurs : le groupe «bleu», quand il s’agit d’opérations menées par le gouvernement à l’intérieur de ses frontières, le groupe «rouge» quand il s’agit d’opérations menées par le gouvernement à l’extérieur de ses frontières.
A cet endroit de la présente étude, il est important de préciser que si le mot «désinformation» – le contraire du mot «information» a bien été imaginé par les russes, l’intoxication, avec ses trois formes et ses deux groupes, est une arme employée par toutes les grandes et moyennes puissances qui, par ailleurs, depuis plusieurs décennies, se sont dotées de services et de moyens liés à cette arme.
Cela est vrai pour la France comme pour la Chine, ainsi que nous l’avons vu, le Japon, l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc.… Mais il est sûr que la Russie est à l’avant-garde d’un phénomène qui obéit à l’injonction de Lénine : «…Mes paroles sont choisies pour provoquer aversion, haine et mépris de l’adversaire, disloquer ses rangs, le détruire, balayer ses structures de la surface du monde…», mobilisant des partis communistes qui jouent un rôle important dans le schéma de la «désinformatsiya», dont ils sont les parfaits véhicules porteurs. Cela est surtout vrai pour les satellites polonais, est -allemand et tchèque.
La désinformation émanant du K.G.B. développe en permanence une autre activité aussi systématique que sournoise, celle des dénommés «agents d’influence», dont les répercussions sont à la longue bien plus qu’inquiétantes.
La mission des «agents d’influence» consiste à créer dans les milieux où ils se trouvent une atmosphère favorable aux intérêts de l’Union Soviétique. Et, en fait, ils développent cette action dans les milieux les plus différents, depuis les syndicats jusqu’aux cercles intellectuels et artistiques, depuis les organes de la presse jusqu’aux gouvernements eux-mêmes.
Pour bien comprendre comment se met en place puis s’articule un service de «désinformation» à l’intérieur d’un pays, lisons le témoignage tout à fait exceptionnel d’un haut fonctionnaire polonais, spécialiste des services spéciaux de son pays, qui s’est réfugié à l’Ouest. Selon lui, les Polonais comptent actuellement parmi les meilleurs spécialistes de la «désinformation». «L’Eglise polonaise», trop puissante au gré des dirigeants communistes, était évidemment l’une des principales cibles de la «désinformation».
Grâce au fichier très complet que l’on a de tous les prêtres, on monte des provocations, envois de lettres anonymes, création de revues catholiques, contenant de violentes charges contre le primat de la Pologne, attribués à des prêtres contestataires, alors que les seuls et authentiques rédacteurs des publications sont des spécialistes en «désinformation».
Source : La manipulation
20 Octobre 2008