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A la « date favorable » fixée par la chefferie traditionnelle, des centaines de couples passent devant le maire. Visant à minimiser les dépenses et conforter la cohésion dans la communauté, la pratique pourrait devenir un important rendez-vous culturel si elle était mieux organisée

jpg_une-2762.jpg« Même si vous vous lavez proprement, pour afficher une bonne mine, il faut se rendre à Banamba. » En mettant les pieds à Banamba, difficile pour le visiteur de trouver une confirmation de ces paroles d’une chanson d’Abdoulaye Sarré. Mais c’est sûr, pour vivre un vrai mariage collectif, il faut venir à Banamba.

Jeudi 24 avril, jour de mariage collectif. Les habitants de la grosse bourgade sont entièrement mobilisés. Pas de classe pour les élèves. Toutes les activités sont au ralenti. Tout pour le mariage collectif car ici, c’est l’événement de l’année. La date du grand raout est fixé par les leaders religieux et les autorités traditionnelles qui décident du « jour favorable » selon le calendrier lunaire.

Alors que le soleil commence à peine à braquer ses rayons ardents sur l’unique voie bitumée qui traverse la ville en passant par le marché, les bureaux de la préfecture et la mairie, la circulation est déjà dense. Des processions de voitures rutilantes, de motos grosses cylindrées, avancent dans un concert de klaxons assourdissant. Tous convergent vers l’hôtel de ville. Motos et voitures sont bondées surtout de femmes et de jeunes filles endimanchées. « A la qualité de leur mise, nul doute que certaines belles créatures ne sont pas d’ici », remarque un témoin. En effet, les ressortissants de la ville affluent de toutes parts pour ne pas se faire raconter la journée exceptionnelle même s’ils ne sont pas parents de mariés.

A la mairie, des jeunes garçons et filles ont colonisé l’asphalte pour en faire une aire de rodéo où les motocyclistes rivalisent de figures acrobatiques. Certains cascadeurs font cabrer leurs montures sur une longue distance. D’autres se tiennent debout sur leurs machines. Tous roulent à tombeau ouvert. Captivés par le spectacle, les gamins massés au bord de la route, sont inconscients du danger alors qu’en cas de chute d’un conducteur – et ce n’est pas rare -, les spectateurs ne sont pas à l’abri de blessures.

Vers la mi-journée, l’esplanade de la mairie est noire de monde. Côté densité et valeur des voitures garées, elle ne doit à la devanture de la mairie de Sogoniko, les dimanches de grande affluence. Pour pénétrer dans la cour, il faut jouer des coudes. Et risquer de se faire cogner par un automobiliste ou un motocycliste qui tente de se frayer un chemin dans la cohue à coups de klaxons et de vrombissements de moteur. La cour de la mairie est vaste et ombragée par quelques arbres et deux chapiteaux plantés pour abriter les officiels et les nouveaux couples.

TOHU-BOHU. La salle de mariage est une grande bâtisse rectangulaire. Sur la terrasse, il faut encore se frayer un chemin dans la foule dense. A l’intérieur, c’est carrément le tohu-bohu. Au dessus des têtes, des rubans aux couleurs nationales, des banderoles vantant les produits de la Nouvelle parfumerie Gandour. Deux longues rangées de tables sont réservées aux candidats au mariage dont la plupart sont en costume pour les hommes et en robe pour les dames. Assis, les pauvres ne profitent même pas de l’air chaud brassé par quatre ventilateurs plafonniers. Ils manquent d’étouffer, pressés qu’ils se trouvent par la foule des accompagnateurs, des photographes, des griots debout autour d’eux. La salle est bondée. On ne s’entend même pas parler à cause du brouhaha, décuplé par les éclats de voix des griots qui se font remettre des billets de banque neufs. Trois ou quatre personnes tentent de maintenir mollement l’ordre, en suppliant « tous ceux qui n’y ont rien de spécial » de sortir de la salle.

En fait, l’officier d’état-civil a déjà commencé à sceller des mariages depuis mardi. Au total, près de 200 couples se sont dits oui devant le maire de mardi à jeudi. Les couples sont reçus par l’officier d’état-civil par groupes.

Les couples fraîchement unis officiellement, prennent place sous un chapiteau dans la cour face aux officiels. Place alors à la cérémonie de remise des cadeaux aux nouveaux mariés. Du moins aux chanceux qui seront retenus à la suite d’un tirage au sort. Armoire, lit, téléviseur écran 21, glacières, congélateur, salon complet… sont offerts aux mariés par la société de cosmétiques « Nouvelle parfumerie Gandour » qui sponsorise le mariage collectif de Banamba depuis quelques années.

