Les raisons qui motivent leur présence au Mali, leurs attentes et leurs ambitions sont décryptées dans un entretien que nous a accordé le Président de l’Association des réfugiés Mauritaniens au Mali, Elimane N’Gam qui est aussi membre de la section de «FLAM» (Force de Libération Africaine de Mauritanie) au Mali.
Le Républicain : Peut-on savoir ce qui a personnellement motivé votre présence au Mali ?
E. N’Gam : je ne parle pas dans le cadre personnel, mais je parle au nom des réfugiés mauritaniens parce que je suis venu dans les mêmes conditions que les autres frères.
Nous avons été victimes d’un événement sénégalo-mauritanien en 1989. D’ailleurs il y a eu d’autres événements avant et après.
L’événement de 1989 était un petit problème qui a opposé éleveurs et agriculteurs sénégalais et mauritaniens, et qui a même engendré les morts du côté sénégalais. Les autorités mauritaniennes ont profité de cette situation pour rapatrier les sénégalais et les maures mauritaniens. Elles ont profité également de ce rapatriement pour déporter les négro-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali. Donc nous sommes là au Mali étant déportés, par les autorités mauritaniennes.
Est-ce qu’on peut savoir le nombre de réfugiés déportés qui vivent au Mali ?
En 1989-1990, les réfugié mauritaniens au Mali étaient au nombre de 16 000. Aujourd’hui, vue les conjonctures actuelles et passées, ils sont au nombre de 10.000. La plupart de ces réfugiés vivent dans la région de Kayes.
Quelles sont les exactions commises contre les négro-mauritaniens ?
Avant de parler d’exactions, il faut plutôt parler d’arrestations. Pourquoi les négro-mauritaniens sont la cible du pouvoir de Nouakchott ? D’abord le manifeste des négro-mauritaniens qui dénonce le racisme Beïdane est engendré par l’arrestation de jeunes cadres mauritaniens en 1986 ; en 1987, un coup d’Etat manqué des négro-mauritaniens qui a conduit à l’exécution sommaire de trois officiers négro-mauritaniens ; en 1989, plusieurs mauritaniens ont été assassinés dans la région de Kiffa et mis dans une fosse commune. En 1991-1992, il y a eu plus de 500 militaires négro-mauritaniens tués par le pouvoir sur une fausse information d’un coup d’Etat qui n’a jamais eu lieu.
Qu’en est-il de l’esclavage dans votre pays.
Effectivement, il y a de l’esclavage en Mauritanie. Mais cet esclavage ne se trouve pas seulement dans les grandes villes , c’est surtout dans les campagnes qu’il est fortement développé et particulièrement dans le nord de la Mauritanie.
Les négro mauritaniens viennent-ils de Nouakchott où d’autres villes du pays ?
Parmi les réfugiés mauritaniens au Mali, généralement c’est dans les régions de Sélibabi et Kiffa où viennent ces réfugiés. Mais parmi nous, il y a des gens qui ont été déportés à partir de Nouakchott via Sélibabi et dans les autres régions du fleuve côté mauritanien.
Comment vivent ces réfugiés au Mali ?
Ils vivent comme vivent les autres. Il y avait le HCR qui aidaient les réfugiés et qui présentement s’est désengagé. Donc les gens vivent de leur manière dans la famine, la fatigue et la souffrance.
Peut-on savoir avec vous comment les réfugiés mauritaniens ont accueilli les derniers événements dans leur pays : la chute du Président Ould Taya.
Pour nous, ce n’est pas un coup d’Etat. C’est simplement un renversement de veste. Ould Taya est égal à Eli Mohamed Val et vice versa. Val était depuis 1984 jusqu’au coup d’Etat le Directeur de la sûreté Nationale. A ce titre, il était l’instigateur principal de toutes les exactions, les déportations et les reprises des biens des négro-mauritaniens. Donc s’il y a eu un changement, c’est le fait qu’un dictateur est allé, mais en réalité le système demeure.
Nous saluons le courage de certaines personnalités qui ont mis fin au régime de Ould Taya. Mais toujours est-il que le système reste entier.
Donc selon vous il n’y a pas eu de changement ?
Il n’y a pas eu de changement parce que quand Eli est venu au pouvoir, il a nommé un Premier Ministre qui est du même parti que Taya et qui a été Premier ministre de 1992 à 1996. C’est lui qui à cette époque a demandé à l’Assemblée Nationale mauritanienne de voter une loi d’amnistie en faveur de ceux qui ont tué et torturé les réfugiés mauritaniens. Faire revenir un tel homme au pouvoir n’est pas du tout un acte pouvant être considéré comme un changement.
