Adama n’eut pas beaucoup de peine à s’intégrer dans sa communauté d’accueil. Il se fit très vite reconnaître comme un gros travailleur et devint peu à peu écouté comme un homme pondéré et de bon conseil. Ses relations avec le chef de village de Kalé et les autres notabilités de la localité allaient en se fortifiant. Et pour se fondre définitivement dans la collectivité, Adama Coulibaly décida de prendre femme dans le village et se maria avec la fille d’un leader religieux. Tous louèrent son choix. En effet, la demoiselle était belle et se montra immédiatement dévouée à son mari. Les gens de la localité se demandaient même pourquoi elle était restée si longtemps avant de se trouver un mari tant tout le monde s’accordait à reconnaître sa beauté et son courage au travail.
Feu et coton
La seule explication que certains avançaient résidait dans l’affection excessive que lui portait son père. Le leader religieux répétait haut et fort que son futur gendre devait savoir apprécier les qualités de sa fille. Ce serait à cette condition que l’époux serait accepté par lui. Cette mise en garde avait refroidi les ardeurs de bien des prétendants qui se disaient que les exigences du vieux n’avaient pas lieu d’être.
Les premiers pas du jeune ménage furent donc observés de près par les curieux. Mais le jugement fut unanimement positif : ces deux là s’entendaient à merveille et se montraient très attachés l’un à l’autre. La jeune femme accompagnait régulièrement son époux au champ et n’en rentrait que sur l’insistance de son homme. Adama s’entendait fort bien avec sa belle-famille et il ne fut donc pas étonné le jour où la mère de son épouse le fit appeler afin qu’il vienne lui donner un coup de main dans son champ de riz. Adama mit beaucoup de cœur à l’ouvrage. Si bien qu’à la fin de la journée la dame n’avait à son adresse que bénédictions et remerciements. Tous deux restèrent à bavarder et la belle-mère se laissa aller à des confidences. Elle indiqua à son beau-fils que l’un de ses plus grands regrets était de n’avoir jamais eu d’enfant de sexe masculin, un fils qui l’aurait aidé dans ses travaux champêtres. Adam lui répondit qu’il ferait tout pour atténuer ce regret en elle. Ces confidences semblaient avoir rapproché le jeune paysan et la dame. Dès qu’Adama en avait terminé avec les travaux sur son lopin, il se rendait à la rizière de sa belle-mère qu’il entretenait avec un zèle tout particulier. D’aucuns trouvèrent étonnante cette disponibilité du jeune cultivateur, mais ne poussèrent pas plus loin leurs commentaires.
Au fil du temps, Adama prit l’habitude de se montrer plus assidu dans la concession du leader religieux et beaucoup remarquaient le plaisir qu’il prenait à converser avec sa belle-mère. A ce moment là, le couple se tenait encore bien. Mais comme le disent les Bambara, le coton et le feu ne font pas bon ménage ensemble. Une étincelle jaillit effectivement entre Adama et sa belle-mère. Ils finirent par tomber amoureux l’un de l’autre.
Ce sentiment fut si fort que l’homme de Fima négligea ouvertement son épouse pour réserver ses faveurs à la mère de celle-ci. Le couple avait dans un premier temps situé ses ébats dans les buissons qui bordaient les champs et se livraient à ses très coupables occupations après les travaux champêtres. Mais la hardiesse leur venant au fil du temps, les amants n’hésitèrent pas à se donner rendez-vous dans la concession du notable religieux et ils s’isolaient alors dans la chambre de la belle-mère. Ils déployaient cependant une habilité certaine dans la gestion de leur liaison et très longtemps personne dans la famille du religieux n’eut le moindre soupçon à leur égard.
Mauvais instincts
Personne, si ce n’était la jeune mariée elle-même. Elle seule savait à quel point son époux la négligeait et comment les liens devenaient de plus en plus étroits entre sa mère et Adama. Elle ne pouvait se permettre d’extérioriser ses sentiments de peur de provoquer un scandale. Mais elle ne pouvait pas non plus dissimuler complètement. C’est ainsi que dans le village plusieurs personnes remarquèrent qu’entre Adama et sa jeune femme, l’entente n’était plus parfaite comme auparavant. D’autres se firent avec étonnement la réflexion qu’une certaine tension avait fait son apparition entre la jeune dame et sa mère. Ce qui était réel et qui avait amené par un très triste fait : l’épouse bafouée avait surpris en pleins ébats le couple adultère.
Mais à qui raconter cela ? La jeune femme, après de longues réflexions, fit passer l’information à son père en usant des services d’un des sages du village. Tout cela fut fait dans la plus grande discrétion et avec la volonté de sauvegarder l’honneur de la famille du notable. Mais comme chacun le sait, ce genre de secret se garde entièrement ou ne se garde pas du tout. Une fois la première information partie, le reste devient difficile à protéger. Ce qui aurait dû rester une affaire strictement familiale commença à s’ébruiter dans les allées du village. Même les enfants avaient vent de l’affaire et ne se privaient pas d’en parler en cachette. Inévitablement, de nouveaux intervenants entrèrent en scène. Certains villageois avaient interpellé Adama pour le sommer de changer de comportement si ce qui se disait partout sur lui s’avérait vrai. Mais hélas, ils intervenaient déjà trop tard. L’épouse du vieux marabout était tombée enceinte des œuvres de son jeune amant.
Ayant bu la coupe de la honte jusqu’à la lie, la femme adultère dut abandonner en toute hâte le village pour aller se réfugier chez ses parents à Diamouténé, chef-lieu de la commune du même nom, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de la ville de Kadiolo. En quittant son foyer conjugal, la dame s’efforça de sauver encore les apparences en indiquant qu’elle se rendait chez ses parents pour des raisons de santé.
Son départ sembla libérer tous les mauvais instincts contenus de son amant et beau-fils. Ce dernier fit d’abord main basse sur la récolte de riz des champs de son amante, estimant que la production venait de son travail. Puis il répudia de manière spectaculaire son épouse en l’accusant d’avoir fait de lui la risée du village en informant tous les villageois d’une affaire qui aurait dû rester un secret bien gardé.
L’outrecuidance de l’ancien beau-fils ne pouvait être tolérée par le leader religieux. Celui-ci réagit en portant plainte au niveau de la brigade territoriale de gendarmerie de la ville de Kadiolo. Adama Coulibaly a été mis aux arrêts par le juge de paix à compétence étendue en attendant la suite de l’enquête. L’homme est accusé d’atteinte aux bonnes mœurs. Présentement, il médite sur son acte entre les quatre murs de la prison de la ville. Dans le village, les commérages ne se sont pas encore éteints et les débats sont très vifs sur le niveau de responsabilité des deux protagonistes. Qui est le plus coupable ? La pécheresse qui a cédé à la tentation de la chair ? Ou le dévergondé qui n’a pas hésité à séduire la mère de son épouse ? Les différents points de vue étant inconciliables, les nuits ne sont pas mornes actuellement à Kalé.
Cheickna Bathily
AMAP – Kadiolo
02.09.2008