Les prix sont remis par des responsables administratifs, politiques et traditionnels. Mais auparavant, le sous-préfet central Jean-Marie Sagara a salué le climat de paix et de sérénité, de retour dans notre pays après la grave crise de 2012. Pour lui, le mariage collectif de Banamba mérite de devenir un événement culturel qui pourrait drainer vers la ville des visiteurs venus non seulement d’autres localités du pays mais aussi de l’étranger. Mais, relèvera-t-il, le grand rassemblement devra être mieux organisé. Le maire Aly Simpara en convient et promet que la mairie s’investira davantage pour une meilleure organisation de l’événement. Il se réjouit de l’intérêt de plus en plus marqué des médias pour l’événement, soulignant la présence des médias publics et d’une radio internationale comme la BBC.

En effet, plus l’événement gagne en notoriété, plus il perd en organisation, font remarquer les habitués. Ainsi du fait de l’absence de haut-parleurs, la foule n’a rien saisi des interventions des officiels. La remise des cadeaux se déroule dans un grand cafouillage. Les deux gardes chargés du maintien d’ordre peinant à libérer la scène des photographes, journalistes et autres curieux. La cérémonie traine en longueur. Des nouvelles mariées montrent des signes d’épuisement dans leurs vêtures peu aérées et leurs maquillages par trop prononcés.

Les couples chanceux quittent la mairie le sourire aux lèvres. Tandis que les autres regrettent d’avoir enduré la canicule pour rien. En début d’après-midi, les cortèges, dans un vacarme à meurtrir les tympans, emportent les couples à leurs suites à travers la ville. « Après la mairie, chaque couple fait la suite des célébrations de son côté », confie un habitué. Raison pour laquelle, à maints endroits de la ville, s’élèvent les bruits des réjouissances.

EVOLUTION. Il faut dire que le mariage collectif de Banamba a beaucoup évolué au fil du temps. Les anciens le reconnaissent volontiers. M’Pamara Simpara de la chefferie de Banamba, rappelle que ses ancêtres ont emmené la pratique du mariage collectif de Sokolo, leur localité d’origine, située dans le cercle de Niono. « A l’origine, on célébrait les mariages ensemble en mutualisant les moyens des familles pour minimiser ainsi les dépenses. En même temps que les mariages, on faisait aussi la circoncision. Tout le monde passait ensemble la semaine du mariage dans le vestibule », se souvient l’ancien qui ajoute que la pratique permettait aussi de renforcer la cohésion au sein de la communauté. Aujourd’hui, tous les mariages ne sont plus célébrés au village. « Certains font leurs mariages à Bamako ou ailleurs. Mais ils tiennent à respecter la date fixée par le village. Ce qui fait que les mariages sont célébrés aujourd’hui à la même date mais dans différentes localités », note M’Pamara Simpara.

Si la mutualisation des moyens n’est plus de mise, ce ne sont pas les nantis qui en souffrent. Ils affichent à faire pâlir d’envie tous les signes extérieurs de richesses. Grosses voitures 4X4 des marques les plus prestigieuses, femmes parées d’habits hors de prix … la réputation cossue des habitants de Banamba n’est pas surfaite.

Dans la capitale, ils sont connus pour être des commerçants aisés. « Le commerce est dans la peau des gens d’ici, confie un fonctionnaire en poste à Banamba. Dès le bas âge, on cultive chez les enfants, le goût du commerce en leurs faisant porter une assiette contenant quelques fruits à vendre. » Pas étonnant alors que les habitants ne manquent pas de saisir l’opportunité commerciale de l’événement. Ils sont nombreux ceux qui proposent à la vente des sachets d’eau fraîche, des morceaux de glace qui s’écoulent comme des petits pains par cette chaleur. La plupart de la glace consommée ici provient de Koulikoro ou Bamako car le réseau électrique d’EDM n’est pas encore arrivé jusqu’ici. On s’éclaire ici avec des panneaux solaires. Il y a des progrès à faire dans ce domaine si Banamba réussit à faire du mariage collectif un rendez-vous culturel de grande renommée.

Envoyés spéciaux

B. TOURE

A. SISSOKO

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LES HABITANTS REPUTES POUR LE COMMERCE

Banamba est l’un des cercles de la région de Koulikoro. Situé à 145 km de Bamako, le village de Banamba aurait été fondé, selon les chroniques de la tradition orale, le vers 1825 par un chasseur bambara du nom de Mathèfili Coulibaly, sous l’appellation de « N’Guilikido ». Après, arrivèrent les Simpara sous la direction de Hadji Simpara. Ceux-ci assurent de nos jours la chefferie du village.

La commune rurale de Banamba compte 30 180 habitants repartis entre 28 villages. Les différentes ethnies sont : les Bambaras, les Peuls, les Sarakolés. L’agriculture occupe la majeure partie de la population et les cultures dominantes sont : le mil, le sorgho, l’arachide, le henné, le sésame. Le commerce, l’artisanat et l’élevage procurent des revenus substantiels à la population.

Les ressortissants sarakolés et même bambaras sont réputés pour le commerce. C’est ainsi que la ville connaît un exode massif des bras valides vers les grandes agglomérations où ses habitants s’adonnent au négoce qui leur réussit généralement.

B. T.