Nous nous posons des questions à savoir si le changement dont il s’agit n’est pas dû au pétrole où à l’arrestation des islamistes qui ont été arrêtés par le pouvoir de Nouakchott car ces islamistes sont de la même région que l’actuel homme fort de la Mauritanie.
Que veulent concrètement les réfugiés mauritaniens au Mali ?
Nous voulons un changement au sein de l’Etat, une ouverture. D’abord ce gouvernement n’est pas un gouvernement d’ouverture où les partis politiques qui réclament le retour des réfugiés ne figurent pas. Nous demandons aussi qu’il y ait une ouverture pour permettre aux réfugiés de rentrer chez eux, mais encore que l’Etat reconnaisse le tort c’est à dire la déportation qu’ils ont fait subir à ces gens. Et que l’Etat accepte d’indemniser et de dédommager ceux qui sont victimes. Les autorités doivent permettre à chaque mauritanien de se présenter aux élections et accepter les partis qui sont en exil comme la «FLAM» et d’autres mouvements.
Avez-vous l’intention de porter plainte contre Ould Taya ?
Effectivement chaque année nous renouvelons notre plainte aux côtés du mouvement «FLAM» . En ce qui concerne les réfugiés mauritaniens, nous contacterons des avocats pour que nous puissions porter plainte contre Taya et contre le système de Taya qui nous a emmené au Mali.
Donc les réfugiés mauritaniens au Mali ont l’intention de porter plainte contre Ould Taya ?
Effectivement, nous porterons plainte contre Taya sur les exactions, la déportation et sur la situation que vivent les négro-mauritaniens qui n’ont pas pu venir au Mali et au Sénégal. Il y a eu un moment où le Sud mauritanien était en état de siège du fait des autorités mauritaniennes, de l’armée, de la milice. Donc nos terres, nos lieux d’habitation ont été occupés par des milices, par des maures qui ne veulent pas reconnaître, céder ou quitter. Pour cela, nous portons plainte contre Taya pour les préjudices subis par les réfugiés mauritaniens.
Quand et devant quelle juridiction ?
Devant la juridiction internationale, le Tribunal pénal international (TPI) parce que le cas mauritanien est un génocide avant lmême ceux commis au rwanda et au soudanais. Mais malheureusement l’opinion publique internationale ne veut pas en parler.
Les nouvelles autorités promettent une transition de deux ans. Croyez-vous que cette transition aboutira à l’instauration d’un Etat véritablement démocratique ?
C’est le souhait de tout le monde, mais c’est un peu difficile tant qu’ils ne se mettent pas à solutionner les problèmes mauritaniens ; tant qu’ils ne s’inspirent pas de certaines expériences démocratiques comme celles du Mali ou du Bénin ; je ne crois pas comment ils arriveront.
Avez-vous déjà pris contact avec les nouvelles autorités ?
Non ! Des autorités, qui ne veulent pas reconnaître les réfugiés et le tort qui leur a été commis, ne vont jamais nous contacter. Et nous, en tant que réfugiés, ne pourrons pas contacter ces autorités. C’est à elles de reconnaître et de faire appel aux Etats malien et sénégalais où les réfugiés sont. Nous pouvons accepter dans cette condition.
Comptez-vous rentrer au pays maintenant ?
Non, l’ouverture n’a pas été faite par les autorités mauritaniennes. Si ça se fera, nous rentrons.
Quel a été l’accueil au niveau du Mali.
Nous sommes bien accueillis. Mais malheureusement il y a eu un moment ou ça n’allait pas. Il y a eu le banditisme qui a sévi dans la région de Kayes avec des pertes de vies humaines déplorables cotés malien et réfugiés.
Ces pertes sont dûes à quoi ?
Les auteurs de ces pertes sont des bandits d’origine Sénégalaise, malienne, et mauritanienne.
De 1989 jusqu’en 2005, aucun réfugié mauritanien n’a été jugé coupable d’actes de banditisme par les juridictions maliennes. Dieu merci, mais nous déplorons les pertes en vies humaines maliennes et mauritaniennes.
Au-delà, nous avons été bien accueillis par les autorités maliennes, par la population de la région de Kayes qui nous a permis de faire tout ce temps sur son territoire.
Entretien réalisé par
CH. Sylla et Idrissa Maïga
25 août 2005