«Les magistrats sont indépendants de tout sauf de l’argent sale».
Déclaration d’une tigresse malienne du droit, exerçant à l’époque, une profession libérale.
Il y a des lustres. La question de l’indépendance de la magistrature au Mali ne date pas d’aujourd’hui.
L’interpellation à l’Assemblée nationale le jeudi 30 juin, du ministre de la Justice garde des Sceaux Mme Fanta Sylla ne répond en réalité qu’à un exercice de routine du Parlement.
L’Assemblée nationale a le droit constitutionnel d’interpeller le gouvernement et au pire de la démettre ; un député peut à travers des questions orales, interpeller un ministre sur des questions intéressant son département.
En outre l’Assemblée nationale peut mettre en place une Commission ad’hoc, une commission d’enquête parlementaire concernant des questions qui intéressent la Nation.
Tous ces droits inhérents à la qualité d’élu de la Nation s’exercent dans le cadre du droit constitutionnel du parlement de contrôler l’action gouvernementale.
«Il faut que par la force des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». C’est l’esprit de la séparation des pouvoirs en vertu de laquelle il y a trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Interpeller un ministre sur des faits rocambolesques qui se seraient passés dans sa circonscription, pour un député, ne relève que du pur exercice de sa mission.
Jeudi dernier à l’Assemblée nationale, c’était au ministre de la Justice Mme Fanta Sylla de venir s’expliquer devant les députés sur interpellation d’un député de Yélimané, Mamadou Awa Gassama.
Il était question de corruption des juges et d’indépendance de la justice.
Des questions très sérieuses qui intéressent la Nation. Aucune considération sur la forme ou le style dans l’intervention du député (écarts de langages) ne doit altérer l’intérêt ou l’importance du sujet abordé.
Les débats actuels volontairement amplifiés et concernant les termes de l’intervention du député comportent une agitation de nature à faire ombrage sur les questions réelles de la justice malienne, à noyer le poisson dans l’eau.
A faire taire le fond du problème par des questions de forme. A faire oublier l’objet même de l’interpellation par des disgressions, par d’autres débats.
La corruption des juges, la dépendance des décisions de justice du pouvoir économique et financier des parties, la crise de la crédibilité de la justice sont des vraies questions à ne pas éluder.
Me Fanta Sylla, jadis bâtonnier de l’Ordre des avocats a eu ses séances de méchage, les ciseaux dans la plaie de la justice malienne. Sans prendre de gants elle avait dénoncé la corruption des magistrats.
Abdoulaye Obotembely Poudiougou à l’époque ministre de la Justice fut impuissant face à la toute puissance des magistrats dont il savait les pratiques peu orthodoxes de certains d’entre eux.
S’il y a une deuxième révolution au Mali, ce serait contre les magistrats, entendait-on dans certains milieux de magistrats.
A l’époque dans plusieurs localités du pays, le juge a été délogé de son siège et pourchassé par des justiciables désabusés. Ce fut le cas à Bougouni, à Badiangara…
Le mal s’était enraciné. L’initiative courageuse du ministre de la Justice Abdoulaye Garba Tapo d’assainir la justice malienne pour la rendre crédible, a été écourtée à la faveur d’un remaniement ministériel.
Le ministre avait osé croiser le fer avec les magistrats en invitant les plus véreux à démissionner s’ils ne peuvent pas être propres. Levée de boucliers des magistrats.
Quelques semaines après le syndicat autonome de la magistrature exigera la démission du ministre dont l’initiative était saluée un peu partout par des citoyens épris de justice.
Malgré tout le ministre a été débarqué à la surprise générale. C’est dire que face à la question essentielle de l’indépendance de la justice, de la crise de crédibilité et de la corruption des juges, le syndicat autonome de la magistrature n’est pas à son coup d’essai en rendant publique la présente déclaration formulant des recommandations allant jusqu’à demander la dissolution d’une institution cardinale de la République.On se souvient de la plainte des magistrats contre notre confrère Sidiki Konaté, directeur de l’Ortm.
Une velléité de bâillonner la presse ? Et maintenant dissoudre l’Assemblée nationale parce qu’un député a remué le couteau dans une plaie dont on doute qu’elle va se cicatriser sans un changement radical.
Boukary Daou
05 juillet 2005