Partager

André Bourgeot, chercheur au CNRS : Refuser la présence de l’armée malienne à Kidal est inadmissible lorsqu’on veut restaurer l’intégrité territoriale

jpg_une-1845.jpgDirecteur de recherche émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS), André Bourgeot est coauteur de l’ouvrage «Le Mali entre doutes et espoirs : Réflexion sur la nation à l’épreuve de la crise du nord» édité en mai dernier par les Editions Tombouctou. A la faveur du lancement du livre, le chercheur français a séjourné à Bamako où il nous a accordé un entretien.

Dans cet océan d’inepties et de contre-vérités orchestrées par le mnla et ses alliés malintentionnés, les voix de spécialistes comme André Bourgeot, sont à entendre. Éclairage donc !

Afribone : «Le Mali entre doutes et espoirs» est un ouvrage dont vous êtes l’un des auteurs. Dans ce livre qui traite de la crise malienne, vous affirmez que les «rébellions génèrent une chaine opératoire… dont les maillons constitutifs sont : ‘’rébellion-désertion-accords de paix-intégration-rébellion-désertion’’». Avec le processus de négociation en cours, est-ce à dire que le Mali est condamné à vivre le même scénario: revivre une rébellion dans les années à venir ?

André Bourgeot : La nouvelle rébellion, elle a déjà eu lieu en 2012. Mais vous faites référence à la chaine opératoire. J’ose espérer que celle-ci ne se fera pas selon les mêmes modalités que les rébellions passées. Si la situation politico-militaire n’est pas résolue, ce sera encore porteur de nouvelles rébellions.

Celle de 2012 a quand même un caractère inédit pour deux raisons. La première raison est qu’elle déclare officiellement son objectif d’indépendance, d’une part, et d’autre part, elle s’inscrit dans un contexte national et international particulièrement houleux puisque c’est aussi une des conséquences directes de la guerre civile en Libye après l’effondrement de la Jamahirya et l’assassinat du colonel Kadhafi.

En tant qu’anthropologue, quelle solution préconisez-vous pour la gestion définitive de cet épineux problème ?

Ce n’est pas l’anthropologie qui va résoudre ce problème. L’anthropologie peut donner des éléments d’explication.

Pour répondre plus directement à la question, il y a quand même un problème extrêmement important qui est celui de Kidal. Actuellement Kidal n’est pas sous l’administration malienne puisque le Mouvement national de libération de l’Azawad, qui d’ailleurs ne représente que lui-même, refuse toujours la présence de l’armée malienne à Kidal. Ce qui bien sûr est inadmissible, inacceptable, lorsqu’on veut restaurer l’intégrité territoriale.

On se souvient que le massacre de soldats maliens à Aguel hoc a été perpétré par le Mnla en connivence avec Aqmi. Pourquoi encore une distinction entre ce groupe armé et les islamistes ?

La distinction a été opéré par les français et la communauté internationale qui distinguent d’une part les groupes, que moi j’appelle les groupe armés narcotrafiquants, qui relèvent de la nébuleuse jihadiste des autres groupes armés qui sont aussi dans les activités criminelles, à savoir Ançar Eddine Al salafiya et le Mnla, mais qui sont essentiellement voire exclusivement composés de maliens. Ils ont pris comme critère de distinction les appartenances nationales.

Pensez-vous qu’un Etat touareg est viable dans le nord du Mali ?

De part les dynamiques et spécificités des systèmes politiques touareg, on ne peut pas envisager la création d’un état touareg. Mais actuellement, il n’y a plus ce type de revendication. Ils sont passés de la revendication d’autonomie à une forme d’intégration dans l’Etat national, d’une part, d’autres part, toutes les sociétés touareg de la sous région ne sont pas du tout d’accord pour la création d’un Etat touareg.

La création d’un Etat touareg sur le territoire malien, je n’y crois pas. Ça ne peut être fait qu’à la suite d’un référendum. Or, s’il y a référendum, la majorité ne sera pas sur cette position.

J’en profite aussi pour dire que dans le septentrion malien, il n’y a pas que le Mnla. Il y a quand même d’autres forces politiques et de la société civile qui sont numériquement beaucoup plus important que celui du Mnla ; qui ont une influence beaucoup plus grande que celle du Mnla qui lui, effectivement, a une influence circonscrite à Kidal. On est en droit d’imaginer, en tout cas ce sont les échos que j’ai, qu’ils ont les armes et qu’une partie de la population de Kidal ne se sent pas très à l’aise : elle se sent un peu sous tension.

Est-ce normal que la France force Bamako à négocier avec quelques touaregs et arabes au détriment du reste de la population de la zone ? D’ailleurs, la grande manifestation de Gao ne démontre-t-elle pas un mécontentement de la population noire ?

S’appuyer sur une minorité ethnique- et le Mnla est minoritaire – de surcroit, à l’intérieur de cette minorité ethnique que représentent les sociétés touareg, est une pratique politique très classique qui date de l’époque coloniale. On est en droit de s’interroger sur la situation actuelle. Est-ce qu’il n’y a pas une sorte de mise en œuvre d’une politique de relent néocoloniale qui consisterait à s’appuyer sur des groupes ultra minoritaires qui de surcroit sont armés et qui refusent de désarmer ?

Dans le septentrion, il y a beaucoup d’autres ethnies (je pense aux Songhoïs, aux Maures, aux Arabes, aux Peulhs, aux Bozos) qui sont quand même majoritaires et dont on ne parle pas ou qu’on ne consulte pas.

Si on se réclame d’une conception républicaine de l’Etat ou d’une conception progressiste des forces politiques, c’est quelque chose qui me dérange beaucoup.

Quelques lignes du texte REBELLIONS ET DJIHADISME DANS LE SEPTENTRION MALIEN d’André Bourgeot:

jpg_une-1859.jpg Quid de l’Azawad ?

Il importe d’emblée de procéder à une clarification
politico sémantique à propos de la notion d’Azawad. Sa racine
linguistique est azawa qui désigne un récipient plat, en bois, dans
lequel on mange. Par extension, il a donné une connotation de
géographie physique caractérisant tout relief plat : la plaine. Sur le plan ethno géographique, l’appellation concerne l’espace situé
autour de Tombouctou et sillonné par les pasteurs maures Bérabich
et Teurmoz. Sa superficie est d’environ 380 km2.

[…]

Sur le plan administratif, l’appellation recouvre les régions de
Tombouctou, Gao et Kidal.
Sur le plan historique, Azawad n’a aucun fondement. En effet, il n’a
jamais existé de chefferie, de royaume ou d’empire portant ce nom.
En conséquence cette appellation est une construction politique
qui obéit aux objectifs des rébellions touarègues (celles des années
90, 2006 et plus particulièrement celle de 2012) qui sont à la
conquête d’un territoire.

[…]

Les propagandistes du MNLA la présentent comme le territoire
de leurs ancêtres : il s’agit là d’une grave imposture historique…]

A lire dans le Collectif « MALI, ENTRE DOUTES ET ESPOIRS – RÉFLEXIONS SUR LA NATION A L’ÉPREUVE DE LA CRISE DU NORD« . Ed. Tombouctou, 2013

Propos recueillis par Seydou Coulibaly à Bamako le 31 mai 2013

AFRIBONE | Mise en ligne 04 juin 2013 à 13h30 TU